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— Très bien, reprit enfin Prestimion. Vous pensez pouvoir éviter la guerre. Nul doute que vous le puissiez, si vous êtes résolu à ne pas en déclencher une. Mais il nous reste toujours le problème de Mandralisca et de son soulèvement. Vous avez promis de les mater tous deux. Comment comptez-vous donc y parvenir, si ce n’est par la force militaire ?

— De la même façon dont nous avons procédé lors de la campagne contre le Procurateur. Mandralisca a un casque. Nous avons également des casques. Il a un Barjazid ; j’ai un Barjazid. Mon Barjazid se montrera plus habile que son Barjazid et lui fera quitter la scène ; ce qui laissera Mandralisca à ma merci.

— Je trouve que c’est naïf de votre part, Dekkeret.

La colère flamba alors un instant dans les yeux de son cadet.

— Et je pense que votre soif de guerre contre vos propres citoyens est véritablement inconvenante pour quelqu’un qui se prend pour un grand monarque, Prestimion. Tout particulièrement quand il s’agit d’une guerre que vous mènerez par personnes interposées, à de nombreux milliers de kilomètres du champ de bataille.

Il était difficile à Prestimion de croire que Dekkeret avait réellement dit une telle chose.

— Non ! rugit-il, frappant la table du plat de la main, si violemment qu’il fit sauter les couverts et voler le flacon de vin par-dessus le bord. Injuste ! Injuste ! Buté et injuste !

— Prestimion…

— Laissez-moi parler, Dekkeret. Ceci exige une réponse.

Prestimion s’aperçut qu’il serrait les poings. Il les mit hors de vue.

— Je ne suis pas assoiffé de guerre, dit-il aussi calmement qu’il le put. Vous le savez. Mais dans ce cas précis, je pense que la guerre est inévitable. Et je la mènerai moi-même, Dekkeret, si vous n’y avez aucune propension. Croyez-vous que j’ai oublié comment me battre ? Oh, non, non : retournez au Château, monseigneur, et j’emmènerai les troupes à Zimroel, je prendrai fièrement ma place en première ligne avec Gialaurys et Septach Melayn, comme nous l’avons fait au bon vieux temps. Sa voix s’enflait de nouveau. Qui est-ce qui a défait les armées de Korsibar, ce jour-là à Thegomar Edge, alors que vous n’étiez guère plus qu’un enfant ? Qui est-ce qui a mis le casque pour contrôler les pensées sur sa propre tête dans ce même bâtiment, et s’en est servi pour écraser Venghenar Barjazid dans les jungles de Stoienzar ? Qui est-ce qui a…

Dekkeret leva les deux mains pour l’interrompre.

— Doucement, Votre Majesté. Doucement. S’il doit y avoir une autre guerre, le Divin nous en préserve, vous savez que je la conduirai et que je la gagnerai. Mais restons-en là pour le moment, je vous en prie. J’ai d’autres informations à vous communiquer, et leurs implications ont une portée qui dépasse de loin les problèmes actuels.

— Parlez, alors, dit Prestimion, d’une voix caverneuse.

Son explosion de rage l’avait laissé hébété. Il regrettait à présent d’avoir renversé le vin.

— Vous souvenez-vous, Prestimion, lorsque nous avons discuté tous les deux dans la salle de dégustation du manoir de Muldemar, seuls comme nous le sommes ce matin, que vous m’avez rappelé cette étrange prophétie de Maundigand-Klimd qu’un Barjazid deviendrait la quatrième Puissance du Royaume ? demanda Dekkeret. Ni vous ni moi n’y trouvions de sens alors, et nous l’avons rejeté comme une impossibilité. Mais la nuit dernière, j’en ai compris la signification. Une quatrième Puissance est nécessaire. Et avec votre consentement, je ferai de Dinitak Barjazid cette Puissance, une fois que le problème de Mandralisca et des cinq Sambailid sera réglé.

— Je vois que vous avez perdu l’esprit, dit Prestimion, toute rancœur disparue, son ton n’exprimant plus que la tristesse.

— Écoutez-moi jusqu’au bout, je vous en prie. Jugez vous-même de ma folie une fois que j’aurai parlé.

La seule réponse de Prestimion fut un haussement d’épaules résigné.

— Nous n’avons jamais connu sur Majipoor une prospérité comparable à celle que nous avons dans cette ère moderne, reprit Dekkeret. L’ère de Prankipin et de lord Confalume, de Confalume et de lord Prestimion, de Prestimion et de lord Dekkeret, si vous le permettez. Mais nous n’avons jamais connu une telle agitation, non plus. L’avènement des mages et des sorciers, l’émergence de nouveaux cultes, les fauteurs de troubles Dantirya Sambail et Mandralisca, tous ces événements sont nouveaux pour nous. Peut-être l’un ne va-t-il pas sans l’autre, la prospérité et l’agitation, les incertitudes de la fortune récente et les mystères de la magie. Ou peut-être sommes-nous tout simplement devenus trop nombreux, aujourd’hui : avec quinze milliards d’individus sur une planète, aussi gigantesque soit-elle, peut-être est-il inévitable qu’il y ait des discordes et même des conflits.

Prestimion s’assit tranquillement, attendant de voir ce qui allait suivre. Il était évident que Dekkeret avait répété son discours à maintes reprises en esprit pendant la moitié de la nuit : il lui incombait, surtout après l’éclat de colère qu’il avait eu quelques instants plus tôt, d’y accorder un minimum d’attention avant de rejeter l’idée, aussi insensée et irrationnelle soit-elle, que son Coronal-désigné avait réussi à pondre.

— Dans les premiers temps de troubles, dont nous parlons comme de l’époque de Dvorn, poursuivit Dekkeret, les deux premières Puissances furent créées, avec un commandement conjoint : le Pontife, l’aîné, le monarque le plus sage à qui était accordée la responsabilité d’établir la politique, et le Coronal, le cadet, un homme plus vigoureux qui avait pour tâche d’exécuter cette politique. Plus tard, lorsqu’une merveilleuse nouvelle invention le rendit possible, vint la troisième Puissance, la Dame de l’île qui, avec sa multitude d’acolytes, entre dans l’esprit de grands nombres de gens chaque nuit pour leur offrir réconfort, conseil et guérison. Toutefois l’équipement qu’utilise la Dame a ses limites. Elle peut s’adresser aux esprits, mais elle est incapable de les orienter ou de les dominer. Alors que ces casques que les Barjazid ont inventés…

— Ont volés, plutôt. Un petit Vroon pleurnichard et déloyal du nom de Thalnap Zelifor a inventé ces appareils. L’une des nombreuses erreurs pour lesquelles je devrai un jour rendre des comptes est que j’ai remis ce Vroon et ses casques entre les mains de Venghenar Barjazid, pour notre plus grand préjudice depuis lors.

— Les Barjazid, en particulier Khaymak Barjazid, les ont construits d’après les plans du Vroon et ont fortement augmenté leurs capacités. J’ai été l’un des premiers, vous vous en souviendrez, à sentir le pouvoir de ce casque, il y a longtemps, alors que je voyageais à Suvrael. Mais ce que j’ai ressenti alors, aussi fort que cela ait été, n’était rien par rapport à la puissance disponible dans la version ultérieure du casque que vous avez utilisé pour abattre Venghenar Barjazid en Stoienzar, il y a tant d’années. Et le casque qui a conduit votre frère à la folie, et en a blessé tant d’autres récemment de par le pays, est beaucoup plus puissant encore. C’est en vérité une arme terrible.

Dekkeret se pencha en avant, le regard intensément braqué sur Prestimion.

— Le monde, dit-il, a besoin d’un gouvernement plus rigoureux que par le passé, sans quoi nous aurons continuellement de nouveaux Mandralisca. Ce que je propose est ceci : que nous incorporions les casques dans le gouvernement, les donnions à Dinitak Barjazid et lui confiions la responsabilité de chercher les malfaiteurs, de les contenir et de les punir en utilisant son casque pour transmettre de puissants messages mentaux. Il surveillera les esprits du monde, et tiendra en échec les malfaisants. Pour ceci, il aura besoin du statut et de l’autorité d’une Puissance du Royaume. Nous l’appellerons, disons, le Roi des Rêves. Son rang sera égal au nôtre. Dinitak sera le premier du titre ; et il passera de génération en génération à ses héritiers par la suite. Voilà, vous savez tout, Votre Majesté.