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— Chut, dit doucement Prestimion, sans se retourner. Vous savez ce que je pense des visions, des oracles, de la thaumaturgie et de tout le reste. Taisez-vous et laissez-moi réfléchir, Dekkeret. Je vous en prie, mon ami, laissez-moi seulement réfléchir.

Un Roi des Rêves. Un Roi des Rêves. Un Roi des Rêves.

— La première mesure à prendre, à mon avis, est de discuter avec Dinitak, dit-il finalement. Envoyez-le-moi, Dekkeret. Les pouvoirs que vous voulez lui confier sont encore plus grands que les nôtres, le réalisez-vous ? Vous dites que nous pouvons lui faire confiance, et vous avez très probablement raison, mais je ne peux agir uniquement sur vos dires. J’ai le sentiment de devoir découvrir à quel point il est saint. Et s’il était trop saint, hein ? Et s’il pensait que même vous et moi sommes de misérables pécheurs qui ont besoin d’être mis sous surveillance ? Que lâcherions-nous sur le monde, dans ce cas ? Envoyez-le-moi pour une petite discussion.

— Vous voulez dire, maintenant ? demanda Dekkeret.

— Maintenant.

15

— Voici le plan, dit Dekkeret à Fulkari, deux heures plus tard. Nous allons appeler cela un Grand Périple, tout simplement. Ce ne sera en aucun cas présenté comme une expédition militaire. Mais il s’agira d’un Grand Périple qui ressemblera beaucoup à une expédition militaire. Le Coronal sera non seulement accompagné de sa propre garde, mais d’un contingent de troupes Pontificales, un nombre substantiel de troupes Pontificales. Ce qui donne à toute l’entreprise l’aspect d’une mission de maintien de la paix, puisqu’un Grand Périple ne comporterait normalement que du personnel du Château, et que les forces du Pontife n’y prendraient pas place. Le message que nous transmettrons ainsi sera : « Voici votre nouveau Coronal, saluez-le comme votre roi. Mais si quiconque parmi vous a des idées de trahison, d’insurrection, vous êtes prévenus qu’une armée se tient là, derrière lui, qui vous ramènera à la raison. »

— Était-ce l’idée de Prestimion ou la tienne ?

— La mienne. Fondée sur sa suggestion, il y a longtemps, qu’une bonne façon d’obtenir des informations de première main sur la situation à Zimroel était de m’y rendre sous le prétexte d’un Grand Périple. J’ai réussi à l’instant à le convaincre que nous ferions mieux de conserver l’option d’une véritable guerre comme dernier recours, que nous pourrons toujours utiliser si j’ai droit à une mauvaise réception lorsque je serai là-bas.

— Zimroel ! s’écria Fulkari, secouant la tête d’étonnement. C’est un endroit que je n’ai même jamais rêvé de voir. On ne pouvait se tromper sur l’éclat d’excitation de ses yeux. C’était comme si elle ne l’avait pas entendu mentionner la perspective d’être mêlé à une guerre. Nous irons à Ni-moya, bien entendu. Et Dulorn ? On dit que Dulorn semble tout droit sorti d’un conte de fées, une cité entière construite en cristal blanc. Et Pidruid ? Til-omon ? Oh Dekkeret, quand prenons-nous la mer ?

— Pas avant quelque temps, j’en ai peur.

— Mais s’il s’agit d’une situation aussi urgente…

— Même ainsi. C’est à Alaisor que les bateaux à destination de Zimroel embarquent leurs passagers, nous devrons donc retourner là-bas d’abord. La flotte devra être constituée, les troupes impériales rassemblées. Cela prendra du temps, peut-être tout le reste de l’été. Entre-temps, les proclamations officielles d’un Grand Périple seront établies et expédiées à chaque cité de Zimroel où je me rendrai, afin qu’ils soient à même de me recevoir avec tout le faste avec lequel les Coronals sont généralement reçus lorsqu’ils arrivent dans une ville.

Il sourit.

— Oh, un dernier détail : toi et moi devons nous marier, aussi. Vers la fin de la semaine, c’est probablement le meilleur moment. Prestimion lui-même a accepté de célébrer…

— Nous marier ? Oh, Dekkeret… !

Il y avait un mélange de plaisir et de perplexité dans sa voix. Mais c’était la perplexité qui dominait. Sa lèvre inférieure tremblait un peu.

— Ici, à Stoien ? Nous n’aurons pas un mariage au Château ? Tu sais que je t’épouserai où tu voudras. Mais pourquoi un si court délai, cependant ?

Il prit ses mains entre les siennes.

— Les gens de Zimroel ont tendance à être très conventionnels, à ce que l’on m’a dit. Il ne leur semblerait tout simplement pas convenable que le Coronal se présente lors de son premier Grand Périple accompagné de… d’une…

— Une concubine ? Est-ce le mot que tu cherches ?

Fulkari recula et rit.

— Dekkeret tu parles exactement comme Dinitak, maintenant. Indécent ! Inconvenant ! Honteux !

— Disons « maladroit », dans ce cas. La situation à Zimroel est si délicate que je ne peux pas risquer d’embarras politique lorsque je serai là-bas. Mais si la réponse est non, Fulkari, mieux vaudrait me le dire maintenant.

— La réponse est oui, Dekkeret, répondit-elle sans hésiter. Oui, oui, oui ! Tu le savais.

Puis la lueur radieuse disparut de ses yeux, elle détourna la tête et poursuivit sur un ton très différent.

— Mais, néanmoins… j’ai toujours pensé… la façon dont se déroule une noce, tu sais, au Château, dans la Chapelle de lord Apsimar, où les Coronals sont censés se marier, et la réception ensuite dans la cour du Clos de Vildivar…

Dekkeret comprit. C’était la lointaine arrière-petite-fille de lord Makhario qui parlait, lady Fulkari de Sipermit, chez qui les coutumes de l’aristocratie du Château étaient une seconde nature. Craignant à présent d’être inexplicablement spoliée de la splendide et magnifique cérémonie de mariage qu’elle avait toujours imaginée être la sienne depuis le moment de leurs fiançailles.

— Nous pourrons nous marier à nouveau au Château plus tard, dit-il gentiment. En grand tralala, je te le promets, Fulkari, avec tout le cérémonial dû à l’événement, avec ta sœur comme demoiselle d’honneur et Dinitak comme garçon d’honneur, la cour entière y assistant, et une seconde lune de miel à High Morpin dans l’appartement réservé au Coronal pour ses loisirs privés. Mais nous passerons notre première lune de miel à Ni-moya. Et un mariage célébré par le Pontife lui-même, ici et maintenant, avant qu’il ne prenne le chemin du retour pour le Labyrinthe… Qu’en dis-tu ?

— Eh bien, évidemment, le Coronal lord de Majipoor ne peut pas accomplir le Grand Périple en compagnie d’une quelconque petite traînée, n’est-ce pas ? Je t’en prie, officialisons notre situation, dans ce cas. Je t’épouserai où et quand tu voudras, comme tu penseras que c’est le mieux.

Cette adorable étincelle de ravissement et de malice était revenue dans ses yeux.

— Mais ensuite, monseigneur, lorsque nous serons rentrés au Château : satin et velours, la Chapelle de lord Apsimar et la cour du Clos de Vildivar…

Ce fut une cérémonie simple, presque pour la forme, de façon si absurde pour un rite d’État aussi solennel que le mariage d’un Coronal : elle se tint dans la suite de Prestimion, le Pontife officiant, Varaile et Dinitak servant de témoins, Septach Melayn et Gialaurys jouant les spectateurs.

Le tout ne dura pas plus de cinq minutes. Prestimion portait bien sa robe de cérémonie écarlate et noir, et la couronne de la constellation ceignait le front de Dekkeret, mais pour le reste, il aurait aussi bien pu s’agir du mariage d’un commerçant et de sa jeune et jolie vendeuse dans le bureau du magistrat municipal. Toutes les personnes présentes comprenaient la raison d’une telle hâte. Un mariage royal digne de ce nom suivrait en temps et lieu, oui : une fois qu’il aurait été répondu au défi des Cinq Lords de Zimroel. Mais pour le moment, les convenances élémentaires auraient été respectées. Lord Dekkeret et lady Fulkari se rendraient à Zimroel avec des anneaux de mariage au doigt, et nul sur le continent occidental ne pourrait piper mot sur la dépravation de la moralité du Château.