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— Faites-la donc tourmenter par lui, et vous verrez si elle n’avoue pas ! cria Louis. Elle a aidé à souiller mon honneur et celui de Charles ; si vous nous aimez, vous lui ferez même mesure qu’aux deux autres trompeuses.

Philippe de Poitiers prit un temps.

— Votre honneur m’est cher, Louis, dit-il ; mais la Comté-Franche ne me l’est pas moins.

Les assistants se regardèrent, et Philippe enchaîna :

— Vous avez la Navarre en propre, Louis, qui vous vient de notre mère ; vous êtes déjà roi, et vous aurez, le plus tard possible, à Dieu plaise, la France. Devers moi, je n’ai que Poitiers, que notre père m’a fait grâce de me donner, et je ne suis même pas pair de France. Mais par Jeanne ma femme, je suis comte palatin de Bourgogne, et sire de Salins dont les mines de sel produisent le plus gros de mes revenus. Que donc Jeanne soit close dans un couvent, pour le temps que se fasse l’oubli, et pour toujours s’il est nécessaire à votre honneur, c’est là ce que je propose ; mais qu’on n’attente point à sa vie.

Monseigneur Louis d’Évreux, qui s’était tu jusque-là, approuva Philippe.

— Mon neveu a raison, et tant devant Dieu que devant le royaume, dit-il d’une voix pénétrée mais sans emphase. La mort est chose grave, dont nous avons grand tourment, pour nous-mêmes, et que nous ne devons pas décider pour autrui dans la colère.

Louis de Navarre lui jeta un mauvais regard.

Il y avait deux clans dans la famille, et cela de longue date. Valois possédait l’affection de ses neveux Louis et Charles, qui étaient faibles, influençables, et béaient un peu devant sa faconde, sa vie d’aventures, et ses trônes perdus. Philippe de Poitiers, en revanche, tenait du côté de son oncle d’Évreux, personnage calme, droit, réfléchi, qui n’encombrait pas le siècle avec ses ambitions, et se contentait fort bien de ses terres normandes qu’il administrait sagement.

Les assistants ne furent donc pas étonnés de le voir appuyer son neveu préféré ; on connaissait leurs affinités.

Plus surprenante fut l’attitude de Valois qui, après le discours furibond qu’il venait de faire, laissa Louis de Navarre sans soutien, et se prononça, lui aussi, contre la peine de mort. Le couvent lui paraissait un châtiment trop doux pour les coupables ; mais la prison, la forteresse à vie, et il insista bien sur ce dernier mot, voilà ce qu’il conseillait.

Une telle mansuétude, chez l’ex-empereur titulaire de Constantinople, n’était pas l’expression d’une disposition naturelle. Elle ne pouvait résulter que d’un calcul, calcul qui s’était immédiatement opéré quand Louis de Navarre avait prononcé le mot de bâtarde. En effet…

En effet, quel était l’état actuel de la descendance royale ? Louis de Navarre n’avait d’autre héritière que cette petite Jeanne, depuis un instant entachée d’un grave soupçon d’illégitimité, ce qui pouvait mettre obstacle à son accession éventuelle au trône. Charles était sans postérité, sa femme Blanche n’ayant mis au monde que des enfants mort-nés. Philippe de Poitiers avait trois filles, mais sur lesquelles le scandale pourrait éventuellement rejaillir… Or, si l’on exécutait les épouses coupables, les trois princes se hâteraient de reprendre femme, avec ainsi toutes chances d’avoir d’autres enfants. Tandis que si l’on enfermait leurs épouses à vie, ils allaient demeurer mariés, empêchés de contracter d’autres unions, et donc de mieux assurer leur lignée.

Charles de Valois était un prince imaginatif. Pareil à ces capitaines qui, partant pour la guerre, rêvent de l’éventualité où tous les officiers, au-dessus d’eux, seraient tués, et se voient déjà portés à la tête de l’armée, le frère du roi, regardant la poitrine creuse de son neveu Louis Hutin et la maigreur de son neveu Philippe de Poitiers, pensait que la maladie pouvait faire des ravages bien imprévus. Il y avait aussi les accidents de chasse, les lances qui se rompent dans les tournois, les chevaux qui se renversent ; et il n’était pas rare que des oncles survécussent à leurs neveux…

— Charles ! dit l’homme aux paupières immobiles qui pour l’instant était le seul et vrai roi de France.

Valois tressaillit, comme s’il craignait d’avoir été deviné. Mais ce n’était pas à lui, c’était à son troisième fils que Philippe le Bel s’adressait.

Le jeune prince écarta les mains de devant sa figure. Il pleurait.

— Blanche, Blanche ! Comment est-il possible, mon père ? Comment a-t-elle pu ?… gémit-il. Elle me disait si fort qu’elle m’aimait ; elle me le prouvait si bellement…

Isabelle eut un mouvement d’impatience et de mépris. « Cet amour des hommes pour les corps qu’ils ont possédés, pensa-t-elle, et cette aisance avec laquelle ils croient le mensonge, pourvu qu’ils aient le ventre qu’ils désirent ! »

— Charles… insista le roi, comme s’il parlait à un faible d’esprit. Que conseillez-vous qu’on fasse de votre épouse ?

— Je ne sais, mon père, je ne sais. Je veux me cacher, je peux partir, je veux entrer dans un couvent.

C’était lui bientôt qui allait demander châtiment parce que sa femme l’avait trompé.

Philippe le Bel comprit qu’il n’en tirerait rien de plus. Il regardait ses enfants comme s’il ne les avait jamais vus ; il réfléchissait sur l’ordre de primogéniture, et se disait que la nature, parfois, servait bien mal le trône. Que de sottises pourrait accomplir à la tête du royaume cet irréfléchi, impulsif et cruel, qu’était Louis, son aîné ? Et de quel soutien pourrait lui être le puîné, qui s’effondrait dès son premier drame ? Le mieux doué pour régner était à coup sûr Philippe de Poitiers. Mais Louis ne l’écouterait guère, cela se devinait.

— Ton conseil, Isabelle ? demanda-t-il à sa fille, assez bas, en se penchant vers elle.

— Femme qui a failli, répondit-elle, doit être à jamais écartée de transmettre le sang des rois. Et le châtiment doit être connu du peuple, afin qu’on sache que le crime est puni sur femme ou fille de roi plus durement que sur la femme d’un serf.

— C’est bien pensé, dit le roi.

De tous ses enfants, c’était elle, en vérité, qui eût fait le meilleur souverain.

— Justice sera rendue avant vêpres, dit le roi en se levant.

Et il se retira pour aller, comme toujours, consulter sa décision dernière avec Marigny et Nogaret.

X

LE JUGEMENT

Durant tout le trajet de Paris à Pontoise, la comtesse Mahaut, dans sa litière, chercha des arguments propres à fléchir le courroux du roi. Mais elle parvenait mal à fixer ses idées. Trop de pensées l’habitaient, trop de craintes, trop de colère aussi contre la folie de ses filles, contre la bêtise de leurs maris, contre l’imprudence de leurs amants, contre tous ceux qui par légèreté, aveuglement ou quête sensuelle, risquaient de ruiner le laborieux édifice de sa puissance. Mère de princesses répudiées, que deviendrait Mahaut ? Elle était bien décidée à noircir autant qu’elle le pourrait la reine de Navarre, et à rejeter sur celle-ci toute la culpabilité. Marguerite n’était pas sa fille. Pour ses propres enfants Mahaut plaiderait l’entraînement, le mauvais exemple…

Robert d’Artois avait mené la troupe bon train, comme s’il voulait faire montre de zèle. Il prenait plaisir à voir le chanoine-chancelier rebondir sur sa selle, et surtout à entendre les gémissements de sa tante. Chaque fois que de la grande litière secouée par les mules s’échappait une plainte, Robert, comme par hasard, faisait forcer l’allure. Aussi, la comtesse eut-elle un râle de soulagement quand apparurent enfin, au-dessus d’une ligne d’arbres, les tourelles de Maubuisson.