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Les deux miliciens arrachèrent Maryla du divan où elle s’était tassée. Un vieux débris, bizarre dans ce décor moderne. Nul ne savait comment il avait échoué là. La gynécologue leur jeta un regard éteint, hébété. Ses caries artificielles la maintenaient dans un état de douleur permanente. Pas une seconde de repos. Elle tenta de se débattre.

— Non, non, je vous en prie, supplia-t-elle. Un des miliciens ricana :

— Ne t’en fais pas, ma belle. On ne s’occupe plus de tes dents. On va te promener.

Elle se tut. La seule idée de la fraise déclenchait des vomissements chez elle. Docilement, elle se laissa emmener jusqu’au car de la Milicja qui stationnait derrière l’immeuble.

On lui avait remis des menottes, les mains attachées derrière le dos. Il faisait froid, près de -10°, et la neige crissait sous leurs pas. Elle se demandait où on l’emmenait.

Ils roulèrent près d’une heure. Maryla Nowicka ignorait où ils se trouvaient. Aux cahots du fourgon, elle comprit qu’ils avaient quitté la route. Le fourgon finit par stopper et on ouvrit la porte. Un milicien fit descendre la gynécologue. Ils se trouvaient en plein bois, près d’un petit lac. Le capitaine Pracek entraîna Maryla Nowicka vers un ponton de bois où étaient accrochés plusieurs bateaux, avançant de quelques mètres au-dessus de l’eau gelée. Il attacha une corde à la chaîne des menottes, maintenant l’autre extrémité à son poignet. Vêtue de sa seule robe, Maryla Nowicka tremblait de tous ses membres. Pracek la tira par les cheveux.

— Une dernière fois, tu veux parler ?

— Je ne sais rien.

D’une bourrade, l’officier la fit basculer hors du ponton. La glace se brisa sous son poids et elle disparut dans le lac gelé. Aussitôt, Pracek, aidé d’un milicien, tira sur la corde jusqu’à ce que la tête fasse surface au milieu de la glace brisée.

— Tu vas rester là-dedans jusqu’à ce que tu parles, cria-t-il.

Maryla ressentait une impression bizarre. D’abord le froid l’avait mordue comme une brûlure. Au bout de quelques secondes, elle éprouva un engourdissement brutal qui la coupait de toutes sensations. Elle se demanda combien de temps elle pourrait tenir dans cette eau à quelques degrés. Les bras tirés vers le haut par la corde, elle essaya de penser à quelque chose d’agréable.

Pourvu que tout cela ne soit pas inutile.

Sur le ponton, le capitaine Pracek tapa du pied sur les vieilles planches pour se réchauffer. Personne ne pouvait supporter à la fois une douleur intolérable et la certitude de mourir.

Chapitre XIII

Un silence pesant et insolite enveloppait l’immense bazar Rözyckiego en dépit des centaines de gens qui se pressaient dans les allées de terre battue, aussi serrés que dans le métro à six heures du soir. Aucun rire, aucune conversation, les visages étaient graves, tendus. Les gens se côtoyaient, se bousculaient, se faufilaient, épaule contre épaule, sans s’excuser, sans même paraître se voir. Comme s’ils avaient été isolés les uns des autres par un cocon invisible.

Même l’extraordinaire poitrine d’Anne-Liese n’attirait pas l’attention.

Elle prit le bras de Malko avec enjouement :

— Suivez-moi !

Ils s’enfoncèrent dans une allée à gauche. Le bazar en plein air ressemblait à une gigantesque foire aux puces, avec des stands de fortune où l’on vendait de tout, des chaussures aux antiquités en passant par les vêtements. Presque tout se négociait au marché noir. Un homme engoncé dans une canadienne s’approcha d’Anne-Liese et murmura quelques mots contre son oreille. Elle se tourna vers Malko :

— Il a des bijoux à vendre. Cela vous intéresse ? Des diamants… J’adore les diamants.

— D’où viennent-ils ? demanda Malko, amusé et intrigué.

Anne-Liese haussa les épaules.

— On ne sait jamais. Des vieilles familles. Des trafiquants. Des voyageurs. Beaucoup de choses viennent de Russie. Ils veulent tous être payés en dollars. Ici, on ne voit pas beaucoup de zlotys.

— Les autorités tolèrent ce marché ? demanda Malko.

— Bien sûr, fit Anne-Liese très sérieusement, nous sommes un pays de liberté. Les paysans viennent y vendre leur production. C’est ici qu’il faut faire son marché si on veut bien manger…

Tandis qu’ils avançaient à travers la foule compacte, on leur proposa une télé couleur, des lames de rasoir, encore des bijoux, un fusil de chasse japonais. C’était La Mecque du marché noir.

— Il y a des antiquités ? demanda Malko. Anne-Liese fit la moue.

— Oui, mais ils n’ont pas grand-chose. Quelques icônes.

— J’adore les icônes, affirma Malko.

Cent mètres plus loin ils arrivèrent devant un stand de brocanteur, devant lequel se trouvait un chauve à la barbe rousse, la bedaine pointant, sous un tablier sale. Malko s’arrêta. D’après son physique, il ne pouvait s’agir que de Jacisk Mikolawska, le prêtre défroqué indiqué par le père Pajdak.

Malko commença à inspecter le bric-à-brac sous l’œil intéressé de son propriétaire. Celui-ci les invita à entrer dans le petit stand où, grâce à un petit poêle, il faisait presque chaud.

— J’ai une pièce unique, annonça-t-il, d’un ton confidentiel. Une Vierge de Nuremberg en parfait état qui ferait la gloire d’un musée. Pour un prix ridicule.

— Combien ? demanda Malko.

— En zlotys ou en dollars ?

— En dollars.

— 50 000.

— Il parcourt nos campagnes, expliqua Anne-Liese, inspecte toutes les vieilles églises. Heureusement, les Allemands n’ont pas tout pillé…

— Voyons cette Vierge de Nuremberg, demanda Malko. Avec un geste solennel, le prêtre défroqué fit glisser une toile grise découvrant une superbe statue de bois enluminée. Malko eut du mal à rester impassible. C’était la réplique exacte de celle dans laquelle avait été assassiné le vieil antiquaire à Vienne…

Prenant son silence pour de l’admiration, le barbu roux s’extasia :

— N’est-ce pas qu’elle est superbe. Trois siècles…

Avec un peu de chance, elle avait trois mois. Anne-Liese ouvrit son manteau. Le propriétaire de la Vierge tomba en extase. Comme si on l’avait mis nez à nez avec les Saintes Reliques. Il se retenait d’allonger la main, mais c’était tout juste.

Pour s’amuser, Malko annonça :

— Si vous me faites un prix, je pourrais prendre cette Vierge. Mais comment la sortir du pays ?

— Pas de problème, assura aussitôt le barbu, je me charge de tout.

Malko recula d’un pas, « admirant » la fausse Vierge de Nuremberg. La boucle était bouclée.

— Je vais réfléchir, dit Malko. Nous reviendrons. Vous n’avez pas de caviar, par hasard ? ajouta-t-il en souriant.

Bizarrement, l’œil du défroqué s’alluma.

— Non, fit-il, mais je sais où vous pouvez en trouver. Le stand numéro 37, un peu plus loin sur la gauche.

— Merci, dit Malko.

Ils replongèrent dans la foule silencieuse et terne. On se retournait sur les vêtements de Malko. Il aurait pu repartir de ce marché nu comme un ver et plein de dollars. Un jeune homme l’aborda et lui proposa très poliment de lui acheter son manteau et ses chaussures…

Le cœur de Malko battait plus vite. Ils se dirigeaient droit vers le stand désigné par le prêtre défroqué. Dans quelques secondes, il risquait de se trouver en face de celle qui savait.

— C’est là, annonça Anne-Liese.

Un numéro en peinture bleue annonçait « 37 ». Cette fois, c’était une boutique de jouets. Quelques superbes babas russes trônaient au milieu d’un fouillis incroyable. Derrière une énorme matrone, pesant au moins 120 kg, enroulée dans des nippes sans forme, se chauffant les mains à un brasero. Les cheveux sous un foulard et le teint rubicond…