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— Les objets volés sont-ils tous sumériens ? demanda le général.

— Beaucoup renvoient à cette période. Je ne vais pas vous pointer la liste de tous les indices découverts et des recherches effectuées par Mlle Chevalier, certains laboratoires scientifiques du Royaume et moi-même. Vous avez contribué à monter l'expédition dans les vestiges immergés du temple d'Abou Simbel, dont nous avons rapporté des éléments de premier ordre. D'autre part, nous avons pu étudier une pièce essentielle — une petite pyramide de bronze enserrant une sphère de cristal qui n'en finit pas de nous surprendre.

« Plutôt que de vous faire le récit, certes passionnant, de notre cheminement, je préfère vous emmener là où il nous conduit : l'interprétation cumulée des différents éléments nous permet d'affirmer qu'aux environs de 2 300 avant notre ère, une expérience menée par les savants au service du roi sumérien Ur-Nammu ou de son fils Shulgi a provoqué une grave catastrophe. Cette expérimentation marquait certainement l'aboutissement de travaux plus anciens. Les monarques de Sumer, sans doute pour affirmer leur prestige, avaient convié leurs homologues issus d'autres régions parfois lointaines. Ils pensaient leur offrir le privilège d'assister à la toute première démonstration de leur maîtrise d'un pouvoir présenté comme divin. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, tous les chefs, rois et maîtres ont voyagé des confins du monde connu afin d'être les témoins d'une puissance nouvelle. Mais l'événement tourna au drame. Un phénomène inconnu et inattendu survint. On parla de foudre, d'éclair, de lumière destructrice. L'accident tua plus de monde que toute autre action humaine connue à l'époque. Bien sûr, il convient de replacer ce record dans son contexte. Le fait est que sur ce point, nous avons fait d'immenses progrès… On peut raisonnablement estimer que quelques dizaines de victimes périrent sur le coup. Mais l'importance relative de cet épisode engendra une peur que les survivants colportèrent et répandirent une fois de retour dans leurs contrées respectives. Cette terreur se trouva renforcée lorsque certains des témoins présents qui se considéraient comme indemnes finirent par succomber dans d'affreuses souffrances aux symptômes inconnus. Il ne pouvait s'agir que d'une punition divine. Il est même possible qu'après avoir poussé les hommes à croire en un dieu, ce drame leur ait révélé l'existence du diable. Aujourd'hui, en analysant les récits, il est évident que ces décès postérieurs étaient dus à une violente irradiation.

Un murmure parcourut l'assistance.

— De l'expérience elle-même, continua Benjamin, nous savons qu'elle impliquait la lumière solaire, vraisemblablement concentrée en faisceaux à l'aide d'au moins quatre cristaux polis agissant comme des lentilles optiques. La lumière ainsi densifiée aurait agi sur une matière au point de la transmuter. La présence massive de traces de radioactivité sur les artéfacts indique que la réaction a techniquement déstabilisé la structure de l'élément chimique, jusqu'à engendrer une déflagration de type nucléaire.

Les réactions de l'assemblée se partageaient entre étonnement, incrédulité et curiosité.

— Vous parlez d'une expérience nucléaire déclenchée avec une simple lumière solaire ? s'étonna un participant.

— Tout indique que c'est ce qui s'est produit.

— Vous n'ignorez pas que même de nos jours, nous avons besoin de technologies et d'équipements exorbitants pour y parvenir ?

— Nous avons tous été aussi surpris que vous, mais la totalité des faits consignés accrédite cette version. Je ne suis pas physicien, mais je connais un peu l'histoire. Notre science s'inspire souvent de la vie, mais elle a généralement recours à des procédés violents et coûteux pour approcher ce que la nature accomplit seule. Ces chercheurs ont peut-être trouvé une voie par inadvertance.

Un autre intervenant demanda :

— Vous pensez raisonnablement que ces « scientifiques » auraient pu percer le secret de l'énergie avec leurs moyens rudimentaires alors que les ingénieurs du monde entier bénéficiant d'outils très sophistiqués arrivent à peine à l'approcher ?

Fanny monta au créneau :

— Nous n'avons pas la réponse à cette question. Notre but n'est pas de remettre en cause les travaux et conclusions de nos confrères scientifiques. Mais nous sommes au moins certains d'une chose : si nous nous retranchons derrière des certitudes condescendantes, nous ne découvrirons jamais la vérité. Nos résultats font vaciller nos repères. Nous devons nous montrer ouverts et les considérer avec pragmatisme pour démêler le vrai du faux. C'est toute la philosophie de la science : admettre que l'on ne sait pas tout, pour avoir une chance d'apprendre.

Benjamin enfonça le clou :

— Puis-je respectueusement faire remarquer que ce sont certains de ces prétendus scientifiques qui ont affirmé que la terre était plate, broyant au passage ceux qui ne partageaient pas leur vision et qui pourtant avaient raison ? Ce sont encore leurs semblables qui, en d'autres temps, ont prouvé grâce à de savants calculs qu'il était absolument impossible qu'un humain survive à un déplacement accompli à une vitesse supérieure à 30 kilomètres-heure. Encore récemment, en pleine révolution industrielle, les mêmes ont juré que les roues des trains en acier n'avaient aucune chance d'avancer sur des rails du même métal à cause de la « non-adhérence prouvée des matières ».

Il n'y avait pas un bruit dans la salle. Benjamin reprit :

— Le fait est que ces objets nous apportent des informations et des connaissances que nous n'avions pas. Il serait risqué de les écarter ou de tenter de les nier alors que d'autres s'efforcent manifestement d'en tirer parti. Nous devons tenir compte de ce que ces artéfacts révèlent avec le même sérieux que ceux qui vont jusqu'à tuer pour les posséder. Nous ne prétendons pas que les Sumériens ont découvert le secret de l'énergie. Mais nous affirmons qu'à travers au moins une de leurs tentatives scientifiques, ils ont été les témoins de sa puissance. Appelons cela le « hasard », comme celui qui conduisit Marie Curie à découvrir la radioactivité, comme celui qui fit tomber la pomme sur la tête d'Isaac Newton, comme l'expérience ratée qui permit à Charles Goodyear d'inventer le processus de vulcanisation du caoutchouc. La liste des expérimentations hasardeuses, voire douloureuses, qui ont conduit l'humanité à faire des progrès majeurs est longue : Alfred Nobel et la dynamite, Röntgen et les rayons X, le micro-ondes, le téflon, la colle cyanoacrylate, le kevlar… Au temps des Sumériens, le hasard prenait le visage d'un dieu. Et lorsqu'ils ont été témoins des effets spectaculaires de leur expérience, ils ont mis cela sur le compte de la colère divine. L'événement resta dans les mémoires, effrayant, surpuissant, sous le nom évocateur de « Premier Miracle ».

« Épouvantés par l'ampleur et la nature de la catastrophe qu'ils avaient provoquée, les Sumériens ont pris la décision de disperser tous les éléments qui l'avaient rendue possible afin d'empêcher qu'elle puisse se reproduire. C'est ainsi que les pyramides aux cristaux, les données géométriques et tous les éléments impliqués ont été envoyés aux quatre coins du monde, le plus loin possible les uns des autres. Ils ont été confiés à des gardiens qui devaient secrètement perpétuer la mémoire de ce drame et garantir qu'il ne se répète jamais.