Выбрать главу

— Il n’a que dix ans, dit Ta-Kumsaw.

— En France, ça veut dire que nous coupons le vin pour moitié d’eau. Que faites-vous avec un jeune Blanc, Ta-Kumsaw ? Vous capturez des enfants maintenant ?

— Ce garçon blanc est plus qu’il n’a l’air.

— En pagne il n’a pas grande allure. Il comprend le français ?

— Pas un mot, dit Ta-Kumsaw. Je suis venu vous demander… pouvez-vous nous donner des fusils ?

— Non, fit Napoléon.

— Nos flèches ne peuvent pas lutter contre des balles.

— La Fayette nous refuse l’autorisation de vous fournir le moindre fusil. Paris le soutient. Ils ne vous font pas confiance. Ils ont peur que ces fusils se retournent un jour contre nous.

— Alors, que vais-je gagner à lever une armée ? »

Napoléon sourit, sirota son vin. « J’ai parlé à quelques marchands irrakwas.

— Les Irrakwas sont de l’urine de chien malade, dit Ta-Kumsaw. Ils étaient déjà des bêtes féroces et malfaisantes avant l’arrivée de l’homme blanc et ils sont pires maintenant.

— Bizarre. Les Anglais semblaient avoir trouvé en eux l’âme sœur. Et La Fayette les adore. Mais tout ce qui importe aujourd’hui, c’est qu’ils fabriquent des fusils, en grandes quantités et à bas prix. Ce ne sont pas des armes de très bonne qualité, mais elles utilisent exactement le même calibre de munitions. Je veux dire qu’ils sont capables de faire des balles qui s’ajustent plus étroitement au canon, le tir est plus précis. Et pourtant ils les vendent moins cher.

— Vous allez les acheter pour nous ?

— Non. Vous les achèterez vous-mêmes.

— Nous n’avons pas d’argent.

— Des peaux, dit Bonaparte. Des peaux de castor. De vison. De cerf et de bison. »

Ta-Kumsaw secoua la tête. « Nous ne pouvons pas demander à ces animaux de mourir pour des fusils.

— Dommage, fit Bonaparte. Vous, les Rouges, vous avez un talent pour la chasse, à ce qu’on m’a dit.

— Les vrais Rouges, oui. Les Irrakwas, non. Ils se servent des machines de l’homme blanc depuis si longtemps maintenant qu’ils sont morts à la terre, comme les hommes blancs. Sinon ils iraient eux-mêmes chercher toutes les peaux qu’ils veulent.

— Ils veulent aussi autre chose. En dehors des peaux, dit Bonaparte.

— Nous n’avons rien pour eux.

— Du fer, dit Napoléon.

— Nous n’avons pas de fer.

— Non. Mais eux savent où en trouver. Dans les terrains du cours supérieur du Mizzipy et le long du Mizota. Au nord, près de la rive occidentale du lac Hautes-Eaux. Tout ce qu’ils veulent, c’est votre promesse que vous ne toucherez pas à leurs bateaux qui ramèneront le minerai en Irrakwa, ni aux mineurs qui vont l’extraire du sol.

— Une paix pour l’avenir en échange de fusils pour tout de suite ?

— Oui, fit Bonaparte.

— Ils n’ont pas peur que je retourne les fusils contre eux ?

— Ils demandent que vous en fassiez la promesse. »

Ta-Kumsaw réfléchit. « Dites-leur ceci : je promets que s’ils nous donnent des fusils, aucun ne servira jamais contre un seul Irrakwa. Tous mes hommes en feront le serment. Et jamais nous n’attaquerons un seul de leurs bateaux sur l’eau, ni les mineurs qui creuseront le sol.

— Vous le pensez sérieusement ? demanda Bonaparte.

— Si je l’ai dit, je le pense sérieusement, dit Ta-Kumsaw.

— Même si vous les haïssez ?

— Je les hais parce que la terre les hait. Quand l’homme blanc sera parti et que la terre aura recouvré sa force, qu’elle ne sera plus malade, alors elle tremblera pour engloutir les mineurs et soufflera des tempêtes pour couler leurs bateaux ; et les Irrakwas redeviendront de vrais hommes rouges ou bien mourront. Une fois que l’homme blanc sera parti, la terre sera dure avec ses enfants qui resteront. »

L’entrevue prit fin peu après. Ta-Kumsaw se leva et serra la main du général. Alvin les surprit tous deux en s’avançant à son tour pour offrir sa main.

Bonaparte la lui serra, amusé.

« Dites au jeune garçon qu’il fréquente une dangereuse compagnie », fit-il.

Ta-Kumsaw traduisit. Alvin le regarda avec de grands yeux. « C’est de toi qu’il parle ?

— Je crois, dit Ta-Kumsaw.

— Mais c’est lui, l’plus dangereux du monde », fit Alvin.

Ce qui fit rire Bonaparte quand Ta-Kumsaw traduisit. « Comment pourrais-je être dangereux ? Un petit bonhomme qu’on a relégué au diable vauvert, ici en plein désert, quand le centre du monde c’est l’Europe, qu’on y livre de grandes guerres et que je n’y participe pas ! »

Ta-Kumsaw n’eut pas besoin de traduire : le gamin comprit au ton et à l’expression du général. « Il est très dangereux parce qu’il s’fait aimer des genses et qu’il le mérite pas ! »

Ta-Kumsaw sentit la vérité dans les paroles de l’enfant. C’était ce que Bonaparte faisait aux hommes blancs, et c’était bel et bien dangereux ; dangereux, malfaisant et mauvais. Est-ce l’homme sur lequel je compte pour m’aider ? Pour être mon allié ? Oui, parce que je n’ai pas le choix. Ta-Kumsaw ne traduisit pas ce que venait de dire Alvin, malgré les instances de Bonaparte. Le général français n’avait pas encore tenté d’exercer son charme sur l’enfant. S’il apprenait ses paroles, il risquait de s’y essayer et de le séduire. Ta-Kumsaw en venait à apprécier le gamin. Peut-être Alvin était-il trop fort pour subir le charme. Ou peut-être deviendrait-il un esclave adorateur comme Maurepas. Mieux valait ne pas le découvrir. Mieux valait éloigner l’enfant.

Alvin insista pour voir la cathédrale. Un prêtre parut horrifié à la vue d’hommes en pagne qui pénétraient dans le lieu consacré, mais un autre le réprimanda et les invita dans le sanctuaire. Les statues des saints amusaient toujours Ta-Kumsaw. On les représentait aussi souvent que possible soumis aux tortures les plus horribles. Les Blancs pouvaient bien parler des pratiques barbares des Rouges qui torturaient leurs prisonniers pour leur permettre de montrer leur courage. Devant quelles statues s’agenouillaient-ils pour prier ? Devant celles des gens, justement, qui témoignaient de leur courage sous la torture. Il n’y avait rien à comprendre chez les Blancs.

Alvin et lui en discutèrent en sortant de la ville ; ils ne se pressaient plus maintenant. Ta-Kumsaw expliqua grosso modo au jeune garçon comment les Rouges arrivaient à courir si longtemps et si vite. Et ce qu’avait de remarquable un jeune Blanc qui suivait leur allure.

Alvin parut comprendre comment les hommes rouges vivaient en communion avec la terre ; du moins il essaya. « J’crois que je l’ai senti. Durant que j’courais. Comme si j’étais plus dans mon corps. Mes pensées, elles partaient dans toutes les directions. Comme si j’rêvais. Et pendant c’temps-là, y a quèque chose d’autre qui dit à mon corps ce qu’il faut faire. Qui l’soutient, qui s’en sert, qui l’emmène partout où il veut aller. C’est pareil pour toi ? »

Ta-Kumsaw ne vivait pas du tout la même expérience. Quand la terre entrait en lui, il se sentait plus vivant que jamais ; non pas absent de son corps, mais plus intensément présent qu’à tout autre moment. Mais il n’en parla pas à Alvin. Il préféra lui répondre par une autre question. « Tu as dit que c’était comme si tu rêvais. Quel rêve as-tu fait la nuit dernière ?

— J’ai encore rêvé de beaucoup d’visions que j’ai eues quand j’étais dans la tour de cristal avec l’homme-lu… avec le Prophète.

— L’homme-lumière. Je sais que tu l’appelles ainsi… il m’a dit pourquoi.

— J’ai encore rêvé d’ça. Seulement, c’était différent. J’ai vu des choses plus nettement qu’avant, et pis d’autres que j’ai oubliées.