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— Dépêchez-vous, je laisse le moteur tourner. Ma douche chaude me réclame d'urgence !

Benjamin pressa le pas entre les tables d'extérieur. Les rares maisons voisines semblaient abandonnées ou assoupies.

En poussant la porte, Ben se trouva aussitôt plongé dans le décor de ces petits pubs typiques d'Écosse qui contribuent tant à sa réputation. S'il n'avait pas été aussi pressé, il aurait été tenté d'y inviter sa partenaire. Lumière chaleureuse, répertoire de variétés récentes revisitées à la cornemuse et, derrière le bar, profusion de bouteilles de whisky et autres Drambuie presque vides. Quelques clients étaient attablés, le plus souvent seuls devant une pinte de bière. Ben ne s'attendait pas à trouver autant de monde dans un endroit aussi perdu.

— Bonsoir, lança-t-il à la cantonade, sans obtenir d'autre réponse que des monosyllabes jetées machinalement.

L'historien nota que tous les clients étaient des hommes et que, pour autant qu'il puisse en juger, la plupart étaient plus jeunes que lui. Que faisaient-ils dans ce trou paumé ? Derrière le comptoir, un grand type en tablier essuyait des verres.

— Bonsoir, j'ai besoin de passer un appel urgent.

L'homme parut ne pas comprendre. Il regardait Benjamin avec un drôle d'air.

Imaginant que son accent anglais passait peut-être mal sur ces terres gaéliques, Benjamin répéta sa demande en multipliant les formules de politesse et en articulant davantage. Le barman resta figé dans son mutisme, mais une voix monta de la salle.

— Bonsoir, monsieur Horwood.

Benjamin fit volte-face. Tous les clients le regardaient, sauf un. Un homme à casquette de tweed qui releva lentement la tête.

— Je vous attendais. Nous avons beaucoup à nous dire.

En le reconnaissant, Ben ne fut ni surpris ni effrayé. Il n'en eut pas le temps. Trop de pièces du puzzle trouvaient soudain leur place.

69

Ben était incapable de prononcer le moindre mot. Le professeur Wheelan fit signe au patron d'apporter un deuxième verre pour son invité. Horwood dévisageait son ancien mentor, à peine plus vieux que dans son souvenir, les cheveux blancs parfaitement coupés encadrant ce visage noble si longtemps redouté. Peut-être légèrement amaigri, les joues creusées. Le vieil universitaire replaça ses lunettes et s'efforça de sourire en joignant ses mains, comme chaque fois qu'il avait un message important à faire passer.

— Asseyez-vous, mon garçon. Je vous dois quelques explications.

Ben resta debout. Son ex-enseignant en prit acte d'un geste fataliste mais ne s'en offusqua pas.

— Félicitations, Benjamin. Je suis très fier de vous. Je ne me suis pas trompé en pariant sur vos talents. Je savais que vous auriez à la fois la capacité de comprendre ce que j'avais déjà accompli et de le prolonger. Vous étiez le seul à pouvoir réussir. Déjà, pendant vos études, ce mélange d'intuition et d'intelligence transversale faisait merveille. Vous vous êtes montré à la hauteur. Sauf sur un point cependant : je dois avouer que votre absence à mon enterrement m'a attristé.

— J'essaierai de venir au prochain.

— Je comprends que vous puissiez m'en vouloir. Tâchons de dépasser cela. Vous avez sans doute de nombreuses questions à me poser. Je suis ici pour y répondre.

— Pourquoi avoir mis en scène votre mort ?

Wheelan répliqua sans hésiter :

— Pour être enfin libre ! Pour agir en conscience, affranchi de ce système qui nous utilise dans son seul intérêt. Je suis certain que vous-même, malgré votre jeunesse, éprouvez déjà ce sentiment. L'impression que quoi que l'on fasse, quoi que l'on dise, cela ne changera rien. Alors j'en ai eu assez que l'histoire se répète sans que personne n'en retienne les leçons. N'êtes-vous pas fasciné par ce que vous avez appris depuis que vous avez repris mes dossiers ? Les merveilleuses connaissances mises au jour ne vous ouvrent-elles pas des horizons inédits ? N'avez-vous pas envie de balayer ces fables perverties que l'on s'acharne à nous rabâcher pour aller vers plus de vérité ?

— Vous travaillez pour ceux qui volent les reliques ?

Wheelan se mit à rire.

— Je retrouve avec plaisir votre style direct. La réalité est cependant plus complexe que votre raccourci. Je travaille pour ceux en qui je crois. Personne ne m'y oblige. En étudiant ce Premier Miracle dont vous connaissez désormais l'existence, j'ai ouvert les yeux sur de nombreux points. J'ai appris à relativiser les prétendues certitudes généreusement répandues. À vrai dire, mon érudition ne me sert qu'à mesurer à quel point on nous fourvoie.

— Que fait ce sous-marin dans cette grotte ?

— Vous aurez la réponse. Vous aurez toutes les réponses.

Le barman déposa le whisky sur la table et se retira rapidement. D'un geste, le professeur invita Ben à boire et lui demanda :

— Avez-vous lu mes notes ?

Benjamin décida de ne pas répondre et de laisser le scotch là où il était. Wheelan enchaîna :

— Connaissant les agents du gouvernement, je suis certain qu'ils vous les ont remises et, si je ne me trompe pas, vous les avez soigneusement compulsées. J'avais cependant pris soin d'en retirer quelques-unes… Mais ce temps-là est révolu. À compter de ce jour, je partagerai avec vous tout ce que je sais. Je suis sûr que vous avez aussi beaucoup à m'apprendre. Avez-vous obtenu les résultats des prélèvements effectués dans cette adorable église d'York ? Je suis également impatient d'entendre le récit de votre visite au kofun, ou mieux encore, celui de votre plongée à Abou Simbel. Vous avez dû vivre des moments extraordinaires. J'en aurais été incapable physiquement, mais peu importe puisque vous l'avez fait. Avouez que c'est amusant ! L'élève et le maître se retrouvent pour unir leurs forces.

— Qui vous dit que je vais vous aider ?

— Allons, Benjamin, vous êtes intelligent. Les hommes de notre trempe ne restent jamais insensibles aux faits et aux bons arguments. J'ai de quoi vous convaincre sur tous les plans, historiquement, humainement et scientifiquement. Vous avez su accepter ce que vous avez découvert sans vous en tenir au discours habituel de ceux qui prétendent savoir. Vous allez en avoir d'autres occasions. Vous n'imaginez pas le pouvoir de ceux qui œuvrent dans l'ombre. N'avez-vous pas deviné la main qui parfois vous guidait ?

— Assez pour m'en méfier. Ceux avec qui vous collaborez ont tenté de tuer Fanny.

— Une regrettable erreur. Qui n'en commet pas ? L'important est de les admettre.

— Comment saviez-vous que j'allais venir ici ?

— Je n'avais aucune certitude mais je l'espérais. Exactement comme vous, au retour de cette île perdue, je me suis arrêté ici pour téléphoner en urgence. Un homme m'attendait, assis précisément là où je me tiens ce soir. Qui sait ? Peut-être à votre tour attendrez-vous notre prochaine recrue pour la convaincre de nous rejoindre ?

Ben sentait sur lui le regard de Wheelan telles les serres d'un aigle tenant sa proie. Il espérait que Karen allait le trouver trop long à revenir et finirait par débarquer avec son énergie débordante et son arme. Il l'imaginait déjà reprendre le contrôle de cette situation insensée. L'idée de la savoir proche lui redonna du courage.

— Qu'attendez-vous de moi, professeur ?

— Je veux que nous partagions nos découvertes. Je veux qu'ensemble, nous puissions poursuivre nos travaux. Je souhaite aussi vous présenter des gens qui vous donneront les moyens de porter avec moi l'ambition des sages de Sumer — des hommes qui, dans le respect du pur esprit de ces anciens, continuent leurs recherches et leurs apprentissages. Ils ne méprisent ni le savoir des débuts de la science, ni l'alchimie. Avec eux, vous pourrez progresser jusqu'où vous le voudrez, en toute indépendance, loin des diktats de ce monde corrompu par l'appât du gain.