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« Qui c’est ? Qui t’es, toi ? »

Lolla-Wossiky se retourna si vite qu’il faillit en tomber. Un grand homme blanc se tenait en bordure de la construction. Le plancher montait si haut qu’il lui arrivait à la taille. L’homme ne portait pas de peau de daim comme un chasseur, ni d’uniforme comme un soldat. Il était habillé comme un fermier, peut-être bien, seulement il était propre. En fait, Lolla-Wossiky n’avait jamais vu d’hommes de son espèce à Carthage.

« Qui t’es, toi ? redemanda l’arrivant.

— Homme rouge, répondit Lolla-Wossiky.

— L’jour baisse, mais il fait tout d’même pas ’core nuit. Faudrait que j’soye aveugle pour pas remarquer que t’es un Rouge. Mais j’connais les Rouges du pays, et toi t’es pas d’icitte. »

Lolla-Wossiky éclata de rire. Comme si un homme blanc pouvait différencier un Rouge d’un autre au point de dire lequel était du pays et lequel venait d’ailleurs !

« T’as un nom, l’homme rouge ?

— Lolla-Wossiky.

— T’es soûl, hein ? J’sens ça d’icitte, et tu marches pas trop droit.

— Très soûl. Rouge-à-whisky.

— Qui donc t’a donné du whisky ? Dis-le moi ! Où t’as eu ce whisky ? »

Lolla-Wossiky ne savait que penser. L’homme blanc ne lui avait encore jamais demandé où il trouvait son whisky. L’homme blanc le savait toujours. « C’est l’assassin-blanc Harrison, dit-il.

— Harrison, il est à deux cents milles au sud-est. Comment qu’tu l’as appelé ?

— Le gouverneur Bill Harrison.

— Tu l’as appelé l’assassin-blanc Harrison.

— Rouge très soûl.

— J’vois ça. Mais t’as pas pu boire à Fort Carthage et faire tout ce chemin à pied sans dessoûler. Alors, où t’as eu ce whisky ?

— Vous allez m’enfermer ?

— T’enfermer… et où donc tu veux que je t’enferme, tu peux me l’dire ? T’es vraiment de Fort Carthage, hein ? Alors, écoute, monsieur Lolla-Wossiky : y a pas de cellule pour enfermer les Rouges soûls chez nous autres, par rapport que chez nous autres, les Rouges, ils se soûlent pas. Et si ça leur arrive, on trouve le Blanc qui leur a donné de l’alcool, et le Blanc reçoit le fouet. Tu vas donc me dire tout d’suite où t’as eu ce whisky.

— Mon whisky, fit Lolla-Wossiky.

— Tu ferais p’t-être mieux d’me suivre.

— Pour m’enfermer ?

— Je t’ai déjà dit, chez nous autres… Écoute, t’as faim ?

— M’est avis, fit Lolla-Wossiky.

— Tu connais où manger ?

— Je mange là où je suis.

— Bon, ce soir tu t’en viens manger à la maison. »

Lolla-Wossiky ne savait pas quoi dire. Était-ce une blague d’homme blanc ? Les blagues de l’homme blanc étaient très difficiles à comprendre.

« T’as pas faim ?

— M’est avis, répéta Lolla-Wossiky.

— Eh ben, viens-t’en, alors ! »

Un autre homme blanc montait la colline. « Armure-de-Dieu ! lança-t-il. Votre chère épouse se demandait où vous étiez.

— Une minute, révérend Thrower. Il m’semble qu’on va p’t-être avoir de la compagnie à dîner.

— Qui c’est ? Holà, Armure-de-Dieu, il me semble bien qu’il s’agit d’un Rouge.

— Il dit qu’il s’appelle Lolla-Wossiky. C’est un Shaw-Nee. Et pis il est soûl comme une grive. »

Lolla-Wossiky était très surpris. Cet homme blanc savait qu’il était un Shaw-Nee sans même l’avoir demandé. D’après ses cheveux, tous arrachés en dehors de l’épaisse bande médiane qui lui descendait jusque dans le cou ? D’autres Rouges faisaient de même. La bordure de son pagne ? L’homme blanc ne voyait jamais ces choses-là.

« Un Shaw-Nee, fit l’homme blanc qui venait d’arriver. N’est-ce pas une tribu particulièrement sauvage ?

— Ben, euh, j’sais pas, révérend Thrower, dit Armure-de-Dieu. C’est une tribu particulièrement sobre. Par là, j’entends qu’ils se soûlent moins que d’autres. Y en a qui s’figurent que le seul Rouge dont ils ont rien à craindre, c’est le Rouge-à-whisky, alors quand ils voyent tous ces Shaw-Nees qui boivent pas, ils s’disent que ça les rend dangereux.

— Celui-ci ne semble pas appartenir à cette catégorie.

— Je sais. J’ai essayé de découvrir qui donc lui avait donné son whisky, et il a pas voulu me l’dire. »

Le révérend Thrower s’adressa à Lolla-Wossiky. « Ne sais-tu pas que le whisky est l’instrument du diable et la déchéance de l’homme rouge ?

— J’crois pas qu’il parle assez bien l’anglais pour savoir d’quoi vous causez, révérend.

— Alcool très mauvais pour l’homme rouge, dit Lolla-Wossiky.

— Bah, p’t-être qu’il comprend quand même, fit Armure-de-Dieu en gloussant. Lolla-Wossiky, si tu connais que l’alcool c’est mauvais, comment s’fait-y que t’empestes le whisky autant qu’un bar irlandais ?

— Alcool très mauvais pour l’homme rouge, reprit Lolla-Wossiky, mais l’homme rouge tout le temps soif.

— Il existe une explication scientifique simple à ce phénomène, dit le révérend Thrower. Les Européens consomment des boissons alcoolisées depuis si longtemps qu’ils se sont constitué une tolérance. Les Européens qui ne peuvent pas se passer d’alcool tendent à mourir plus jeunes, font moins d’enfants et pourvoient moins bien aux besoins de ceux qu’ils ont déjà. Il en résulte que la plupart des Européens ont un organisme qui résiste à l’alcool. Mais vous, les Rouges, vous ne vous êtes jamais forgé cette tolérance.

— Foutrement vrai, fit Lolla-Wossiky. Homme blanc qui-parle-vrai, comment ça se fait que l’assassin-blanc Harrison ne t’a pas encore tué ?

— Eh, dites, écoutez ça, fit Armure-de-Dieu. C’est la deuxième fois qu’il traite Harrison d’assassin.

— Il a aussi juré, ce que je n’apprécie pas.

— S’il est de Carthage, l’a appris à causer l’anglais avec une catégorie d’hommes blancs qui croyent que les mots comme “foutrement”, c’est de la ponctuation, si vous m’suivez, révérend. Mais écoute, Lolla-Wossiky. Cet homme, là, c’est le révérend Philadelphia Thrower, et c’est un ministre du Seigneur Jésus-Christ, alors fais attention à pas employer de gros mots devant lui. »

Lolla-Wossiky n’avait pas la moindre idée de ce qu’était un ministre… il n’y avait rien de tel à Carthage City. Il finit par se dire qu’un ministre devait ressembler à un gouverneur, mais en plus agréable.

« Tu vas habiter dans la très grande maison ?

— Habiter ici ? demanda Thrower. Oh non, c’est la maison du Seigneur.

— Qui ça ?

— Le Seigneur Jésus-Christ. »

Lolla-Wossiky avait entendu parler de Jésus-Christ. Les hommes blancs invoquaient tout le temps ce nom-là, principalement quand ils se mettaient en colère ou qu’ils mentaient. « Homme très en colère, fit Lolla-Wossiky. Habite ici ?

— Le seigneur Jésus-Christ est amour et pardon. Il n’habite pas ici à la façon d’un homme blanc qui habiterait dans une maison. Mais quand les bons chrétiens veulent faire leurs dévotions – chanter des hymnes, prier, entendre la voix du Seigneur –, nous nous réunissons ici. C’est une église, ou plutôt c’en sera une.