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– Mais ils pourraient m’empêcher de partir! déclara K. un peu influencé par le discours de son oncle.

– Je ne crois pas qu’ils le feraient, répondit l’oncle pensivement, ils gardent assez de pouvoir, même en te laissant voyager.

– Je pensais, dit K. en prenant son oncle sous le bras pour l’empêcher de s’arrêter, que tu accorderais à cette histoire encore moins d’importance que moi; mais je vois que tu la prends encore plus mal.

– Joseph! Joseph! s’écria l’oncle en cherchant à se dégager pour pouvoir s’arrêter – mais K. ne le lâcha pas – Joseph, on t’a changé, je t’avais toujours connu un jugement sûr et voilà que la tête t’abandonne; veux-tu donc perdre ton procès? Sais-tu ce que cela signifierait? Cela voudrait dire tout simplement que tu serais rayé de la société, et toute ta parenté avec; en tout cas, ce serait la pire humiliation. Joseph, ressaisis-toi, je t’en prie, ton indifférence me rend fou. À te voir, on croirait presque le proverbe: «Avoir un pareil procès c’est déjà l’avoir perdu.»

– Cher oncle, dit K., tu t’excites; il ne sert à rien de s’exciter; pas plus à moi qu’à toi. Ce n’est pas en s’excitant qu’on gagne les procès; permets-moi de faire valoir un peu mon expérience, tu sais bien que j’écoute toujours la tienne, même quand elle me surprend. Puisque tu dis que toute la famille aurait à souffrir du procès, ce que je ne comprends pas pour ma part – mais c’est secondaire – je veux bien faire tout ce que tu me diras, mais je ne crois pas que ce séjour à la campagne soit profitable dans le sens où tu l’entends, car une fuite équivaudrait à un aveu. D’ailleurs, si je suis plus exposé aux poursuites en restant ici, j’y suis mieux aussi pour me défendre.

– Fort bien, dit l’oncle sur un ton qui marquait un rapprochement, je ne te faisais cette proposition que parce que je te voyais gâcher ici ta cause par ton indifférence et que j’aurais trouvé meilleur de m’en occuper à ta place, mais si tu veux t’y mettre toi-même de toutes tes forces c’est naturellement beaucoup mieux.

– Nous voilà donc d’accord là-dessus, déclara K., et peux-tu me dire maintenant ce que je devrais faire en premier?

– Il faut me laisser le temps de réfléchir, dit l’oncle, songe qu’il y a vingt ans que j’ai quitté la ville, le flair s’émousse, on ne sait plus à quelle porte on doit frapper. Les relations que j’entretenais avec des personnalités qui auraient peut-être pu te servir dans cette aventure se sont relâchées d’elles-mêmes. Je suis un peu abandonné à la campagne, tu le sais, c’est dans des occasions comme celle-ci qu’on le remarque. Ton affaire se présente à moi d’une façon bien inopinée, quoique la lettre d’Erna m’y ait un peu préparé et que ton attitude présente confirme presque mes pressentiments. Mais peu importe; l’essentiel est maintenant de ne pas perdre une minute.»

Parlant encore, il s’était dressé sur la pointe des pieds, et il avait déjà fait signe à une auto; tout en jetant une adresse au chauffeur, il poussait K. dans la voiture.

«Nous allons de ce pas, dit-il, chez maître Huld l’avocat; c’est un de mes anciens condisciples; tu le connais certainement de nom; tu dis que non? voilà qui est étrange! Il a pourtant une assez grosse réputation comme défenseur et avocat des pauvres. Mais c’est surtout l’homme en lui qui m’inspire confiance.

– Je suis d’accord avec toi dans tout ce que tu entreprends», dit K. malgré la hâte et la brusquerie avec lesquelles son oncle traitait l’affaire.

Il n’était pas très réjouissant pour un accusé d’aller trouver l’avocat des pauvres.

«Je ne savais pas, dit-il, qu’il fallût prendre un avocat dans une affaire de ce genre.

– Mais, voyons, dit l’oncle, c’est tout naturel! Pourquoi n’en prendrait-on pas? Et maintenant raconte-moi tout ce qui s’est passé jusqu’ici pour me mettre au courant de l’affaire.»

K. dévida immédiatement son histoire sans en rien taire, car il ne pouvait protester que par une entière franchise contre l’opinion de son oncle qui voyait une grande honte dans ce procès. Il ne mentionna qu’une fois, et de façon superficielle, le nom de Mlle Bürstner; mis cela n’entamait pas sa loyauté puisque la jeune fille n’avait rien à voir avec le procès. Tout en parlant, il regardait par la portière; il vit alors qu’ils se rapprochaient du faubourg où se trouvaient les bureaux de la justice et il le fit observer à son oncle, mais l’oncle ne vit rien de bien curieux dans cette coïncidence. La voiture s’arrêta devant une sombre maison. L’oncle sonna à la première porte du rez-de-chaussée; il souriait en faisant voir ses grandes dents pendant qu’ils attendaient la réponse, et chuchotait à son neveu:

«Huit heures… ce n’est vraiment pas une heure pour les clients! mais Huld ne m’en voudra pas.»

Deux grands yeux noirs vinrent se montrer derrière le judas de la porte, regardèrent un instant les visiteurs, puis disparurent; mais la porte ne s’ouvrit pas. L’oncle et K. se confirmèrent réciproquement le fait qu’ils avaient vu les yeux.

«C’est une nouvelle bonne qui a peur des étrangers», dit l’oncle en frappant de nouveau.

Les deux yeux apparurent encore, ils avaient presque l’air triste, mais peut-être n’était-ce qu’une illusion d’optique provoquée par la flamme du gaz qui brûlait en sifflant au-dessus de leur tête sans donner cependant plus qu’une faible lueur.

«Ouvrez! cria l’oncle en frappant du poing, ce sont des amis de monsieur l’avocat.

– Monsieur l’avocat est malade», chuchota quelqu’un derrière eux.

C’était un monsieur en robe de chambre, debout sur le seuil d’une porte, à l’autre extrémité du couloir, qui avait fait cette déclaration d’une voix extrêmement basse. L’oncle, déjà furieux de sa longue attente, se retourna d’un coup pour crier:

«Malade? vous dites qu’il est malade?» et il s’avança d’un air menaçant comme si ce monsieur eût représenté la maladie elle-même.

«On vous ouvre», dit le monsieur en montrant la porte de l’avocat, puis il referma sa robe de chambre et disparut.

La porte s’était vraiment ouverte. Une jeune fille – K. reconnut les yeux noirs du judas, c’étaient des yeux un peu saillants – une jeune fille se tenait dans le vestibule, enveloppée d’un long tablier blanc et une bougie à la main.

«Une autre fois, vous ouvrirez un peu plus tôt, dit l’oncle avant de la saluer, tandis que la jeune fille faisait une petite courbette. Viens, Joseph, dit-il ensuite à K.

– Monsieur l’avocat est malade», dit la jeune fille en voyant que l’oncle se dirigeait vers l’une des portes sans prendre le temps de s’arrêter.

K. ne cessait de la regarder avec étonnement bien qu’elle se fût déjà retournée pour refermer. Elle avait une figure poupine et toute ronde; non seulement ses pâles joues et son menton, ses tempes elles-mêmes étaient rondes, et son front était rond aussi.

«Joseph!» cria encore l’oncle, puis il demanda à la jeune fille: «C’est le cœur sans doute?

– Je crois», dit la jeune fille qui était revenue leur montrer le chemin avec sa lumière et leur ouvrir la porte de la chambre.

Dans un angle de cette pièce, où la lueur de la bougie ne pénétrait pas encore, un visage à longue barbe s’éleva au-dessus du lit:

«Qui vient donc là, Leni? demanda l’avocat, aveuglé par la lumière.

– C’est Albert, c’est ton vieil ami, dit l’oncle.

– Hélas! Albert, fit l’avocat en se laissant retomber sur son oreiller comme s’il n’avait rien à cacher à ce visiteur.

– Cela va-t-il tellement mal? demanda l’oncle en s’asseyant sur le bord du lit. Je ne pense pas, c’est un accès de faiblesse cardiaque comme tu en as déjà eu si souvent et qui passera comme les autres.

– C’est possible, fit l’avocat à voix basse, mais il est pire que tous les autres. J’ai peine à respirer, je ne dors pas et je perds mes forces chaque jour.

– Ah! Ah! dit l’oncle en appuyant son panama de sa grande main sur son genou. Voilà de mauvaises nouvelles! Es-tu bien soigné, tout au moins? il fait si triste ici, si sombre. Il y a déjà longtemps que je ne suis plus venu, il me semble qu’autrefois ta maison était plus gaie. Ta petite demoiselle a l’air d’être bien triste, elle aussi, à moins que ce ne soit un masque.»

La jeune fille restait toujours avec sa bougie près de la porte; autant que le vague de son regard permît de s’en rendre compte, elle semblait regarder K. plutôt que l’oncle, même quand celui-ci parlait d’elle.