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La cage de verre était suspendue au milieu du sous-sol comme la nacelle d’un dirigeable prêt à s’envoler. Des câbles d’acier fixés aux huit coins du cube, arrimés au plafond et au plancher, la maintenaient à un mètre du sol environ. L’installation ne devait pas être vieille, car il y avait encore des gravats partout. L’armature de la cage était en acier anodisé, ceinturé de boîtes noires qui devaient contenir la protection électronique. La porte donnant sur la pièce du sous-sol où se trouvait l’ensemble portait un écriteau : Keep away. High-tension.

C’était la salle de réunion de l’ambassade, là où se discutaient tous les problèmes confidentiels.

— Après vous, dit aimablement Cyrus Miller, chef de station de la C.I.A. à Varsovie.

Un géant rougeaud, avec quelques cheveux sur le crâne et un costume clair chiffonné.

Malko le précéda sur l’escalier de bois permettant d’accéder à la cage. L’intérieur était succinct : une table basse et quatre sièges. Un plateau avec une cafetière et des tasses étaient posés sur la table. Cyrus Miller referma la porte derrière lui et appuya sur un bouton.

Aussitôt, un sifflement aigu vrilla les oreilles de Malko, diminuant rapidement pour se transformer en bourdonnement. Les défenses électroniques étaient en place. S’il y avait des micros dans les murs, ils ne recueilleraient que des sifflements à faire sauter les magnétophones. Cyrus Miller posa ses dossiers devant lui et se versa une tasse de café. Puis, il alluma une Rothmans et fixa Malko :

— Je suppose qu’il s’est passé quelque chose de grave pour que vous soyez ici. Ce n’était pas dans nos conventions…

Durant le récit de Malko, il ne dit presque rien, prenant seulement des notes d’une écriture fine. Posant une question, approuvant de la tête. Un médecin écoutant un malade. Puis, il posa son stylo, écrivit de nouveau quelques mots sur une feuille de papier et appuya sur une sonnerie. Une minute plus tard, un homme jeune aux cheveux d’un noir de jais surgit dans la pièce et entra dans la cage. Cyrus lui tendit son papier.

— Bon, allez donc voir en haut ce que nous avons là-dessus.

Le jeune homme referma la porte et disparut. Cyrus Miller frotta pensivement ses mains rougeaudes l’une contre l’autre.

— Apparemment, le S.B. vous a bien pris en main. Le type du taxi devait appartenir au Directorat n°1, le bureau technique opérationnel. Mais ils sous-traitent pour le Directorat n°2 – le service du contre-renseignement – ou le n°4 – le service des organismes religieux et du clergé. C’est plutôt ceux-là qui s’occupent des dissidents de l’intérieur.

— De toute façon, vous représentez à leurs yeux un objectif de choix, même si l’histoire Roman Ziolek ne tient pas. Leur hantise, c’est le soulèvement de la population, côté ouvrier. Jusqu’ici, ils ont toujours réussi à séparer les intellectuels des ouvriers. Si Ziolek n’est pas manipulé, une réaction en chaîne risquerait de se produire. Il reçoit, paraît-il, beaucoup de lettres d’ouvriers…

— Vous avez une opinion sur lui ? demanda Malko.

L’Américain tira pensivement sur sa cigarette.

— Honnêtement, non. Bien entendu, nous avons suivi le développement du Mouvement pour la défense des droits des citoyens, nous connaissons certains des membres. Mais, jusqu’ici, absolument rien ne vient corroborer votre hypothèse… Sauf, évidemment, ce qui s’est passé à Vienne.

— C’est important, remarqua Malko.

— Certes, admit l’Américain, mais on n’a rien de concret à se mettre sous la dent. Je crois quand même que le mieux serait de vous faire disparaître d’ici avant qu’il ne vous arrive des problèmes sérieux ; ils ont été bien imprudents de vous faire venir… Les Polonais ne sont pas des idiots. Et n’oubliez pas le pool de coordination de tous les services des pays de l’Est. Les Russes, les Roumains, les Tchèques, les Allemands de l’Est, les Hongrois savent que vous êtes là à Varsovie. Certains aimeraient peut-être vous poser des questions. Ou régler de vieilles ardoises… Comme le S.B. n’a rien à refuser aux Soviétiques…

Un ange passa, une étoile rouge sur les ailes. Brusquement, Malko n’avait plus envie de quitter sa cage de verre ronronnante.

— Je croyais que Gierek était relativement moins proche des Soviétiques, remarqua-t-il. Qu’il avait libéralisé le régime après Gomulka.

Cyrus Miller eut un sourire indulgent.

— N’étant pas un spécialiste de la Pologne, vous pouvez le croire. Mais Edward Gierek est, avant tout, un agent du K.G.B. Il a été formé à Moscou, du temps du Kominform, et a monté des réseaux de pénétration en France et en Belgique ainsi qu’au Luxembourg. Nous avons une fiche très complète sur lui.

Édifiant.

— Vous n’avez vraiment aucune piste pour l’affaire Ziolek ? interrogea Malko.

Cyrus Miller n’hésita pas.

— Non. J’ai checké le close-up de Ziolek contre tous les ordinateurs. Rien. Pas la moindre faille. Si c’est un sous-marin, c’est du beau travail.

— Les gens de l’Est ont l’habitude du beau travail, remarqua Malko.

L’Américain semblait de plus en plus réticent.

— C’est difficile de partir à l’aventure, remarqua-t-il. Pour les opposants, Roman Ziolek est devenu un héros.

Visiblement, le chef de station n’avait qu’une idée : le faire sortir de Pologne… Non sans raison. Bercé par le bourdonnement, Malko réfléchissait, se repassant mentalement les éléments du problème. Une voix intérieure lui disait que, même si le vieil antiquaire avait menti sur tous les autres points, il disait la vérité en parlant de Roman Ziolek. Mais comment le prouver ?

Déjà, Cyrus Miller avait regardé trois fois sa montre. Malko décida d’essayer l’idée qu’il avait eue la nuit précédente.

— Avez-vous la liste de tous les Polonais ayant participé à des mouvements d’opposition au cours des dernières années ? demanda-t-il.

Le chef de station de la C.I.A. sembla un peu surpris par la question, mais acquiesça :

— Oui, enfin tous ceux que nous connaissons.

— Je suppose qu’on retrouve toujours les mêmes ? Cyrus Miller bougea son corps massif, mal à l’aise sur sa chaise trop étroite.

— Un noyau. Oui. Mais il y a ceux qui sont en prison, morts ou qui ont fui à l’Ouest… Certains en ont tellement pris sur la gueule, aussi, qu’ils se sont couchés…

— Très bien, fit Malko. Vous les avez sur ordinateur, ici, à Varsovie ?

— Non, à Langley. Pourquoi ?

Il sembla à Malko que le bourdonnement électronique avait diminué d’intensité. Il finissait par éprouver une sensation de claustrophobie dans cette cage étroite. Ses yeux dorés dans ceux de l’Américain, il demanda :

— Je voudrais savoir le ou les noms de ceux qui ont toujours participé aux manifestations antirégime et qu’on ne retrouve pas dans le mouvement de Roman Ziolek. Ceux qui n’ont pas de raison valable pour ne pas y être. Comme la mort ou la prison.

Cyrus Miller secoua la tête et lissa ses rares cheveux.

— My goodness ! fit-il d’une voix calme, vous pensez à un type qui saurait ou qui soupçonnerait quelque chose ?

— Right, dit Malko.

L’Américain se leva si brusquement que la cage en trembla.

— Terrific ! Si ça marche. (Il consulta sa montre.) Écoutez, il est quatre heures du matin à Langley. Il y a juste une permanence. Ça peut prendre une heure d’interroger le « Magic Dragon ».

— Je reviens dans une heure, dit Malko. En attendant, je vais faire un tour.

* * *

Un vent glacial entraînait les flocons de neige balayant l’allée Jerozolimskie, large avenue à deux voies perpendiculaires à Nowy Swiat, une des artères les plus commerçantes de Varsovie. Malko ressortit d’un magasin soviétique, le « Natascha », sans rien avoir trouvé à acheter. Même pas des jouets ! C’était l’indigence totale. Un homme, une casquette poilue enfoncée jusqu’aux yeux, engoncé dans un vieux manteau de cuir, s’approcha de lui et murmura :