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— Mais là, qu’esse qui s’passe ? Pourquoi ils se bagarrent ?

— C’est à toi de l’dire, Mesure. C’est toi qu’a aidé à retourner le wigwam.

— Ça m’dépasse. J’lui ai juste causé de leurs noms, à lui et au Prophète, inscrits sus nos selles.

— Il était au courant, dit Alvin.

— Eh ben, à l’voir, on aurait dit qu’il en avait jamais entendu parler.

— Je l’ai dit moi-même au Prophète, le soir après qu’il m’a emmené dans la tour.

— T’as jamais pensé qu’il en avait p’t-être pas causé à Ta-Kumsaw ?

— Pourquoi donc ? demanda Alvin. Pourquoi il y en aurait pas causé ? »

Mesure, sentencieusement, hocha la tête. « J’ai idée que c’est exactement la question que Ta-Kumsaw est après poser à son frère.

— C’est idiot d’avoir rien dit, fit Al. J’croyais que Ta-Kumsaw avait déjà envoyé quelqu’un prévenir la famille qu’on allait bien.

— Tu connais c’que j’pense, Al ? J’pense que ton Prophète nous a tous pris pour des gourdes. J’vois pas du tout pourquoi, mais j’pense qu’il suit un plan, et le coup d’nous empêcher de retourner chez nous autres, ça fait partie du plan. Et comme not’famille, les voisins, tout l’monde, y vont forcément prendre les armes, c’est pas dur à comprendre ce qu’il cherche. Le Prophète veut qu’y ait par icitte une bonne petite guerre bien saignante.

— Non ! fit Alvin. Le Prophète dit qu’aucun homme a l’droit d’en tuer un autre qui veut pas mourir ; et c’est aussi mal de tuer un homme blanc qu’un loup ou un ours que tu veux pas manger.

— P’t-être qu’il veut nous manger. Mais il va l’avoir, sa guerre, si on rentre pas à la maison dire aux parents qu’on est sains et saufs. »

Ce fut à cet instant que Ta-Kumsaw et le Prophète se turent. Et ce fut Mesure qui rompit le silence. « Vous croyez pas, vous autres, qu’il serait temps de nous renvoyer chez nous ? » demanda-t-il.

Le Prophète se laissa aussitôt descendre en position assise, jambes croisées, sur une couverture en face des deux Blancs.

« Rentre chez toi, Mesure, dit-il.

— Pas sans Alvin.

— Si, sans Alvin, fit le Prophète. S’il reste dans cette région, il mourra.

— Qu’esse vous m’chantez là ?

— Ce que j’ai vu de mes yeux ! dit le Prophète. Les choses à venir. Si Alvin rentre chez lui maintenant, il sera mort dans trois jours. Mais toi, tu pars, Mesure. Aujourd’hui, dans l’après-midi, c’est un très bon moment pour partir.

— Qu’esse vous allez faire d’Alvin ? Vous croyez qu’il sera plus en sécurité avec vous ?

— Pas avec moi, dit le Prophète. Avec mon frère.

— C’est une idée stupide ! s’écria Ta-Kumsaw.

— Mon frère va faire beaucoup de visites : les Français à Détroit, les Irrakwas, la nation d’Appalachie, les Chok-Taws et les Cree-Eks, toutes les sortes d’hommes rouges, toutes les sortes de Blancs qui peuvent empêcher une très mauvaise guerre de se déclarer.

— Si je parle aux Rouges, Tenskwa-Tawa, je leur dirai de venir se battre avec moi et de rejeter les hommes blancs de l’autre côté des montagnes, jusqu’à leurs bateaux, jusque dans la mer !

— Dis-leur ce que tu veux, répondit Tenskwa-Tawa. Mais pars cet après-midi même et emmène le garçon blanc qui marche comme un homme rouge.

— Non », fit Ta-Kumsaw.

Une expression de douleur passa sur le visage du Prophète, et il eut un bref gémissement. « Alors toute la terre mourra, pas seulement une partie. Si tu ne fais pas ce que je dis aujourd’hui, alors l’homme blanc tuera toute la terre, d’un océan à l’autre, du nord au sud… toute la terre morte ! Et les hommes rouges mourront, sauf quelques-uns qui subsisteront sur d’horribles petites parcelles de déserts, comme dans des prisons, toute leur vie, parce que tu n’auras pas obéi à ce que j’ai vu dans ma vision !

— Ta-Kumsaw n’obéit pas à ces visions de fou ! Ta-Kumsaw est le visage de la terre, la voix de la terre ! L’oiseau rouge me l’a dit, et tu le sais, Lolla-Wossiky ! »

Le Prophète murmura : « Lolla-Wossiky est mort.

— La voix de la terre n’obéit pas à un Rouge-à-whisky borgne. »

Le Prophète était frappé au cœur, mais il garda le visage impassible. « Tu es la voix de la colère de la terre. Tu livreras bataille contre une armée puissante de Blancs. Je te le dis, cela se produira avant la première chute de neige. Si l’enfant blanc Alvin n’est pas avec toi, alors tu mourras dans la défaite.

— Et s’il est avec moi ?

— Tu vivras, dit le Prophète.

— J’suis content de partir avec Ta-Kumsaw », dit Alvin. Lorsque Mesure voulut protester, il lui toucha le bras. « T’as qu’à dire à p’pa et m’man que j’vais bien. Mais je veux y aller. Le Prophète me l’a dit, j’peux apprendre beaucoup plusse avec Ta-Kumsaw qu’avec n’importe qui au monde.

— Alors moi aussi, j’vais avec toi, dit Mesure. J’ai donné ma parole à p’pa et à m’man. »

Le Prophète posa sur Mesure un regard froid. « Tu retourneras chez les tiens.

— Alors Alvin, il s’en vient avec moi.

— Ce n’est pas toi qui décides, répliqua le Prophète.

— Et c’est vous ? Pourquoi donc ? Parce que c’est vos gars qu’ont les flèches ? »

Ta-Kumsaw tendit le bras, toucha Mesure à l’épaule. « Tu n’es pas bête, Mesure. Quelqu’un doit retourner dire à ton peuple qu’Alvin et toi n’êtes pas morts.

— Si j’pars sans lui, comment j’vais l’savoir, qu’il est pas mort, vous pouvez l’dire ?

— Tu le sauras, dit Ta-Kumsaw, parce que je te le dis : tant que je vivrai, aucun homme rouge ne fera du mal à ce garçon.

— Et tant qu’il est avec vous, personne peut vous faire du mal à vous non plus, c’est ça ? Mon p’tit frère est un otage, c’est tout… »

Mesure voyait bien que Ta-Kumsaw et Tenskwa-Tawa avaient tous deux atteint la dernière limite de la rage avant qu’ils ne le tuent, et il se savait lui-même si furieux qu’il était prêt à écraser son poing sur la première figure venue. Et c’est ce qui aurait pu se produire si Alvin ne s’était levé pour prendre la situation en main, du haut de ses dix ans et de ses soixante pouces.

« Mesure, tu connais mieux qu’personne que j’peux faire attention tout seul. T’as qu’à dire à p’pa et m’man c’que j’ai fait aux Chok-Taws, et ils verront bien que j’suis capable. Ils voulaient que je m’en aille, n’importe comment, pas vrai ? Pour être apprenti forgeron. Eh ben, j’vais servir un p’tit moment d’apprenti à Ta-Kumsaw, c’est tout. Et l’monde connaît qu’en dehors p’t-être de Tom Jefferson, Ta-Kumsaw est le plus grand homme d’Amérique. Si j’peux faire que Ta-Kumsaw reste en vie, alors c’est ça, mon devoir. Et si tu peux empêcher qu’y ait une guerre en rentrant chez nous autres, alors c’est ça, ton devoir, à toi. Tu comprends ? »

Oui, Mesure comprenait, parfaitement, et il était même d’accord. Mais il savait aussi qu’il allait devoir affronter ses parents. « Y a une histoire dans la Bible, à propos d’Joseph, le fils à Jacob. C’était l’fils préféré de son père, mais ses frères le détestaient et ils l’ont vendu comme esclave ; puis ils ont pris quèques-uns d’ses vêtements, ils les ont trempés dans du sang de chèvre, ils les ont mis en lambeaux et sont revenus dire à leur père : “Regarde, il s’est fait manger par des lions.” Et le père, il a déchiré ses habits et il a pas arrêté d’avoir du chagrin, pour toujours.

— Mais justement, tu vas leur dire que j’suis pas mort.