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Penaud, le milicien, qui avait voulu faire du zèle, baissa la tête. Depuis quatre heures, il veillait à ce que la gynécologue se tienne sans arrêt sur la pointe des pieds. La « Stoika », torture favorite du S.B. Parfait pour briser la volonté et la résistance physique et, en plus, ne laissant aucune trace. Mais ce n’était que le hors-d’œuvre avant le véritable interrogatoire. Maryla le savait. Elle n’ignorait pas non plus que le S.B. n’avait recours aux violences physiques que dans les cas graves. Sentant la volonté de conciliation de l’officier, elle tourna la tête vers lui.

— Je voudrais vous aider, dit-elle, mais je n’ai rien de plus à vous dire que ce que j’ai déjà déclaré. J’exige qu’on me libère. C’est indigne, ce que vous me faites.

Le capitaine Pracek ne répondit pas. Il avait des ordres écrits du Directorat n°4 pour faire parler Maryla Nowicka. Pour lui faire dire quel renseignement elle avait donné à l’agent étranger. Par tous les moyens. Le général commandant le S.B. avait lui-même téléphoné à Pracek. C’était le grand jeu.

— Si vous vous obstinez à ne pas répondre, dit le capitaine, vous serez jugée et sévèrement condamnée pour vos contacts avec un espion. On peut vous garder vingt ans ou plus en prison… De toute façon, l’espion a été arrêté et a déjà avoué. Vous feriez mieux de faire la même chose. On en tiendra compte…

Maryla Nowicka tremblait de tous ses membres pour essayer de rester sur la pointe des pieds. Ne pas donner à l’officier du S.B. le spectacle d’une nouvelle défaite. Mais c’était impossible. Tout à coup elle s’effondra sur elle même, sanglotant d’épuisement et d’humiliation. Le capitaine Pracek arrêta le milicien qui allait la frapper.

— Amène-la dans la salle n°3, dit-il.

Le milicien posa sa matraque et se pencha sur la gynécologue pour la forcer à se relever. Il y parvint difficilement : Maryla Nowicka ne tenait plus sur ses jambes. Elle avait les yeux vitreux. Le milicien dut passer un bras autour de ses épaules pour la traîner hors de la pièce. Furieux de cet effort supplémentaire, il lui jeta :

— Tu vas me regretter là-bas.

La salle n°3 était celle des interrogatoires « forcés ».

* * *

Le milicien laissa la gynécologue s’effondrer dans le fauteuil et profita de son absence de résistance pour lui lier le torse, le cou, les poignets et les chevilles avec les courroies de cuir fixées au fauteuil.

La pièce ne comportait que ce siège de dentiste, avec tous ses accessoires, une table de bois maculée de taches brunes et un banc. Les murs étaient tapissés de liège et la porte donnant sur le couloir rembourrée de cuir. De grosses planches clouées en travers des fenêtres empêchaient le bruit de s’en aller par là.

La seule lumière venait du grand scialytique disposé au-dessus du fauteuil de dentiste. Une lumière blafarde et sinistre, avec des reflets bleuâtres.

Le milicien acheva de fixer une sorte de carcan métallique prolongeant le dos du fauteuil qui immobilisait complètement la tête de la gynécologue. Enfin, il lui glissa entre les dents un bloc de caoutchouc, un peu comme les protège-dents de boxeurs. Mais il comportait à chacune de ses extrémités un fil d’acier dont les deux bouts se réunissaient derrière la nuque, empêchant le sujet de se débarrasser de l’appareil et maintenant la bouche ouverte.

Maryla Nowicka ouvrit les yeux et son regard croisa celui du milicien. Ce qu’y lut ce dernier lui fit détourner la tête, gêné. Il n’était pas encore endurci. En sortant de la pièce, il se heurta à deux hommes. Le capitaine Pracek et un homme en blouse blanche effacé et frêle, avec un visage allongé et des yeux sans couleur.

— Tu gardes la porte, dit le capitaine Pracek. Personne n’entre.

Il n’avait plus son fume-cigarette. S’approchant du fauteuil, il se pencha sur Maryla Nowicka qui n’ignorait plus ce qui l’attendait. Maintenant, elle avait récupéré un peu.

— Alors ? interrogea-t-il. Que t’a-t-il demandé ?

— Si je connaissais des gens qui veuillent travailler avec lui, répondit Maryla Nowicka qui avait réfléchi.

Lui jeter quelques miettes, au moins.

— Bien, fit le capitaine Pracek. Donc tu avoues avoir travaillé comme espionne.

— Oui, souffla Maryla Nowicka.

L’officier se pencha un peu plus, parlant toujours d’une voix posée.

— Et tu lui as donné des noms ?

— Non. Je n’en connaissais pas.

— Ah ! C’est bien.

Le capitaine Pracek hochait la tête avec un sourire satisfait. Son sourire s’effaça d’un coup. Il se pencha presque à toucher la gynécologue et hurla :

— Salope ! Menteuse ! Tu as fini de te foutre de moi. On sait ce qu’il cherche ! Tu l’as envoyé voir quelqu’un ? Oui ? Oui ? Oui ?

Il criait tout contre son oreille. Maryla Nowicka ferma les yeux et Pracek se calma d’un coup. Il se retourna vers l’homme en blouse blanche qui attendait en silence.

Witold Borowski était dentiste de profession. Sa famille se trouvait dans la partie annexée par l’Union soviétique et le S.B. lui faisait miroiter un transfert. À condition de rendre certains services… Le capitaine Pracek l’attira à l’écart.

— Tu me garantis que cela ne laisse pas de traces…

Le dentiste approuva :

— Au bout de quelques heures, on ne verra plus rien. Les acides buccaux décolorent la cavité.

— Très bien, vas-y, un petit trou pour commencer.

Le dentiste s’approcha du fauteuil et prit une fraise ronde en tungstène. C’était un vieil appareil dont le moteur tournait entre 20 000 et 75 000 tours/minute. Plus c’était lent, plus la douleur était violente. Il glissa l’extrémité de la fraise entre les mâchoires maintenues écartées par le bloc de caoutchouc et posa la fraise sur une molaire de la mâchoire inférieure.

— Vas-y, ordonna Pracek.

Witold Borowski appuya sur la pédale, cherchant à tout prix à éviter le regard de Maryla Nowicka. Sa main tremblait. Creuser une dent vivante causait une douleur horrible, insoutenable, inhumaine. Maryla Nowicka vida ses poumons de tout l’air qu’ils contenaient, enfonça ses ongles dans ses paumes. Borowski bredouilla :

— Pardon, pardon, madame…

La fin du mot fut noyée dans le hurlement de la gynécologue. Elle avait espéré se retenir, mais c’était impossible. La fraise venait d’attaquer les filets nerveux qui remontaient au niveau de l’émail. Tendue en arc, retenue par les cercles d’acier qui lui sciaient la gorge et le front, elle hurlait comme une bête.

Le dentiste leva le pied de la pédale, le front couvert de sueur :

— Continue !

L’ordre claqua comme un coup de fouet. Docilement, il remit la fraise en place, appuya. En quelques secondes le millimètre et demi d’émail fut perforé et la fraise mordit dans la pulpe richement irriguée de terminaisons nerveuses.

Les hurlements de Maryla Nowicka devinrent si stridents que le capitaine Pracek recula instinctivement comme si les cris avaient pu le blesser… Les dents serrées sur le manche de la fraise, les yeux révulsés, la gynécologue hurlait, tétanisée. La courroie immobilisant son bras gauche céda d’un coup. Sa main balaya son bourreau, la fraise, tout l’appareil. Elle continuait à souffrir et à crier, avec l’impression que la fraise lui creusait le cerveau.

Le capitaine Pracek tira le dentiste en arrière.

— Attends !

Il prit une courroie de secours sous le fauteuil, rabattit le bras gauche de la gynécologue et le rattacha, au bras du fauteuil. Maryla Nowicka s’était tue. Il se pencha sur ses yeux fermés, sur ses mâchoires serrées.

— Alors, dit-il, tu es prête à répondre maintenant ? Maryla Nowicka ne desserra même pas les mâchoires.