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— Vous êtes content de me revoir ?

— Bien sûr, dit Malko, vous êtes la plus jolie femme que j’aie rencontrée à Varsovie.

— Moi aussi, je suis contente, fit Anne-Liese.

Elle fixait Malko. Soudain, ses prunelles semblèrent foncer et s’agrandir en même temps. Comme si elles jetaient un éclair. Étonnant. Le numéro d’Anne-Liese était parfait. Ce pouvait très bien être celui d’une femme sûre d’elle et avide de plaire, si on ne savait pas ce qu’elle était réellement. Malko leva son verre de Wyrobowa.

— Je bois à notre rencontre.

Ils choquèrent leurs verres et burent. Puis Anne-Liese se leva. Avec ses escarpins, elle dépassait Malko. Le balancement imperceptible de ses hanches épanouies dégageait un magnétisme indéniable. Comme la ligne pure de ses longues jambes un peu trop musclées, largement découvertes par la robe courte. Elle se retourna, mettant en valeur le fabuleux profil de sa poitrine.

— Vous venez ?

Dalila dans ses meilleurs jours.

* * *

— Vous aimez danser ?

Malko faillit répondre qu’avec un orchestre pareil, il préférait fuir… Les musiciens jouaient de vagues slows des années trente, avec un fort accent polonais… C’était tout ce que le Victoria avait à offrir en fait de distractions. Le dîner avait été correct, sans plus. Malko et Anne-Liese s’en tenant à des sujets sans danger.

Autour d’eux, il y avait un groupe d’ingénieurs est-allemands qui se partageaient une pute nationalisée aux cheveux blonds très courts, vêtue d’un tailleur bleu à la coupe nettement militaire. Il ne lui manquait qu’un fusil d’assaut. Un vieux couple – des Polonais – évoluait avec ravissement sur la piste, ne manquant pas une danse. Malko se leva et prit la main de sa cavalière. Le cerveau occupé par sa « confession » du lendemain matin. Jusque-là, il n’avait rien à faire. Que taquiner son cobra.

Anne-Liese semblait dépourvue de tout humour. Et imperméable aux sarcasmes. Toujours souriante. Répondant à tout d’une voix égale. Qu’espérait donc le S.B. en la jetant dans ses bras ? Justement, elle y était, dans ses bras. La robe à fleurs si convenable, boutonnée jusqu’au cou, soulignait ses courbes insolites d’une façon plus provocante qu’un bikini. Anne-Liese passa un bras autour du cou de Malko et ses deux obus s’écrasèrent doucement contre son torse. Sensation assez étonnante, comme deux pointes de caoutchouc très dur. En revanche, le bas du corps conservait la réserve de bon aloi d’une vierge intimidée… Cette absence de contact était presque plus excitante qu’une pression. Comme si le magnétisme émanant d’Anne-Liese se transmettait à travers l’espace. Agacé par son apparent détachement, Malko attaqua :

— Vous avez une poitrine extraordinaire. Anne-Liese s’écarta un peu et répliqua d’une voix parfaitement naturelle :

— N’est-ce pas ? Ma mère a la même. Mais ma peau est très fragile. Je ne supporte pas le nylon. Je fais faire tous mes soutiens-gorge en Allemagne. En linon très fin. Vous ne pouvez pas savoir à quel point ma peau est sensible à cet endroit-là, répéta-t-elle.

Sur un ultime « couac », l’orchestre s’arrêta : on fermait.

— Oh, c’est dommage ! s’exclama Anne-Liese, j’avais encore envie de danser.

Toujours la voix bien posée de jeune femme du monde. Malko, qui en était à sa demi-bouteille de Wyrobowa, proposa :

— Tout ce que je peux vous offrir, c’est une dernière vodka dans mes appartements.

Anne-Liese n’hésita pas, vida son verre et prit son sac.

— Très bien. Dommage que vous n’ayez pas de caviar… En entrant dans la chambre de Malko, elle fit la moue :

— C’est petit.

Dédaignant les fauteuils, elle s’assit sur le lit, pendant que Malko préparait les verres.

— Il faudra que vous veniez chez moi, dit-elle. C’est plus agréable.

Elle trempa ses lèvres dans la vodka, observant Malko avec un sourire amusé. Brutalement, sous l’effet de l’alcool, il eut envie de toucher ces seins incroyables qui le narguaient. Mais c’était un geste un peu brutal. Leurs visages se touchaient presque. Il n’eut qu’à avancer un peu le sien pour que leurs lèvres se rencontrent. Anne-Liese ne broncha pas, le laissa faire, mais sa bouche demeura fermée. Elle ne réagit pas plus lorsque les doigts de Malko effleurèrent la courbe d’un sein. Mais quand il s’attaqua au premier bouton de la robe, elle lui prit le poignet.

— Non. Pas ici. Je ne suis pas une putain.

Malko la regarda, partagé entre l’ironie, la frustration et le désir. Le regard bleu d’Anne-Liese était absolument limpide. L’innocence faite femme. Il dut se repasser mentalement sa biographie pour ne pas tomber dans le piège.

— Je crois surtout que je ne vous plais pas, dit-il.

— Si. Mais vous me brusquez. Je n’aime pas qu’on me brusque.

Peut-être savait-elle qu’il savait à son sujet… Elle dit tout à coup, sur le ton de la confidence :

— Je suis une femme très sensuelle, vous savez… Il y a longtemps, j’ai connu un homme qui a su très bien me prendre. Il a été patient. Il est arrivé à me faire accomplir des choses inouïes…

— Quoi ?

Il avait gardé une main emprisonnant un sein. Le regard toujours aussi limpide, Anne-Liese expliqua d’une voix posée et lente :

— Il m’attachait les chevilles et les poignets avec une chaîne d’acier à des anneaux fixés dans sa salle de bains et, ensuite, me battait avant de me faire l’amour. Partout sauf sur les seins… Je sortais du pensionnat, alors je ne savais pas ce que c’était. Bien sûr, maintenant, je n’accepterais plus…

Étonnante Anne-Liese. Le ton même de la sincérité. Malko commençait à comprendre comment elle avait mené à la camisole de force un paisible haut fonctionnaire teuton…

Soudain elle se pencha sur lui et l’embrassa passionnément, presque brutalement. Mais Malko n’eut même pas le temps de la prendre dans ses bras. Elle s’était déjà reculée. Une lueur amusée dans les yeux.

— Vous voyez que vous ne me déplaisez pas. Je n’embrasserais jamais un homme de cette façon s’il ne me plaisait pas.

Malko avait l’impression d’avoir reçu une injection massive de vaso-dilatateur. Il voulut la reprendre dans ses bras, mais Anne-Liese se leva et lissa sa jupe, très vierge effarouchée.

— Il faut que je rentre, dit-elle, j’ai horreur de me coucher tard.

Avant qu’il eût réalisé, elle était dans le couloir. Restant sur sa frustration, il l’accompagna jusqu’à l’ascenseur. Là, elle se tourna de nouveau vers lui et se laissa aller, de tout son corps, appuyant furieusement son pubis contre le sien, l’embrassant comme dans la chambre.

Pas plus de sept secondes. Le temps pour Malko de se dire qu’il allait la traîner jusqu’à son lit… L’ascenseur arriva, les portes s’ouvrirent, Anne-Liese retrouva son maintien compassé et pénétra dans la cabine. Digne comme un archevêque, mais le sein plus agressif que jamais.

— À demain, peut-être.

Les portes se refermèrent. Furieux contre lui-même, Malko réalisa qu’il avait envie de revoir Anne-Liese. C’était une drogue à laquelle il était dangereux de goûter. Quelque chose de beaucoup plus sophistiqué et dangereux que les habituelles putes nationalisées des services de l’Est. Parce que Anne-Liese n’était pas seulement manipulée. C’était une authentique perverse.

Pour chasser ses mauvaises pensées, Malko s’efforça de penser au père Jacek Pajdak. Mais une petite voix sournoise lui murmurait au fond de lui-même qu’il resterait assez à Varsovie pour aller aussi au bout d’Anne-Liese.

Même si la piste de Roman Ziolek s’effondrait. C’était pourtant à cause de petites fantaisies de ce style que les meilleurs agents plongeaient. Seulement, on ne vit qu’une fois et Malko avait toujours éprouvé une attirance dangereuse pour la roulette russe.