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— Non ! s’écria Alvin.

— À moins… fit Mot-pour-mot, à moins que Mesure arrive à temps pour prouver à ton père qu’il est vivant, que Ta-Kumsaw et le Prophète ne lui ont jamais fait de mal, pas plus qu’à toi.

— Mais y a des jours qu’il s’en est parti, Mesure !

— C’est vrai, Alvin. Mais les hommes du gouverneur Harrison l’ont capturé. Harrison le tient, et aujourd’hui, peut-être même en ce moment, un de ses soudards est en train de le tuer. De lui briser les os, de lui briser le cou. Demain, Harrison attaquera Prophetville avec ses canons et il tuera tout le monde. Tous les habitants. Il coulera tant de sang que l’eau de la Tippy-Canoe sera écarlate et celle de la Wobbish rouge jusqu’à l’Hio. »

Ta-Kumsaw bondit sur ses pieds. « Je dois y retourner. Je dois…

— Vous savez à quelle distance vous vous trouvez, dit Mot-pour-mot. Vous savez où sont vos guerriers. Même en courant toute la nuit et toute la journée à la vitesse dont vous, les Rouges, vous êtes capables…

— Demain midi, fit Ta-Kumsaw.

— Il sera déjà mort », dit Mot-pour-mot.

Ta-Kumsaw hurla de douleur, si fort que plusieurs oiseaux s’envolèrent de la prairie en piaillant.

« Holà, doucement, attendez une minute. S’il n’y avait rien à faire, elle ne m’aurait sans doute pas mis en chasse, pas vrai ? Vous ne voyez pas que nous participons à une vaste opération qui nous dépasse ? Comment se fait-il que les Chok-Taws soudoyés par Harrison aient enlevé précisément Alvin et Mesure ? Comment se fait-il que vous vous trouviez ici, et moi de même, précisément le jour où l’on a le plus besoin de nous ?

— On a besoin de nous là-bas, dit Ta-Kumsaw.

— Je ne le crois pas, dit Mot-pour-mot. Je crois que si on avait besoin de nous là-bas, nous ne serions pas ici. On a besoin de nous ici.

— Tu es comme mon frère quand il veut me rallier à ses projets !

— J’aimerais être comme votre frère. Il reçoit des visions et il voit ce qui se passe, tandis que moi, tout ce que j’ai, c’est la lettre d’une torche. Mais me voici, vous voici, et si notre présence n’était pas prévue, nous ne serions pas là, que ça vous plaise ou non. »

Alvin tiquait à l’idée que tout était prévu. Qui prévoyait ? Qu’est-ce qu’il voulait dire, Mot-pour-mot ? Qu’ils étaient tous des marionnettes au bout d’un bâton ? Est-ce que quelqu’un les manipulait dans un sens ou un autre, suivant son opinion de ce qui devait arriver ?

« Si y a réellement quelqu’un qui s’occupe de tout, dit Alvin, il a pas fait d’la bonne ouvrage, par rapport au pétrin où qu’il nous a mis. »

Mot-pour-mot eut un grand sourire. « Tu n’as vraiment pas de goût pour la religion, hein, mon garçon ?

— J’crois pas qu’y a quelqu’un qui nous fait faire ce qu’il veut, voilà.

— Je n’ai jamais dit ça, répliqua Mot-pour-mot. Je dis seulement que les choses ne vont jamais si mal qu’on ne puisse rien tenter pour y remédier.

— Eh ben, je s’rais content qu’on m’donne des idées. Qu’esse que c’te dame, la torche, elle a dit que j’devais faire ? demanda Alvin.

— Elle a dit que tu es censé grimper sur la montagne et guérir Mesure. Ne m’en demande pas plus, c’est tout ce qu’elle a dit. Il n’y a pas de montagne digne de ce nom dans la région, et Mesure se trouve dans le caveau à légumes derrière la maison de Vinaigre Riley…

— J’connais, dit Alvin. J’y suis été. Mais j’peux pas… j’veux dire, j’ai jamais essayé de guérir quelqu’un qu’était pas là, devant moi.

— Assez parlé, fit Ta-Kumsaw. La Butte-aux-huit-faces t’a appelé en rêve, jeune Blanc. Cet homme est venu te dire d’aller en haut de la montagne. Tout commencera quand tu grimperas sur la Butte. Si tu le peux.

— Certaines choses finissent sur la Butte-aux-huit-faces, dit Mot-pour-mot.

— Qu’est-ce qu’un homme blanc connaît de la Butte ? demanda Ta-Kumsaw.

— Rien, répondit Mot-pour-mot. Mais je me suis agenouillé au chevet d’une femme Irrakwa mourante, il y a bien des années, et elle m’a dit la chose la plus importante de sa vie : elle était la dernière Irrakwa qui ait pénétré à l’intérieur de la Butte-aux-huit-faces.

— Les Irrakwas sont tous devenus blancs dans leur cœur, dit Ta-Kumsaw. La Butte-aux-huit-faces ne les laisserait plus entrer maintenant.

— Mais j’suis blanc, moi, fit Alvin.

— Grande question, dit Ta-Kumsaw. La Butte te donnera la réponse. La réponse, c’est peut-être que tu ne montes pas et que tout le monde meure. Venez. »

Il les conduisit par le chemin que la terre frayait devant eux, jusqu’à ce qu’ils atteignent une colline abrupte, envahie d’arbres et de ronces. Il n’y avait pas de sentier. « C’est la Face de l’Homme Rouge, dit Ta-Kumsaw. C’est ici que montent les hommes rouges. Le sentier a disparu. Tu ne peux pas monter ici.

— Où, alors ? demanda Alvin.

— Comment savoir ? Les récits disent qu’en montant par une autre face, on trouve une autre butte. Les récits disent qu’en montant par la Face des Bâtisseurs, on découvre leur ancienne cité, qui existe toujours sur la Butte. Quand on monte par la Face des Bêtes, on trouve une terre où un bison géant est roi, un étrange animal avec des cornes qui lui sortent de la gueule et un nez comme un horrible serpent ; et des couguars gigantesques aux dents longues comme des lances s’inclinent devant lui et le vénèrent. Qui peut dire si ces récits sont vrais ? Personne ne monte plus par ces faces-là.

— Y a-t-il une Face de l’Homme Blanc ? demanda Alvin.

— Homme Rouge, Médecine, Bâtisseur, Bête. Les quatre autres faces, nous ne savons pas leurs noms, dit Ta-Kumsaw. Peut-être que l’une d’elles est la Face de l’Homme Blanc. Venez. »

Il les entraîna autour de la colline. La Butte s’élevait à leur gauche. Aucun sentier ne la gravissait. Alvin reconnaissait tout ce qu’ils voyaient. Son rêve de la nuit se vérifiait, du moins jusqu’ici : il était avec Mot-pour-mot et faisait le tour de la colline avant de l’escalader.

Ils arrivèrent à la dernière des faces inconnues. Aucun sentier. Alvin continua comme pour passer au versant suivant.

« Inutile, dit Ta-Kumsaw. Nous avons vu les huit faces, aucune ne nous conduira en haut. La prochaine, c’est à nouveau la Face de l’Homme Rouge.

— J’connais, fit Alvin. Mais le v’là, l’sentier. »

Il était bien là, aussi rectiligne qu’une flèche. Sur la bordure commune à la Face de l’Homme Rouge et à sa voisine inconnue.

« Tu es à moitié rouge, dit Ta-Kumsaw.

— Vas-y, monte, fit Mot-pour-mot.

— Dans mon rêve, t’étais avec moi là-haut, dit Alvin.

— Peut-être bien, dit Mot-pour-mot. Mais c’est que moi, je ne vois pas ce sentier dont vous parlez tous les deux. Aucune différence avec les autres versants. J’ai donc l’impression que je ne suis pas invité.

— Va, dit Ta-Kumsaw. Vite.

— Alors toi, viens-t’en avec moi, dit Alvin. Tu l’vois l’sentier, hein ?

— Je n’ai pas rêvé de la Butte, dit Ta-Kumsaw. Et ce que tu verras là-haut, ce sera moitié ce que voit un homme rouge, et moitié un nouveau lieu que je ne dois jamais voir. Va, maintenant, ne perds plus de temps. Mon frère et le tien mourront si tu n’accomplis pas ce que la terre a voulu en t’amenant ici.

— J’ai soif, dit Al.

— Tu boiras là-haut, fit Ta-Kumsaw, si la Butte t’offre de l’eau. Mange si la Butte t’offre de la nourriture. »

Al s’engagea sur le sentier et se mit à gravir tant bien que mal la colline. La pente était abrupte, mais il y avait des racines où s’accrocher, beaucoup de prises pour les pieds. Bientôt le raidillon franchit la crête, devint de niveau, et les broussailles disparurent.