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Le banquet du mariage, en tout cas, fut carrément somptueux, avec des vins de cinq couleurs, et une succession de plateaux d’huîtres de Stoienzar, de viande fumée et de fruits piquants au vinaigre dont les habitants de ces territoires tropicaux raffolaient. Septach Melayn chanta l’ancien hymne de mariage d’une voix de ténor honorable bien que nasillarde, et Fulkari, un peu éméchée, donna à Prestimion un baiser si passionné et inattendu que les yeux du Pontife s’écarquillèrent et que lady Varaile applaudit dans une feinte admiration ; et au moment approprié, Dekkeret prit son épouse dans ses bras et l’emporta dans leur suite, à l’étage au-dessous, en affichant une ardeur puérile d’une telle pétulance que l’on aurait aisément pu penser que ce serait la toute première nuit qu’ils passeraient ensemble.

Quelques jours plus tard, le Pontife et sa suite se mirent en route pour retourner au Labyrinthe : par bateau le long de la côte nord de la Péninsule de Stoienzar jusqu’à Treymone et ses célèbres maisons-arbres, et à partir de là par voie de terre à travers la Vallée de Velalisier et le Désert du Labyrinthe jusqu’à la capitale impériale. Dekkeret se tenait avec Prestimion sur le quai royal du port de Stoien pour de brefs adieux tandis que Varaile et les enfants du Pontife embarquaient dans leur vaisseau. Septach Melayn et Gialaurys restèrent avec tact à l’écart. Sur la requête de Dekkeret, ils l’accompagneraient à Zimroel dans son Grand Périple.

Dekkeret exprima brièvement ses regrets pour les paroles dures qu’ils avaient échangées peu de temps auparavant ; mais Prestimion les écarta en disant qu’il regrettait au moins autant sa propre colère pendant la réunion du petit déjeuner, et qu’il valait mieux se sortir cet épisode entier de l’esprit. Il en avait résulté, souligna-t-il, un accord global entre eux sur l’une des questions d’État les plus importantes qu’un Coronal et un Pontife aient jamais eues à considérer.

Prestimion n’eut pas besoin d’ajouter qu’il laissait l’ensemble de tactiques particulières à employer pour régler le problème de Zimroel entre les mains de Dekkeret. Ils le savaient tous deux : il s’agissait de la tâche du Coronal, pas de celle du Pontife.

Quant à l’avènement de la quatrième Puissance du Royaume et à la désignation de Dinitak comme Roi des Rêves, ils en passèrent également le résumé sous silence. Dekkeret savait que Prestimion n’était toujours pas à l’aise avec ce concept, mais qu’il ne constituerait pas un obstacle à son exécution… au bout du compte. Prestimion avait eu son entretien avec Dinitak, bien qu’aucun des deux hommes n’ait discuté avec Dekkeret de ce qui s’était dit. À l’évidence, tout s’était bien passé, en conclut Dekkeret. La campagne contre Mandralisca avait la priorité, cependant.

À la fin, ils s’embrassèrent, avec cordialité, même si, comme à l’accoutumée, ce fut une affaire délicate à cause de leur différence de taille. Prestimion prit congé de Dekkeret, le félicita une fois de plus de son mariage, lui souhaita un bon Grand Périple, et lui dit qu’ils se verraient de nouveau au Château une fois que le travail en cours aurait été accompli. Puis il se retourna et embarqua avec toute sa dignité impériale à bord du vaisseau qui le transporterait à Treymone, sans un regard en arrière.

Dekkeret lui-même, son épouse, ses compagnons, Dinitak Barjazid, Septach Melayn et Gialaurys, ainsi que le reste de l’entourage royal se mirent en route cinq jours plus tard. Eux aussi commencèrent leur voyage par bateau, voguant vers le nord de Stoien en traversant le Golfe jusqu’au petit port tranquille de Kimoise sur la côte occidentale. Des flotteurs rapides les attendaient là pour leur faire remonter la côte jusqu’à Alaisor en passant par Klai, Kikil et Steenorp, la reconstitution à l’envers de l’itinéraire qu’ils avaient suivi pour descendre à Stoien pour le rendez-vous de Dekkeret avec le Pontife. Mais il y aurait une longue attente à Alaisor pendant que la flotte serait rassemblée et les troupes mobilisées.

Car il s’agissait bien d’une mobilisation. Dekkeret ne se faisait aucune illusion à ce sujet. Il savait qu’il devait effectuer la traversée jusqu’à Zimroel en étant prêt à faire la guerre. Mais le grand test de son règne serait de savoir s’il réussirait à éviter cette guerre. Serait-ce possible ? Il l’espérait du fond du cœur. Il était le Coronal lord de Zimroel tout autant que celui d’Alhanroel, mais il ne voulait pas gagner la loyauté des citoyens du continent occidental par l’épée.

Il s’agissait de la quatrième visite de Dekkeret à Alaisor, la principale métropole du centre de la côte occidentale. Mais il n’avait jamais eu le temps lors de ses trois séjours précédents de véritablement visiter l’immense cité.

Lors de sa première visite, se rendant à Zimroel avec Akbalik de Samivole, des années plus tôt alors qu’il n’était encore qu’un jeune chevalier-initié, il s’était arrêté là juste le temps d’attraper le bateau qui leur ferait traverser la Mer Intérieure. Il était à nouveau passé par Alaisor, un ou deux ans plus tard, cette fois pour une durée encore plus brève, car c’était au moment de frénésie où il traversait toute la planète pour rejoindre l’île du Sommeil, et informer lord Prestimion que Venghenar Barjazid s’était échappé de la prison du Château et avait l’intention de remettre au rebelle Dantirya Sambail ses casques permettant de contrôler les pensées. Lors de sa visite la plus récente, à peine quelques mois plus tôt, Dekkeret n’avait séjourné là que quelques jours avant de recevoir la nouvelle de l’arrivée à Stoien de Prestimion qui requérait sa présence immédiate. Il avait à peine eu l’occasion de déposer une gerbe sur la tombe de lord Stiamot, avant qu’il ne soit nécessaire de reprendre son chemin.

À présent, cependant, il avait plus que largement le temps de découvrir les merveilles d’Alaisor. Dekkeret aurait été ravi de se mettre sans délai en route pour Zimroel. Mais il y avait des bateaux à faire venir d’autres ports, de nouveaux à construire, des soldats à enrôler dans les provinces environnantes. Que cela lui plaise ou non, son séjour à Alaisor allait être prolongé cette fois.

La cité était superbement située, un port de mer idéal. Le fleuve Iyann, coulant vers l’ouest dans la partie supérieure d’Alhanroel, rejoignait à cet endroit la mer. En creusant un lit profond au milieu d’une haute ligne d’abruptes falaises de granit noir qui se dressait parallèlement au littoral, le fleuve avait créé une liaison entre les régions de l’intérieur et la grande baie en forme de croissant au pied des montagnes. Cette baie à l’embouchure du Iyann était devenue le port d’Alaisor. La cité elle-même s’était à l’origine élevée le long de la bande côtière, avec des vrilles de colonies urbaines s’enfonçant dans les collines pour former le faubourg exceptionnellement situé des Hauts d’Alaisor.

Dekkeret et Fulkari étaient logés dans l’appartement de quatre étages construit sur le toit de la tour de trente étages de la Bourse du commerce d’Alaisor, où séjournaient habituellement les membres de la famille royale en visite. De leurs fenêtres, ils pouvaient voir les rayons noirs des grands boulevards qui se dirigeaient vers le front de mer depuis tous les coins de la cité, convergeant juste en dessous d’eux dans le cercle délimité par six obélisques monumentaux qui signalaient l’emplacement de la sépulture de lord Stiamot. Stiamot était en route pour Zimroel à un âge avancé, disait l’histoire, pour demander le pardon de la Danipiur des Métamorphes pour la guerre qu’il avait menée contre son peuple, lorsqu’il était tombé mortellement malade à Alaisor. Il avait demandé à être enterré face à la mer. Du moins, c’est ce que racontait l’histoire.