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En descendant de carrosse devant l’entrée principale – qui était encore la porte de Bourbon mais plus pour longtemps, car Louis XIV avait décidé de raser tout ce qui restait du Vieux Louvre –, Sylvie fut abordée par un gentilhomme d’une quarantaine d’années, portant beau encore que vêtu à une mode vieille d’une dizaine d’années, dont la tournure ainsi que le teint basané dénonçaient un coureur d’aventures venu de loin. Son visage irrégulier n’était pas sans charme et il montra une politesse parfaite en saluant Sylvie :

— Je vous demande en grâce de me pardonner si je vous suis importun, madame, mais j’étais dans la foule tout à l’heure et quelqu’un vous a signalée à mon attention comme étant Mme la duchesse de Fontsomme. Je serais désespéré de faire erreur car je serais alors impardonnable…

— On ne vous a pas trompé, monsieur. Je suis bien celle que l’on vous a dit mais… puis-je savoir en quoi je vous intéresse ?

— J’aimerais obtenir de vous un instant d’entretien. J’avais pensé me présenter à votre hôtel mais vous n’y êtes pas souvent et vous me pardonnerez, j’espère, d’avoir saisi l’occasion.

— Qu’avez-vous donc de si important à me dire, monsieur ? Vous comprendrez sans peine que je ne puisse m’arrêter plus longtemps ni retenir au seuil du palais les dames qui m’attendent ?

— Pas ici, sans doute, mais j’ai eu, madame la duchesse, l’honneur de vous demander un entretien…

— Soit. Eh bien, puisque vous connaissez mon hôtel, soyez-y demain vers six heures du soir. Je ne serai pas de service. Mais… auparavant, me confierez-vous votre nom ?

L’inconnu balaya le sol des plumes fatiguées de son chapeau :

— Acceptez mes excuses ! J’aurais dû commencer par là ! Je me nomme Saint-Rémy, Fulgent de Saint-Rémy et je viens des Îles. J’ajoute que nous sommes un peu parents…

Ces derniers mots trottèrent longtemps dans la tête de Sylvie tandis qu’elle gagnait l’appartement de la Reine avec ses compagnes. Ils en furent chassés par ce qu’elles y trouvèrent : la duchesse de Béthune, provisoirement en bon état – les apothicaires parisiens n’avaient pas de meilleure cliente ! –, venait d’arriver pour prendre le service que Mme de Fontsomme assumait depuis le mariage. Elle avait commencé par vouloir inspecter la garde-robe de Marie-Thérèse ainsi que ses bijoux, mais elle comptait sans Maria Molina qui, flanquée des autres femmes espagnoles, de Nabo et de Chica, ne l’entendait pas de cette oreille et prétendait tout simplement la mettre à la porte. En fait de dame d’atour, Molina ne connaissait que « Mme de Fontsomme » et ne comprenait pas ce que cette intruse venait faire ici, pourquoi elle tripotait des bijoux dont la conservation ne relevait pas d’ailleurs de la dame d’atour mais du garde du cabinet. Comme elles employaient toutes deux une langue différente, la compréhension n’était pas au rendez-vous et le combat semblait d’autant plus chaud.

Mme de Motteville et Sylvie se jetèrent dans la bataille oratoire qui sans elles serait peut-être allée plus loin, Molina se montrant facilement agressive dès qu’il s’agissait de « son Infante » et Mme de Béthune possédant un caractère difficile. Née Charlotte Séguier et fille du Chancelier – le potentat doré de tout à l’heure ! – elle en avait hérité l’arrogance et se croyait, selon l’expression de Mme de Motteville qui ne l’aimait pas, « plus duchesse que toutes les autres ».

Lorsque le calme revint, le ressentiment de Mme de Béthune ne fut pas apaisé pour autant. Avec une parfaite injustice il alla tout entier à « Mme de Fontsomme qui aurait dû, dès l’arrivée de l’Infante en France, apprendre à ses domestiques le nom de la véritable dame d’atour et non s’installer dans la fonction comme si elle n’en était pas simplement suppléante ». Le tout sur un ton cassant qui exaspéra Sylvie.

— Et pourquoi pas les inciter à vous héberger chaque soir dans leurs prières ? riposta-t-elle. Si vous étiez venue à Saint-Jean-de-Luz comme vous en aviez le devoir, je n’aurais pas eu besoin de vous remplacer…

— Me sachant souffrante, vous auriez dû venir m’en demander permission avant de partir !

— Vous demander permission quand j’avais reçu, du Roi lui-même, l’ordre d’être présente là-bas ? Mais vous rêvez, madame !

— Entre gens de bonne compagnie, c’est ainsi que les choses se passent, ou se devraient passer.

— Vous vous en expliquerez avec Leurs Majestés.

— Je n’y manquerai pas, soyez-en sûre. L’étiquette…

— … n’a rien à voir avec vos états d’âme, coupa Suzanne de Navailles impatientée. En tout cas, vous devriez y regarder à deux fois avant d’importuner Leurs Majestés. La Reine aime beaucoup Mme de Fontsomme avec qui elle peut parler sa langue natale. Ce qui n’est pas votre cas. Quant au Roi qu’elle a jadis initié à la guitare, il a pour elle plus que du respect…

Lorsque Marie-Thérèse arriva, recrue de fatigue après cette longue journée de représentation sous un soleil ardent, ses femmes s’empressèrent autour d’elle pour la libérer de ses lourds vêtements de parade mais, quand Molina voulut défaire la coiffure, Mme de Béthune s’interposa :

— C’est à la dame d’atour d’accomplir cette fonction.

Et elle repoussa Molina pour s’emparer de la Reine que l’on avait enveloppée d’un peignoir de fine batiste. Mais n’est pas coiffeuse qui veut et, au bout de quelques instants, il fut évident qu’en ôtant les fils de perles ou les pierres isolées, elle tirait copieusement les cheveux de sa patiente qui cependant ne disait rien, subissant son supplice avec une douceur exemplaire. Mme de Navailles, elle, ne le supporta pas longtemps :

— Tudieu, madame, quelle maladroite vous faites ! Laissez ces soins à qui en est capable.

— La Reine ne se plaint pas, que je sache !

— Non, coupa une voix autoritaire, parce qu’elle est la bonté même et qu’elle doit considérer cela comme une pénitence à offrir au Seigneur ! Retirez-vous, madame de Béthune, et laissez faire Molina !

Flanquée de l’indispensable Motteville, la Reine Mère venait de faire son entrée chez sa belle-fille, imposante et majestueuse à son habitude, et devant elle toutes les dames plièrent le genou. Elle leur sourit, mais n’en avait pas fini avec Mme de Béthune qu’elle n’était pas fâchée de pouvoir tancer : n’était-elle pas la fille de ce Séguier qui, au temps de ses épreuves, avait poussé l’audace jusqu’à porter la main sur elle pour s’emparer d’une lettre[59] ? Une offense que la fière Espagnole n’avait jamais pardonnée. Or Mme de Béthune ressemblait beaucoup à son père.