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Philippe le Bel haussa les épaules, d’un mouvement qui voulait dire : « À cela, je ne puis rien. »

Les difficultés avec la Flandre resurgissaient, périodiquement. Bruges la riche, irréductible, encourageait les soulèvements communaux. Le comté de Flandre, de statut mal défini, refusait d’appliquer la loi générale. De traités en dérobades, de négociations en révoltes, cette affaire flamande était une plaie inguérissable à l’épaule du royaume. Que restait-il de la victoire de Mons-en-Pévèle ? Une fois encore, il allait falloir employer la force.

Mais la levée d’une armée exigeait des fonds. Et si l’on repartait en campagne, le compte du Trésor dépasserait sans doute celui de 1299, demeuré dans les mémoires comme le plus élevé que le royaume eût connu : 1 642 649 livres de dépenses, accusant un déficit de près de 70 000 livres. Or, depuis quelques années, les recettes ordinaires s’équilibraient autour de 500 000 livres. Où trouver la différence ?

Marigny, contre l’avis de Charles de Valois, fit alors convoquer une assemblée populaire pour le 1er août 1314, à Paris. Il avait déjà eu recours à de pareilles consultations, mais surtout à l’occasion des conflits avec la papauté. C’était en aidant le pouvoir royal à se dégager de l’obédience au Saint-Siège que la bourgeoisie avait conquis son droit de parole. Maintenant, on demandait son approbation en matière de finances.

Marigny prépara cette réunion avec le plus grand soin, envoyant dans les villes messagers et secrétaires, multipliant entrevues, démarches, promesses.

L’Assemblée se tint dans la Galerie mercière dont les boutiques, ce jour-là, furent fermées. Une grande estrade avait été dressée où s’installèrent le roi, les membres de son Conseil, ainsi que les pairs et les principaux barons.

Marigny prit la parole, debout, non loin de son effigie de marbre, et sa voix semblait plus assurée encore qu’à l’accoutumée, plus certaine d’exprimer la vérité du royaume. Il était sobrement vêtu ; il avait, de l’orateur, la prestance et le geste. Son discours, dans la forme, s’adressait au roi ; mais il le prononçait tourné vers la foule qui, de ce fait, se sentait un peu souveraine. Dans l’immense nef à deux voûtes, plusieurs centaines d’hommes, venus de toute la France, écoutaient.

Marigny expliqua que si les vivres se faisaient rares, donc plus chers, on ne devait point s’en montrer trop surpris. La paix qu’avait maintenue le roi Philippe favorisait l’accroissement en nombre de ses sujets. « Nous mangeons le même blé, mais nous sommes plus à le partager. » Il fallait donc semer davantage ; et pour semer, il fallait la tranquillité de l’État, l’obéissance aux ordonnances, la participation de chaque région à la prospérité de tous.

Or qui menaçait la paix ? La Flandre. Qui refusait de contribuer au bien général ? La Flandre. Qui gardait ses blés et ses draps, préférant les vendre à l’étranger plutôt que de les diriger vers l’intérieur du royaume où sévissait la pénurie ? La Flandre. En refusant d’acquitter les tailles et droits de « traites », les villes flamandes aggravaient forcément la proportion des charges, pour les autres sujets du roi. La Flandre devait céder ; on l’y contraindrait par la force. Mais pour cela, il fallait des subsides ; toutes les villes, ici représentées par leurs bourgeois, devaient donc, dans leur propre intérêt, accepter une levée exceptionnelle d’impôts.

— Ainsi se feront voir, acheva Marigny, ceux qui donneront aide à aller contre les Flamands.

Une rumeur s’éleva, bientôt dominée par la voix d’Étienne Barbette.

Barbette, maître de la Monnaie de Paris, échevin, prévôt des marchands, et fort riche d’un commerce de toiles et de chevaux, était l’allié de Marigny. Son intervention avait été préparée. Au nom de la première ville du royaume, Barbette promit l’aide requise. Il entraîna l’assistance, et les députés de quarante-trois « bonnes villes » acclamèrent d’une même voix le roi, Marigny, et Barbette.

Si l’Assemblée avait été une victoire, les résultats financiers se montrèrent assez décevants. L’armée fut mise sur pied avant que la subvention ait été recouvrée.

Le roi et son coadjuteur souhaitaient faire une démonstration rapide d’autorité plutôt que conduire une vraie guerre. L’expédition fut une imposante promenade militaire. Marigny, à peine les troupes en marche, fit connaître à l’adversaire qu’il était prêt à négocier, et se hâta de conclure, les premiers jours de septembre, la convention de Marquette.

Mais aussitôt l’armée partie, Louis de Nevers, fils de Robert de Béthune, comte de Flandre, dénonça la convention. Pour Marigny, c’était l’échec. Valois, qui en venait à se réjouir d’une défaite pour le royaume si cette défaite nuisait au coadjuteur, accusait ce dernier, publiquement, de s’être laissé acheter par les Flamands.

La note de la campagne demeurait à payer ; et les officiers royaux continuaient donc de percevoir, à grand-peine et au vif mécontentement des provinces, l’aide exceptionnelle consentie pour une entreprise déjà close, et par l’insuccès.

Le Trésor s’épuisait et Marigny devait envisager de nouveaux expédients.

Les Juifs avaient été spoliés par deux fois ; les tondre à nouveau donnerait peu de laine. Les Templiers n’existaient plus, et leur or était depuis longtemps fondu. Restaient les Lombards.

Déjà, en 1311, on les avait décrétés d’expulsion, sans intention véritable d’exécuter l’ordonnance, mais pour les obliger de racheter, fort cher, leur droit de séjour. Cette fois, il ne pouvait s’agir de rachat ; c’était la saisie de tous leurs biens, et leur renvoi de France, que Marigny méditait. Le trafic qu’ils maintenaient avec la Flandre, au mépris des instructions royales, et l’appui financier qu’ils apportaient aux ligues seigneuriales, justifiaient la mesure en préparation.

Mais le morceau était de taille. Les banquiers et négociants italiens, bourgeois du roi, avaient réussi à très solidement s’organiser, en « compagnies », avec à leur tête un « capitaine général » élu. Ils contrôlaient le commerce vers l’étranger et régnaient sur le crédit. Les transports, le courrier privé et même certains recouvrements d’impôts passaient par leurs mains. Ils prêtaient aux barons, aux villes, aux rois. Ils faisaient même l’aumône, lorsqu’il le fallait.

Aussi Marigny passa-t-il plusieurs semaines à mettre au point son projet. Il était homme tenace, et la nécessité l’aiguillonnait.

Mais Nogaret n’était plus là. D’autre part, les Lombards de Paris, gens bien informés et instruits par l’expérience, payaient cher les secrets du pouvoir.

Tolomei, de son seul œil ouvert, veillait.

V

L’ARGENT ET LE POUVOIR

Un soir de la mi-octobre, une trentaine d’hommes tenaient réunion, toutes portes closes, chez messer Spinello Tolomei.

Le plus jeune, Guccio Baglioni, neveu de la maison, avait dix-huit ans. Le plus âgé en comptait soixante-quinze ; c’était Boccanegra, capitaine général des compagnies lombardes. Si différents qu’ils fussent d’âge et de traits, il y avait entre tous ces personnages une curieuse ressemblance dans l’attitude, la mobilité de visage et de geste, la manière de porter le vêtement.

Éclairés par de gros cierges fichés dans des candélabres forgés, ces hommes de teint brun formaient une famille au langage commun. Une tribu en guerre aussi, et dont la puissance était égale à celle des grandes ligues de noblesse ou des assemblées de bourgeois.