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— Je ne l’ignore pas, mais soyons logiques. Ils ne vont pas vous flinguer à vue. Ils ne sont pas fous. Nous avons aussi des moyens de rétorsion. S’ils vous laissent entrer, le pire qu’ils puissent faire, c’est de tenter une manipulation. Cette affaire leur tient à cœur, non ?

Julius Zydowski n’aurait pas dit le contraire, pensa Malko. Devant son silence, l’Américain continua :

— L’idéal, pour eux, ce serait que vous alliez en Pologne, que vous fassiez une enquête et que vous repartiez convaincu que Roman Ziolek est bien un contestataire. À ce moment, ils ont intérêt à vous laisser revenir ici faire votre rapport, puisque vous tuez l’histoire. Donc, je crois que vous ne risquez rien, physiquement.

Malko écoutait, ébahi par un cynisme aussi tranquille.

— Séduisante construction de l’esprit, dit-il. Et si je trouve la preuve que l’opération est de l’intox ?

— Là, vous serez en danger, admit Hank Bower. Mais vous êtes un professionnel. Il suffit de garder une longueur d’avance. Si la station ne veut pas se mêler de l’enquête, ils vous aideront quand même. De plus, si vous partez, nous avons la promesse formelle du State Department que vous pourrez vous réfugier à l’ambassade en cas de coup dur.

— Quelle générosité ! soupira Malko.

On le poussait tout doucement dans le piège. Les fonctionnaires de la « Company » étaient vraiment des monstres froids. Tout pour la Raison d’État. En même temps, cela l’excitait. Il attaqua :

— Et sous quelle couverture vais-je débarquer à Varsovie ? Envoyé spécial de la C.I.A. ?

Bower prit un air absolument innocent.

— Mais vous n’avez pas besoin de couverture ! Vous y allez sous votre véritable identité, comme touriste. D’ailleurs, je crois que certains de vos ancêtres ont habité la Pologne, non ? C’est le voyage du souvenir et de la nostalgie réunis.

— En plein hiver, souligna Malko. C’est vraisemblable. L’Américain fit comme s’il n’avait pas entendu.

— La station de Varsovie vous arrangera quelques contacts pour commencer votre enquête. Ils ont des rapports avec les dissidents. N’oubliez pas que pour l’instant, en dépit de certains indices concordants, nous ne sommes sûrs de rien.

— Si, coupa Malko. Que les Polonais vont m’accueillir à bras ouverts…

Hank Bower daigna sourire.

— Pour que nous puissions agir, continua-t-il, il nous faut une preuve formelle de la trahison de Ziolek. Sinon, le dossier sera classé.

Malko rageait intérieurement. L’autre savait qu’il adorait aller au fond des choses.

— Ça peut prendre longtemps, très longtemps, objecta-t-il.

Bower secoua la tête.

— Pas forcément. L’avantage de votre présence là-bas, c’est que ça va remuer la merde… Ils risquent de prendre peur, si vous vous approchez trop près du pot aux roses, et de faire des gaffes. Il faudra en profiter…

Malko leva les yeux au ciel. S’il n’y avait pas eu de soudains problèmes de charpentes et de toiture dans son château de Liezen, il aurait probablement dit « non ». Mais il ne pouvait pas laisser pleuvoir dans ses pièces restaurées. Il soupira :

— Ah, que le Kriegspiel est joli… Je crains que votre belle construction ne s’effondre. Parce que je n’aurai jamais mon visa.

Hank Bower leva son cigare.

— Je vous parie un kilo de caviar. Parce que les Polonais savent que nous allons envoyer quelqu’un. Ils préfèrent que ce soit vous qu’ils connaissent.

— Que mon sang retombe sur votre tête, dit Malko. Mi-figue, mi-raisin.

Chapitre VI

— Passeport !

L’uniforme verdâtre de la milicienne-douanière semblait taillé dans du duvet de crocodile. Elle feuilleta le passeport de Malko avec l’expression aimable d’un caissier de banque découvrant un faux billet et jeta un coup d’œil dégoûté à sa valise Vuitton.

— Nothing spécial ? demanda-t-elle dans son anglais succinct.

À l’entrée en Pologne, il fallait tout déclarer : même ses boutons de manchettes. Et bien entendu, les précieux dollars au cours énormément extensible. Averti par la station C.I.A. de Vienne, Malko s’était bien gardé de changer de l’argent à l’aéroport. Au cours normal : 25 zlotys pour un dollar. C’était un attrape-nigaud. Dans tous les hôtels, on avait 60 zlotys pour le même dollar. Cours officiel « touristique ». Dans la rue, au marché noir, le pauvre zloty fondait comme un ice-cream. Jusqu’à 150 pour un dollar. Ce qui faisait dire aux mauvaises langues que la seule vraie monnaie ayant cours en Pologne était le dollar.

La milicienne-douanière farfouilla pour la forme dans sa valise qu’elle referma, écœurée de tant de luxe. Puis, elle appuya sur le déclenchement de la barrière donnant sur le hall d’entrée. Malko la franchit et elle claqua derrière lui avec un bruit qui lui parut sinistre.

L’enfermant dans un autre monde.

Il se retourna. La Caravelle d’Air France qui l’avait amené de Paris était encore là. Malko regrettait déjà son vol. Il y avait peu de chances, à Varsovie, qu’il retrouve la cuisine servie sur Air France entre Paris et Varsovie.

C’est Alexandra, sa fiancée de toujours, qui l’avait entraîné à Paris. Lorsqu’il lui avait appris son nouveau départ, folle furieuse, elle avait décidé d’aller se changer les idées chez des amis parisiens. Comme elle prétendait n’avoir plus rien à se mettre, Malko avait laissé chez Saint-Laurent une partie de sa future prime de risques… Alexandra, après l’avoir remercié comme il convenait, ce qui avait considérablement réduit leur temps de sommeil, l’avait accompagné à Roissy.

S’émerveillant devant le superbe aéroport tout neuf et fonctionnel. Plein de boutiques, aussi. Ce qui lui avait permis de découvrir la montre dont elle rêvait depuis longtemps. Pour une fois, Malko, qui conduisait la voiture qu’il laissait ensuite à Alexandra, n’avait pas piqué de crise de nerfs. Vingt minutes d’autoroute, un parking dans l’aéroport même, desservi par des ascenseurs pratiques. Et des vols pour toute l’Europe. En sortant de Roissy, on avait envie d’aller mettre le feu à Heathrow ou à Francfort, les deux aéroports-cauchemar.

Avant de quitter Malko, devant un des tunnels transparents futuristes qui menaient aux salles de départ, Alexandra lui avait dit gentiment, montrant l’ensemble tout neuf qu’elle étrennait :

— Tu vois, si tu ne reviens pas, je n’aurai pas tout perdu…

Heureusement, elle avait racheté cette monstruosité par une étreinte qui avait failli faire rater à un groupe de prêtres le vol d’Air France pour Rome…

Ensuite, cela avait été le monde douillet et calme de l’Airbus. Il avait presque regretté le charme désuet des Caravelle encore en service sur certaines lignes européennes. Mais tout allait si vite. Bientôt, elles allaient disparaître, remplacées par des Boeing « 737 ».

Un homme mal habillé s’approcha de Malko et murmura « Dollars ? » l’arrachant à sa rêverie.

C’était la première fois, depuis longtemps, qu’il se rendait dans un pays de l’Est. Il était dans la gueule du loup. L’aéroport de Varsovie, Okecie, était grand comme un placard à balais. Sinistre, entouré de bois enneigés. Sans répondre à celui qui l’avait interpellé, Malko se mêla aux passagers qui se dirigeaient vers le bus allant en ville, sa valise à bout de bras. Pas de porteurs, pas de taxis. En sus de la sienne, il prit la valise qui semblait remplie de plomb, d’une Française blonde et boulotte. Ils s’assirent ensemble, juste derrière le chauffeur. Le bus était chauffé, heureusement, car il faisait un froid à ne pas mettre un ours blanc dehors.

Tout semblait lugubre à Malko. Les bâtiments gris, les gens pauvrement vêtus, emmitouflés dans d’invraisemblables accoutrements, avec de curieuses casquettes poilues. Le bus démarra et s’engagea dans une autoroute bordée de H.L.M. enneigées. De rares voitures. Le ciel était bas, gris, écrasant.