Denker rompit le silence.
— Le professeur m'a fait part des progrès constants de vos échanges. Vous me voyez très satisfait de cette mise en commun de vos connaissances.
— Il m'a dit le plus grand bien de l'écrin que vous avez bâti pour reconstituer l'expérience.
— Vous ne tarderez pas à visiter cette partie du complexe. Il m'aura fallu des années pour en faire une réalité. J'ai constamment dû l'adapter à la lumière des découvertes que nous faisions.
— À la lumière… L'expression semble tout indiquée.
— Le professeur m'a également confié que vous aviez en votre possession cette large coupelle de bronze sur laquelle était déposée la substance réactive.
— Je ne fais que supposer qu'elle avait cette fonction.
— Vos hypothèses de travail se révèlent souvent justes. Vous ne savez vraiment rien de cette matière ?
— Les tests pratiqués sur les traces de résidu n'ont rien donné d'exploitable.
— Vous n'avez même pas réussi à déterminer s'il s'agissait d'une roche, d'un minerai radioactif, d'un métal rare, d'un oxyde ou de quelque chose de ce genre ?
— Les chercheurs ont pu isoler un unique élément qui nous renvoie à une fibre végétale. Je n'ai aucune compétence en chimie, mais le directeur des études m'a assuré qu'il s'agissait d'une erreur d'interprétation due au vieillissement moléculaire.
Denker suivit des yeux un oiseau qui passait.
— Si vous saviez ce que contenait ce bol, me le diriez-vous ?
Horwood sourit. Même si la question le plaçait dans une situation gênante, il était obligé d'admettre que Denker jouait un coup remarquable en la posant.
— Votre question est sans objet puisque je l'ignore.
— Elle nous offre au moins l'occasion d'évoquer votre allégeance.
— Je ne pratique pas l'allégeance. Je n'ai que des loyautés.
— Vis-à-vis de qui ?
— Personne. Je suis comme vous, monsieur Denker. Ce ne sont pas les gens à qui nous devons une obéissance aveugle. Ce sont nos convictions qu'il importe de ne jamais trahir.
L'homme fit quelques pas, pensif.
— En quoi croyez-vous, monsieur Horwood ?
Le dialogue prenait un tour très personnel.
— Je ne suis pas encore assez sage ou assez instruit pour vous répondre. Mais je sais depuis longtemps ce qui m'attire, comme ce qui me révolte.
— Pour quoi êtes-vous prêt à mourir ?
— Qui peut le savoir avant d'y être confronté ? N'est-ce pas pure vanité de le prétendre ? Ceux qui le clament haut et fort agissent rarement comme ils l'ont annoncé. Pour ma part, je préfère de loin savoir pour quoi je veux vivre.
Benjamin désigna la tombe d'Hitler.
— Prenez cet homme, par exemple. Il a marqué l'histoire comme aucun autre. Pensez-vous que lui-même aurait pu répondre à vos questions ? Vis-à-vis de qui était-il loyal ? Pour quoi était-il prêt à mourir ?
Denker salua l'argument. Horwood demanda :
— Avez-vous envisagé de ne jamais découvrir ce qu'était la substance qui a déclenché le Premier Miracle ?
— Comment pourrais-je y renoncer ? La vérité me l'interdit. Cette matière existe. Ce n'est ni une chimère ni un mythe. Son pouvoir a forgé notre inconscient et fait de l'or un trésor. Puisque c'est une réalité, nous devons pouvoir la trouver. Ce n'est qu'une question de temps et de moyens. J'ai les moyens et, depuis peu, le temps joue pour moi.
— Vous êtes fou.
— N'est-ce pas Winston Churchill qui a dit : « La vie nous enseigne que parfois, ce sont les fous qui ont raison » ?
— Puisque vous aimez les pensées d'hommes illustres, j'en ai une à vous soumettre ; en 1924, votre grand-père a écrit : « Ici-bas, le succès est le seul juge de ce qui est bon ou mauvais. » Les rois de Sumer ont estimé que ce qu'ils avaient découvert par hasard était trop dangereux pour être confié aux hommes. Prétendez-vous leur donner tort ?
Denker cessa de regarder les alentours pour faire face à son interlocuteur.
— Vous me rassurez, monsieur Horwood, car si la justesse des actes se mesure à leur succès, je suis sur la bonne voie. J'ai deux bonnes nouvelles à partager avec vous. Les données satellites sont formelles : demain, nous aurons du beau temps.
— Même si cela ne changera pas la face du monde, ironisa Ben, je m'en réjouis. Il faut savoir profiter de ces petits bonheurs que la vie nous offre.
— J'ai aussi le grand plaisir de vous annoncer que nous avons enfin récupéré la quatrième pyramide. Elle est arrivée sur l'île ce matin, livrée par porteur spécial. Plus rien ne s'oppose à la réinvention du Premier Miracle. Un vrai succès, n'est-ce pas ? Sans doute parce que c'est une bonne chose.
78
Dans les souterrains fortifiés de l'île, une longue galerie conduisait au pied d'un escalier de béton. Denker s'effaça pour inviter Horwood à monter. Wheelan suivait, accompagné de deux hommes.
Arrivé en haut des marches, Ben découvrit l'entrée d'une salle dont les murs étaient bien plus massifs que ceux d'un blockhaus. Il lui fallut compter plus de dix pas pour en franchir l'épaisseur. Une porte blindée sur rail permettait de bloquer le passage.
En débouchant sur le seuil, c'est un laboratoire complet qui s'offrit à sa vue, équipé d'une quantité phénoménale d'instruments et d'outils de mesure en tous genres. L'accumulation de matériel surpassait tout ce qu'il lui avait été donné de voir, y compris dans les centres d'études gouvernementaux. Assembler cette technologie avait dû coûter le budget de recherche d'un petit pays.
Une femme et trois hommes en civil saluèrent l'entrée des nouveaux venus sans interrompre leurs activités. Le maître des lieux expliqua :
— Nous avons conçu cet endroit selon des standards de sécurité nucléaire qui excèdent les normes les plus drastiques. Nous sommes à même de contenir la puissance de la réaction tout en l'analysant.
Il fit signe à son visiteur de le rejoindre devant une maquette du site. Désignant la représentation miniature du labo, il précisa :
— Nous nous trouvons ici, dans la salle de contrôle. Mais le cœur du dispositif, le joyau d'ingénierie qui va nous permettre de recréer l'événement fondateur, se situe juste à côté, derrière ces murs plombés.
Sur le modèle réduit, Ben identifia la vaste salle circulaire dont le professeur avait parlé : une parabole géante orientée vers le ciel, tapissée de miroirs, et traversée de passerelles aériennes qui permettaient d'accéder à son centre ainsi qu'aux emplacements destinés à accueillir les pyramides.
— Les huit cents miroirs répartis sur toute la surface relaient la lumière solaire en direction des quatre cristaux dans leur support de bronze. Depuis l'achèvement des travaux, voilà deux ans, nous avons multiplié les essais avec les pyramides dont nous disposions — une, deux, puis trois — mais cela n'a rien produit de spectaculaire. Même si ce n'était pas encourageant, nous avons continué à y croire. J'ai quand même eu peur de me retrouver avec le grille-pain le plus cher du monde ! Mais aujourd'hui, nous inaugurons une phase inédite. Grâce aux quatre pyramides enfin réunies, c'est une nouvelle ère qui s'ouvre. Cette date risque fort de marquer l'histoire. Pour la première fois, nous allons pouvoir utiliser cette installation au maximum de sa puissance et dans des conditions rigoureusement identiques à celles de l'expérience originale.