Выбрать главу

— Vous m’tuerez pas, Bill.

— Oh, que si, Casse-pattes. Et pour deux raisons. D’abord tu as donné la mauvaise réponse à ma requête. Ensuite et surtout, tu l’as entendue, ma requête. Tu es un homme mort, Casse-pattes.

— Ça me va. Mais faites ça avec une corde bien rugueuse. Une bonne potence bien haute et une trappe de vingt pieds. J’veux une pendaison qu’les gens s’rappelleront longtemps.

— Tu auras une branche d’arbre et on te hissera tout doucement, pour que tu t’étrangles au lieu de te briser le cou.

— Comme ça, on s’en souviendra », dit Casse-pattes.

Harrison appela des soldats et les fit remmener le trafiquant en prison. Cette fois, ils lui flanquèrent quelques coups de pieds et de crosses, dont il lui resta une toute nouvelle fournée de contusions, voire une côte cassée.

Il lui restait aussi très peu de temps.

Il s’étendit donc bien calmement sur le sol de la cellule. Les ivrognes étaient partis mais pas les trois bagarreurs, qui occupaient tous les lits de camp ; donc par terre, il n’avait pas d’autre choix. Ça ne gênait pas trop Casse-pattes. Il savait que Harrison lui laisserait une heure ou deux, le temps de réfléchir, puis qu’il le sortirait, lui passerait la corde au cou et le tuerait. Il ferait peut-être semblant de lui donner une dernière chance, bien sûr, mais sans y songer sérieusement, parce que désormais il n’aurait plus confiance. Casse pattes avait dit non, Harrison ne se fierait donc jamais à lui pour mener à bien la mission s’il le laissait partir.

Parfait. Casse-pattes comptait bien employer son temps à bon escient. Il se mit à la tâche très simplement. Il ferma les yeux et laissa un point de chaleur se développer en lui. Une étincelle. Puis il projeta cette étincelle à l’extérieur de lui-même. C’était comme ce que les sourciers prétendaient faire : ils envoyaient leur fluide fouiller sous terre, examiner ce qui s’y passait. Il mit son étincelle en chasse et trouva bientôt ce qu’il cherchait. La résidence du gouverneur Bill. Son étincelle était trop éloignée à présent pour qu’il puisse choisir une cible particulière dans la maison. Et son point de mire ne devait pas être trop précis. Aussi préféra-t-il insuffler toute sa haine et sa rage à l’étincelle, l’attiser encore et encore. Il y mit plus d’énergie qu’il ne l’avait jamais fait de toute sa vie. Et il força, et força, jusqu’à ce qu’il entende la clameur tant attendue :

« Au feu ! Au feu ! » Les cris venaient de dehors, au loin, mais de plus en plus de gorges les reprenaient. Des coups de mousquets éclatèrent… des signaux de détresse.

Les trois bagarreurs les entendirent, eux aussi. Dans leur précipitation, l’un d’eux piétina Casse-pattes allongé par terre. Debout contre la porte, qu’ils étaient, à cogner et hurler au garde : « Laissez-nous sortir ! Partez pas éteindre le feu avant qu’on soye sortis de d’là ! Nous laissez pas crever là-d’dans ! »

Casse-pattes remarqua à peine l’homme qui lui marcha dessus, tant il avait déjà mal. Il resta néanmoins sur place et recourut encore à son étincelle, mais cette fois pour chauffer le métal à l’intérieur de la serrure. Ce coup-ci, la cible était précise, et son étincelle y gagnait en ardeur.

Le garde arriva et introduisit sa clé dans la serrure ; il la tourna et ouvrit la porte. « Allez, dehors, vous autres, lança-t-il. L’sergent l’a dit, on a b’soin d’vous pour donner un coup d’main aux pompiers. »

Casse-pattes se remit péniblement sur ses pieds, mais le garde l’arrêta, bras tendu, et le repoussa dans la cellule. Casse-pattes n’en fut pas étonné. Mais il attisa encore davantage son étincelle, au point que le métal se mit à fondre à l’intérieur de la serrure. Il rougeoya même un peu. Le garde referma la porte en la claquant et voulut donner un tour de clé. Elle était à présent si chaude qu’elle lui brûla la main. Il jura et sortit un pan de sa chemise pour essayer de la saisir, mais Casse-pattes ouvrit la porte d’un coup de talon, envoyant l’autre à la renverse. Il lui marcha lourdement sur la figure et lui lança son pied dans la tête, lui brisant probablement le cou. Pour lui, ce n’était pas un meurtre. Ce n’était que justice, parce que le garde voulait le laisser enfermé dans sa cellule pour qu’il y brûle vif.

Casse-pattes sortit de la prison. Personne ne lui prêta vraiment attention. Il ne voyait pas la résidence d’où il était, mais il voyait monter la fumée. Le ciel était bas et gris. Il allait sans doute pleuvoir avant que le fort se mette à flamber. Casse-pattes espérait bien que non. Il espérait que tout serait réduit en cendres. C’était une chose de vouloir éliminer les Rouges, Harrison et lui étaient du même avis là-dessus. Les tuer avec de l’alcool chaque fois que possible, sinon avec des balles. Mais on ne tue pas des Blancs, on n’engage pas des Rouges pour torturer des petits Blancs. Peut-être que pour Harrison ça faisait partie du jeu. Peut-être qu’il l’assimilait à des soldats blancs mourant à la guerre contre les Rouges ; des soldats juste un peu plus jeunes. Ils mouraient pour une bonne cause, non ? Peut-être que Harrison voyait ainsi les choses, mais pas Casse-pattes. Il était tombé des nues, à vrai dire. Il ressemblait à Andrew Jackson plus qu’il ne le supposait. Il avait une limite qu’il ne franchirait pas. Il ne la plaçait pas au même niveau que le vieil Hickory, mais malgré tout, il avait une limite et il mourrait plutôt que de la franchir.

Évidemment, il n’était pas d’avis de mourir s’il avait moyen de l’éviter. Il ne pouvait pas s’en aller par la porte du fort, parce que la chaîne de seaux y passait et qu’on le verrait. Mais c’était assez facile de grimper par-dessus la palissade. Les soldats n’avaient pas exactement l’œil aux aguets. Il escalada le mur et se laissa tomber à l’extérieur du fort. Personne ne l’aperçut. Il franchit en marchant les dix yards le séparant de la forêt, puis lentement – car ses côtes le faisaient terriblement souffrir et l’étincelle l’avait affaibli, elle lui prenait toujours une part de lui-même – il progressa à travers bois jusqu’à la rivière.

Il sortit du couvert des arbres à l’autre bout de l’espace dégagé autour du débarcadère. Son bateau plat était là, encore chargé de tous les barils. Et ses hommes traînaient auprès, observant les pompiers qui puisaient de l’eau à une trentaine de yards en amont. Casse-pattes ne s’étonna aucunement que ses mariniers ne soient pas allés leur donner un coup de main à remplir les seaux. Faire preuve de civisme, ça n’était pas vraiment leur genre.

Il marcha jusqu’au débarcadère et fit signe à son équipe de venir le rejoindre. Puis il sauta sur le bateau plat ; il chancela légèrement, parce qu’il était faible et qu’il avait mal. Il se retourna pour informer ses hommes de ce qui se passait, pourquoi il fallait qu’ils poussent au large, mais ils ne l’avaient pas suivi. Ils restaient là, sur la berge, et ils le regardaient. Il leur refit signe, mais ils ne manifestèrent aucune intention de bouger.

Bon, eh bien, il partirait sans eux. Il s’avançait déjà vers le filin pour le larguer et se dégager tout seul à la perche, quand il s’aperçut que tous ses gars n’étaient pas à terre. Non, il en manquait un. Et il savait bien où il se trouvait, l’absent. Ici même, sur le bateau, dressé juste derrière lui, les mains tendues…

Mike Fink n’avait pas de goût pour le couteau. Oh, il s’en serait servi en cas de besoin, mais il préférait tuer à mains nues. Il avait une phrase qu’il répétait souvent, quant à ceux qui tuaient au couteau, une comparaison avec des putains et un manche à balai. En tout cas, c’était pour ça que Casse-pattes savait qu’il n’emploierait pas le couteau. Que ça n’irait pas vite. Harrison avait dû prévoir que Casse-pattes risquait de s’enfuir, alors il avait acheté Mike Fink, et maintenant Fink allait sûrement le tuer.