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— Bien sûr, de la même façon que si je voyais un border collie ou une statue d'Aphrodite.

— Vous avez déjà vu une statue faire du stop ?

— Qu'une statue fasse du stop vous fait réagir, mais ça ne vous étonne pas venant d'un chien ?

— Ce n'est pas la même chose.

— Ils ont pourtant un indéniable point commun.

— Lequel ?

— Cherchez et faites-moi signe quand vous aurez trouvé.

Tant bien que mal, Benjamin et Karen avançaient, sautant de rocher en rocher, les bras tendus pour garder l'équilibre. Ils prenaient soin de longer le pied de la falaise en se tenant suffisamment loin du rivage pour éviter les surfaces détrempées ou envahies d'algues.

Soudain, au détour d'une colonne de roches déchiquetées par des millénaires d'assaut marin, l'entrée de la première des grottes leur apparut, étourdissante par ses proportions. La puissance du spectacle les arrêta dans leur élan.

— Un repaire de géants, lâcha Karen.

— L'antre du diable, ironisa Benjamin.

L'immense bouche basaltique semblait capable d'avaler la mer. En s'engouffrant dans l'ouverture béante, le vent soufflant du large se muait en mugissement surnaturel.

Le long de la paroi rocheuse, un passage grossièrement taillé en surplomb s'enfonçait vers l'obscurité du fond de la grotte. On pouvait encore voir la trace des barres à mine dans la pierre brute.

— Savoir que Wheelan est passé par ici me fait un drôle d'effet, confia Ben.

Karen sortit sa lampe torche et l'alluma.

— Je ressens la même chose. Allons-y et ouvrons l'œil.

Lorsqu'ils franchirent le seuil, le souffle se fit plus violent. À l'intérieur, l'eau n'avait plus rien de paradisiaque ; elle ressemblait à un lac sombre des profondeurs duquel des créatures monstrueuses pouvaient surgir à tout instant. Après la luminosité extérieure, les yeux devaient s'acclimater à la relative pénombre. Chaque pas supplémentaire sous cette cathédrale de pierre révélait ses dimensions. La voûte s'élevait à des dizaines de mètres, couvrant l'onde parfois soulevée par une vague déferlante venue de l'extérieur. L'endroit avait tout du décor d'un roman de Jules Verne. Il s'en dégageait une sensation de gigantisme, une impression de monde oublié et de mystère. Quand Karen éclaira le point le plus haut, la lueur de son faisceau se perdit sur l'immense dôme rocheux, révélant la trajectoire des gouttes d'eau infiltrées qui tombaient des arêtes. Libérée du harcèlement du vent, Karen remit de l'ordre dans ses cheveux et les rattacha soigneusement.

S'enfonçant davantage, Ben découvrit bientôt que les trois grottes visibles depuis la mer communiquaient entre elles à travers de titanesques passages. Les cavités formaient un réseau souterrain dans lequel résonnait l'incessant élan des vagues. Plus ils progressaient dans la caverne, plus l'air devenait humide et pénétrant.

— Qu'est-il venu chercher ici ?

L'interrogation de Ben retentit en un écho différent. L'agent Holt et lui scrutaient les parois, espérant y déceler un signe ou un passage susceptible d'attirer leur attention.

Au fond de la grotte, l'étroite corniche aménagée à flanc de paroi débouchait sur une fine plage de sable noir jonchée de débris arrachés aux bateaux et rejetés là par les vagues.

Karen promena sa lampe sans rien remarquer de suspect. Pour continuer leur exploration plus avant, deux options s'offraient au tandem : suivre la plage sur sa longueur et passer vers la grotte suivante, ou s'aventurer dans l'étroit boyau qui semblait s'enfoncer dans les entrailles de la roche.

— Que vous conseille votre flair ? demanda Ben.

Karen éclaira les abords plus en détail et désigna la zone sèche de la plage, au-delà de celle léchée par les flots.

— Plus que mon flair, je suis tentée de suivre ces traces de pas. Les visiteurs ne doivent pas être légion. Il se pourrait fort bien qu'elles aient été laissées par notre cher professeur.

Les deux explorateurs se remirent en route, bénissant le capitaine de les avoir convaincus de prendre des bottes…

Par moments, le tonnerre des vagues venues se fracasser sur les piliers d'entrée des grottes parvenait jusqu'au fond des cavités dans un grondement peu rassurant. En évaluant l'espace autour de lui, Benjamin commenta :

— L'idée d'établir une base secrète ici n'était pas dénuée de bon sens, mais cela aurait effectivement demandé d'énormes travaux. Il y a du volume.

La seconde grotte, plus petite et plus étroite, ne révéla rien de plus. À son extrémité, le chemin taillé à flanc de paroi reprenait en direction de la troisième.

— J'ai l'impression que l'eau de cette caverne-là est beaucoup plus profonde, annoncça Karen. Elle paraît encore plus obscure…

L'ancien chemin de ronde serpentait en épousant la paroi, jusqu'à disparaître dans des ténèbres dont la lampe était loin de pouvoir éclairer les limites.

— Que ferons-nous si nous ne trouvons rien ? demanda-t-elle.

— Il faudra faire le trajet de retour avec encore plus d'attention. Nous avons toujours le boyau de la première grotte à fouiller. Il se peut aussi que Wheelan n'ait pas trouvé ce qu'il cherchait.

Karen avançait, balayant le plus loin possible devant elle. Tout à coup, il lui sembla apercevoir une forme dont l'épure n'avait rien de géologique. Son cœur battit plus vite. Elle pressa le pas jusqu'à courir.

— Benjamin, vous voyez ça ?

Horwood l'avait repéré lui aussi et s'élança à son tour. La faible lumière leur dévoila progressivement une structure imposante. Lorsqu'ils furent en mesure de comprendre ce dont il s'agissait, ils s'immobilisèrent sans oser y croire.

Devant eux, dans l'obscurité de la grotte, se dressait une étrave caractéristique, aussi haute qu'effilée, uniformément rouillée. Elle était si élevée que le faisceau de la lampe ne parvenait pas à la saisir dans son ensemble. La gigantesque forme couchée contre la paroi se prolongeait sur une bonne partie de la longueur de la caverne.

— Bon sang ! s'exclama Ben.

— On dirait qu'il n'y a pas que des bateaux qui se sont échoués dans les parages. Depuis quand ce monstre est-il ici ?

Ben identifiait parfaitement ce type de sous-marin. Il fit quelques pas sur le côté pour y jeter un coup d'œil.

— Il date de la Seconde Guerre mondiale.

— Vous croyez qu'il a pu être abandonné ici lorsque la Navy envisageait d'y construire une base ?

— Je ne pense pas. Ce submersible n'est pas de chez nous. C'est un U-Boot allemand, apparemment de type VII C. Une terrifiante machine de guerre nazie.

66

Impressionnée par le monstre d'acier, Karen posa la main sur sa proue finement profilée. Le métal, dont la peinture avait été attaquée par la rouille, était froid et râpeux. Il déposa sur sa paume une poudre d'oxyde brune. La jeune femme caressa la tôle comme la joue d'un cheval sauvage qu'elle aurait tenté d'apprivoiser tout en redoutant ses ruades. Toujours se méfier, même si la bête semble endormie.

Il était facile d'imaginer cette étrave offensive fendant les flots au plus fort des affrontements, les torpilles jaillissant par les bouches latérales comme des chiens d'attaque. La jeune femme n'en revenait pas.

— Qu'est-ce qu'un sous-marin nazi fabrique planqué au fond d'une grotte de l'extrême nord des îles Britanniques ?

L'immense machine de guerre, dont seul le tiers avant émergeait de l'eau, reposait accotée contre la paroi rocheuse. Sa légère inclinaison lui donnait l'allure d'un titan fatigué qui, après avoir livré son dernier combat, aurait cherché un appui. La partie de la coque dégagée par la marée encore basse était constellée de coquillages.