— Karen, vous permettez que j'emprunte votre lampe ?
Benjamin balaya le côté visible du submersible, espérant y découvrir un numéro d'identification, mais avec le temps, ce qui subsistait du marquage n'était plus lisible. Horwood inspecta les parois soudées. Régulièrement, des vagues venues de loin venaient mourir contre le flanc de l'engin. Lorsque l'historien repéra l'échelle de coque, il n'hésita pas.
— Benjamin, faites attention, tout est rongé.
— Il faut que j'en aie le cœur net.
Ben agrippa les barreaux encastrés dans l'épaisseur de la double paroi. Sur le métal rouillé, il remarqua des traces fraîches d'abrasion, comme si quelqu'un l'avait récemment précédé. Il escalada la coque dans toute sa hauteur, se retrouva sur le plateau supérieur du sous-marin et inspecta les abords en prenant garde où il mettait les pieds. À l'avant, il identifia les restes des célèbres lames coupe-filets. Il remonta ensuite vers le kiosque dont subsistaient les tiges périscopiques, même si la plus grande était tordue. Le canon installé au pied était bloqué par la corrosion, pointant un ennemi depuis longtemps victorieux. Dans le faisceau de lumière, la nuit de la grotte livrait ses secrets.
— Montez, Karen, lança Ben. Il faut que vous voyiez ça.
L'écho de sa voix se perdit dans le lointain roulement des vagues. La jeune femme ne tarda pas à le rejoindre. Il l'accueillit en lui tendant la main.
— Ça mérite le coup d'œil.
Sous l'effet du mouvement des flots, la structure oscillait très légèrement. En se tenant aux équipements fragilisés par l'air marin, Benjamin se déplaça sur le monstre penché. Il se dirigea directement vers l'écoutille d'entrée.
Karen se tenait sur ses gardes. Elle se sentait comme une Lilliputienne escaladant un dragon assoupi dont la marée rythmait la respiration. Elle éprouva une sorte de soulagement en voyant Ben incapable de manœuvrer l'écoutille d'accès. Étrangement, il n'avait pas l'air déçu. Il descendit de la tourelle et s'intéressa à une petite trappe qu'il débloqua à grands coups de pied.
— Qu'est-ce que vous faites ?
— Les U-Boote étaient équipés d'un système de fermeture qui pouvait être déverrouillé de l'extérieur grâce à un mécanisme secret. Ce détail a été ajouté entre la Première et la Seconde Guerre mondiale pour pouvoir porter secours aux équipages qui n'auraient plus été en situation d'ouvrir de l'intérieur.
— Comment savez-vous ça ?
— Ce détail n'était connu que des sous-mariniers allemands, mais après la guerre, la technique a été dévoilée.
L'universitaire s'accroupit, glissa la main à l'intérieur du logement et tira sur la poignée.
— Savez-vous qui m'en a parlé ?
— Un de vos professeurs d'histoire ?
— Pas n'importe lequel.
— Wheelan ?
— Tout juste.
Ben s'acharna sur le mécanisme qui résistait. Le déclic sourd qui résonna dans la grotte lui provoqua un franc sourire. Il remonta jusqu'à l'écoutille et réussit cette fois à l'ouvrir.
— Vous n'avez pas l'intention d'entrer là-dedans ?
— Donnez-moi une bonne raison de ne pas le faire.
— Parce que ce gros machin bouffé de partout est instable, parce que, avec le temps, il est peut-être inondé, parce que votre dossier indique clairement que vous n'êtes pas à jour de vos vaccins, et parce que personne ne sait où nous sommes.
— Karen, il est hors de question que je reparte sans essayer de savoir ce que ce U-Boot fait là.
— Ben, je vous rappelle que le diable habite ici et que vous êtes en train de jouer sur son sous-marin.
— Ni vous ni moi ne sommes des âmes perdues. S'il se pointe, tirez-lui dessus.
Horwood lui fit un clin d'œil et se glissa dans l'ouverture.
67
En posant le pied sur le sol de la passerelle d'opération, Benjamin sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il était galvanisé à la fois par une excitation quasi juvénile et par une dévorante soif de comprendre. Par où commencer ? Hormis cette odeur âcre de renfermé et le voile de poussière qui recouvrait tout, le faisceau de sa lampe révélait un intérieur du sous-marin presque intact. Aucune trace d'humidité ou de voie d'eau. Ben s'attarda sur des baies techniques. Les séries de vu-mètres et les instruments de navigation étaient en parfait état. Il nettoya la vitre d'un témoin de tension électrique gradué et tapota dessus. L'aiguille réagit mollement à la secousse. Les leviers de commande des gouvernails de plongée et de direction étaient alignés, prêts pour un prochain départ en mission. Même les sangles des tabourets pivotants pendaient comme si l'équipage allait revenir s'y attacher d'une seconde à l'autre.
Ben se faufila entre les équipements, s'attarda devant la barre du périscope. Il chercha la plaque d'identification de l'engin et finit par la découvrir. Frottant énergiquement avec sa manche pour retirer la couche verdâtre qui l'empêchait de déchiffrer, il réussit à lire le code U-296, K VII C/41, ainsi que ce qui devait correspondre à la date de lancement du sous-marin — le 5/09/1943 — et sans doute le chantier naval où il avait été fabriqué, Bremer Vulkan — Bremen — Vegesack — Deutschland.
En éclairant autour de lui, il prit soudain conscience que rien ne traînait, ni sur les tablettes ni dans les espaces de rangement. Plus aucun objet ni document. Tout ce qui n'était pas fixé ou ne faisait pas partie des équipements intégrés au submersible avait disparu. Ni cartes ni règles sur la plaque d'étude, pas une seule feuille accrochée au panneau de consignes, aucune liste d'équipage, pas la moindre arme ou munition dans le râtelier près de l'échelle d'écoutille. Intrigué, il ouvrit le premier tiroir venu, qui se révéla vide. En fouillant plus avant, il se baissa pour vérifier un placard, mais là encore, le contenu avait été enlevé. Ne restaient que les étagères nues.
En se relevant, Ben tressaillit. Une ombre venait de faire irruption devant lui. Il étouffa un cri et recula, heurtant violemment la porte du compartiment des machines.
— Bon sang, Karen, dans mon appart ou dans un sous-marin, c'est à chaque fois la même chose… Vous allez finir par me faire crever !
— Vous m'avez plantée là-haut, toute seule dans le noir, et vous ne répondez pas quand on vous appelle…
Benjamin l'invita à regarder en éclairant autour d'elle.
— Si vous n'êtes jamais entrée dans une leçon d'histoire, voilà une belle occasion de commencer…
En suivant la course du faisceau, la jeune femme pivota sur elle-même. Dans son mouvement, l'exiguïté de l'espace l'obligea à se serrer contre Horwood. Elle se retrouva le dos plaqué contre sa poitrine. Elle était trop occupée pour y prêter attention, mais lui le remarqua.
— Aucun cadavre ?
— Je n'ai pas eu le temps d'explorer, mais je vous parie qu'il n'y en aura pas. Le ménage a été fait. J'allais inspecter les cabines, vous venez ?
Alors qu'ils traversaient la passerelle, le mastodonte se trouva légèrement déstabilisé par une vague sans doute plus puissante que les autres. Le sous-marin s'anima doucement en émettant un long grincement lugubre qui se propagea dans toute la structure.
— Je déteste ce genre de bruit, Benjamin. Ne traînons pas ici.
— Ce tas de ferraille est coincé là depuis au moins soixante-dix ans, il doit encore pouvoir tenir quelques minutes.
Il s'engagea dans la coursive avant et ouvrit la porte du local radio. Chaque appareil était à sa place, mais les casiers et plans d'écriture étaient vides. Aucun rapport, aucun relevé. Même les messages à la craie sur le petit panneau d'ardoise avaient été soigneusement effacés. Ben actionna l'interrupteur général des systèmes de communication. Au déclic sec, il s'attendait presque à voir les voyants s'allumer, mais rien ne se produisit.