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Elle savait qu’elle devait tenir, tenir. Pour que Malko ait le temps de mener son enquête. Le capitaine Pracek secoua la tête, plein de commisération affectée :

— Idiote, on va te creuser toutes les dents. Tu vas devenir dingue. Ensuite, on trouvera autre chose. Mais on ne te lâchera pas tant que tu n’auras pas dit ce que tu sais.

Il recula et fit signe au dentiste de recommencer.

* * *

Les mots frappèrent Malko comme des coups. Il revoyait la gynécologue s’éloigner dans le froid. Les autres n’avaient pas perdu de temps. Cyrus Miller le poussa dans l’ascenseur et remarqua :

— Cela change pas mal de choses.

Malko savait ce qu’il voulait dire. Si Maryla Nowicka parlait, les Polonais se mettraient eux aussi à la recherche de la mystérieuse fiancée de Roman Ziolek. Et ils risquaient de la trouver avant Malko. Ils pouvaient aussi penser qu’il l’avait déjà trouvée et vouloir le mettre hors d’état de nuire. Ou le faire parler. Il calculait tout cela dans sa tête. Son sort reposait entre les mains de la gynécologue.

— Pour moi, cela ne change rien, s’entendit-il dire. Cyrus Miller hocha la tête.

— Vous avez des pulsions suicidaires… Malko s’extirpa un sourire triste.

— Non. Mais c’est une question d’heures ou de jours, maintenant. Si je ne trouve pas cette femme, les Polonais vont le faire et l’éliminer. Nous avons déjà eu trop de mal à arriver jusque-là. Il n’y aura pas un second témoin-miracle pour confondre Ziolek…

— Bravo, fit Miller, mais il va vous falloir le diable pour réussir avec le S.B. sur le dos.

— Tant que je n’aurai rien trouvé, je ne risque rien, assura Malko. Je suis leur « foret ». Mais dès que je planterai mes dents dans ma proie, ils tenteront de me récupérer. Seulement, Mr. Miller, les forets ont aussi des dents et sont très vifs…

L’ascenseur s’arrêta au rez-de-chaussée et les deux hommes sortirent de la cabine.

— J’ai connu des gens comme vous, fit le chef de station de la C.I.A. Ils sont tous morts dans des circonstances désagréables. Je ne vous le souhaite pas, mais… Une dernière fois, voulez-vous décrocher, oui ou non ?

— Non, dit Malko. Pas encore. J’ai avancé et je continue.

— Alors, allez au diable, fit Cyrus Miller avec humeur.

— J’y vais, fit Malko.

Il sortit de l’ambassade, à la fois ragaillardi et tendu. Au fond la C.I.A. jouait toujours un jeu aussi ambigu. On le pressait de décrocher, mais on le laissait continuer jusqu’à l’extrême limite. Par miracle, un taxi vide remontait Sobieskego. Heureux présage. Malko donna l’adresse du Victoria. Il avait trouvé un moyen amusant de contrer le S.B.

Il l’espérait du moins.

Arrivé à l’hôtel, il ne monta même pas dans sa chambre et fila vers les cabines téléphoniques derrière le desk. Il composa le numéro que lui avait donné Anne-Liese. On répondit à la seconde sonnerie. La voix calme de la jeune Polonaise se réchauffa dès que Malko s’annonça.

— C’est gentil de me téléphoner, dit-elle.

— Je m’ennuie, dit Malko. J’ai besoin d’un peu de frustration…

Elle rit.

— Vous êtes masochiste. Très bien, je peux vous donner autre chose, vous savez. Venez me voir.

— Il fait un peu moins froid, dit Malko, j’ai envie de prendre un peu l’air. Ce matin, j’ai visité plusieurs églises, ce n’est pas très gai.

Le rire, de nouveau.

— Voulez-vous que je vous emmène acheter du caviar ? proposa Anne-Liese. Et que nous le mangions ensemble ensuite ? Chez moi ?

Malko laissa s’écouler quelques secondes.

— C’est une bonne idée, dit-il enfin. Quand ?

— Dans une heure, à votre hôtel, dit Anne-Liese.

— Au bar, dit Malko.

* * *

Anne-Liese pénétra dans le bar vert, altière comme une frégate entrant au port. Suivie par les regards atrocement lubriques des rares consommateurs, qui s’éteignirent lorsqu’elle vint s’asseoir à côté de Malko.

— Alors, dit-elle, vous vous êtes promené sans moi ?

— Oui, avoua Malko, j’ai eu envie de voir Stare Miasto. C’est extraordinaire, n’est-ce pas, et tellement beau. Mais quel froid !

Le garçon apporta une vodka pour Anne-Liese. Lui avait à peine touché à sa Beck’s. L’extraordinaire poitrine était, cette fois, moulée par un haut fermé jusqu’au cou par des dizaines de boutons, très strict, ce qui faisait encore plus ressortir la masse impressionnante des seins…

Malko attendait, ne voulant pas dire le moindre mot qui puisse mettre la Polonaise en éveil. Il bâilla.

— Je me demande finalement si je ne vais pas faire la sieste…

Anne-Liese prit l’air choqué.

— Vous ne voulez pas de caviar !

— Il n’y en a pas à l’hôtel ?

— Non, il n’est pas bon. Venez, vous verrez, c’est un endroit amusant.

— Bien, dit Malko, dans ce cas, prenons un taxi et allons-y.

Anne-Liese était déjà debout. Ses seins pointaient à l’horizontale, comme deux obus de 155. Malko la précéda, assez content de lui. Son opération de « retournement » avait commencé. À l’insu de la principale intéressée… Mais le barillet de la roulette russe tournait aussi.

— Haaaaah !

Le cri de Maryla Nowicka franchit la porte fermée de la salle n°3 et se répandit dans tout le centre d’interrogatoire comme une odeur d’éther.

Les deux miliciens de garde échangèrent un sourire contraint et faussement rigolard. Dans le bureau voisin, une secrétaire plongea le nez dans sa machine à écrire. Rarement un interrogatoire s’était autant prolongé. Chaque séance durait une demi-heure environ. Le temps de percer une ou deux dents. Guère plus, parce que la douleur faisait s’évanouir la gynécologue.

La porte s’ouvrit sur le capitaine Pracek qui fit signe aux miliciens de venir chercher la prisonnière. Le dentiste était en train de défaire ses courroies de cuir. Maryla Nowicka gisait sur le fauteuil, la tête en arrière, livide, les traits tirés, une veine battant follement sur son cou.

Le dentiste était en train de démonter sa fraise d’un air honteux. Les miliciens prirent la gynécologue sous les aisselles et la traînèrent hors de la pièce. Elle était incapable de marcher.

— Ramenez-la en bas, dit Pracek, sèchement.

Il était furieux. Confusément, il sentait qu’il venait de perdre la première manche de son combat douteux. Certes, Maryla Nowicka était brisée physiquement. Mais Pracek se rendait compte qu’elle n’était atteinte qu’extérieurement. Il avait surpris, lorsque le dentiste avait arrêté son supplice, un regard dans ses yeux gris, qui trahissait l’existence d’une énergie intérieure encore intacte, encore rebelle.

Le signe d’une victoire muette.

Il n’avait pas brisé sa résistance mentale, il n’avait pas anéanti son goût du sacrifice. Il n’avait pas fait culbuter son échelle de valeurs, il n’avait pas atteint ses remparts intimes en trouvant la fissure subtile qui anéantirait son système de défense. En un mot, il avait échoué. Or, il ne fallait pas qu’il échoue. Il réalisa après coup qu’il avait manqué un élément déterminant à son supplice.

Il fallait que le prochain interrogatoire le comporte. Sinon, ce serait de nouveau l’échec. Maryla Nowicka était un adversaire de taille. Ce qui lui donna une idée. Dès que le milicien remonta, il lui ordonna :

— Va chercher la prisonnière. On va aller à Beniaminov. Au terrain d’exercice.

La Milicja possédait un terrain de manœuvres dans les bois de Beniaminov, non loin de Varsovie, où s’entraînaient les troupes de choc, les goleniów.