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Le partage cérémoniel de nourriture dans la cabine du Coronal était le rituel suivant. Ce qui posa certains problèmes techniques, étant donné que le Lord Stiamot n’avait pas été conçu à l’intention des Skandars, et que Kelmag Volvol réussit à peine à négocier l’escalier des cabines qui menait sous le pont. Et il dut se pencher et tendre le cou pour tenir dans la cabine royale elle-même, assez spacieuse pour Dekkeret et Fulkari, mais que le maire Kelmag Volvol remplissait presque jusqu’à déborder. Septach Melayn et Gialaurys, qui les avaient accompagnés sous le pont, furent forcés de rester dans la coursive, dehors.

— Je dois commencer cette réunion par des nouvelles pénibles, monseigneur, dit le Skandar, dès que les formalités furent accomplies.

— Concernant Ni-moya, c’est cela ?

— Concernant Ni-moya, oui, dit Kelmag Volvol.

Il lança un regard embarrassé vers les deux hommes à l’extérieur.

— Il s’agit d’une affaire extrêmement délicate, monseigneur.

— Rien qui ne doive être dissimulé au Grand Amiral Gialaurys et au porte-parole Septach Melayn, je pense, répondit Dekkeret.

— Eh bien, en ce cas.

Kelmag Volvol avait l’air profondément mal à l’aise.

— Il en est ainsi et je regrette d’être le porteur de telles informations. La poursuite de votre voyage vers Ni-moya : je dois vous la déconseiller. Un cordon a été disposé tout autour de la cité et du territoire immédiatement avoisinant, sur une distance de quelque cinq cents kilomètres dans toutes les directions.

Dekkeret hocha la tête. Il avait deviné juste : Mandralisca avait revu à la baisse son grandiose projet initial de revendiquer tout Zimroel dès le début, et restreignait la sphère de sa rébellion à une région qu’il pouvait facilement défendre. Mais il n’empêche qu’une rébellion est une rébellion.

— Un cordon, répéta Dekkeret pensivement, comme si ce n’était qu’un son absurde qui ne lui disait rien. Et que signifie, je vous prie, ce cordon autour de Ni-moya ?

La douleur dans les yeux cerclés de rouge de Kelmag Volvol était indubitable. Ses quatre épaules remuaient sous le coup de l’embarras.

— Une zone, monseigneur, protégée par des forces militaires, dans laquelle les représentants du gouvernement impérial ne peuvent entrer, parce qu’elle est maintenant sous l’administration du Lord Gaviral, Pontife de Zimroel.

Un grognement d’étonnement parvint de Septach Melayn.

— Pontife, lui ! De Zimroel !

— Nous l’écorcherons et clouerons sa peau sur la porte de son propre palais, monseigneur ! Nous…, commença Gialaurys.

Dekkeret leur fit signe à tous deux de se calmer.

— Pontife, répéta-t-il du même ton songeur. Pas simplement Procurateur, le titre que son oncle Dantirya Sambail se contentait de porter, mais Pontife ? Pontife ! Ah, très bien ! Très audacieux ! Il ne revendique pas le propre trône de Prestimion, si ? Il se contente de gouverner le continent occidental, notre nouveau Pontife, en commençant par le territoire autour de Ni-moya ? Eh bien, dans ce cas, j’applaudis sa retenue !

Les Skandars, se souvint Dekkeret une seconde trop tard, n’avaient littéralement aucune disposition à l’ironie. Kelmag Volvol réagit aux paroles enjouées de Dekkeret par une telle manifestation bafouillante d’ahurissement et de détresse qu’il fut immédiatement nécessaire de lui assurer que le Coronal considérait effectivement les événements de Ni-moya avec la plus grande inquiétude.

— Lequel des frères est-ce, ce Gaviral ? demanda Dekkeret à Septach Melayn, qui avait récemment rassemblé des renseignements concernant les neveux de Dantirya Sambail.

— L’aîné. Un petit homme rusé, avec une certaine intelligence rudimentaire. Les quatre autres sont à peine plus que des brutes avinées.

— Oui, dit Dekkeret. Comme leur père Gaviundar, le frère du Procurateur. Je l’ai rencontré une fois, lorsqu’il est venu au Château du temps où Prestimion était Coronal, pleurnichant pour une faveur au sujet de terres. C’était un animal. Un gigantesque animal, énorme et vulgaire, hideux et puant abominablement.

— Qui nous a trahis lors de la bataille de Stymphinor pendant la guerre contre Korsibar, dit sombrement Gialaurys, lorsque Navigorn a failli réduire notre armée en pièces, et que Gaviundar et son frère Gaviad, alors nos alliés, ont honteusement retenu leurs troupes. Et sa progéniture revient nous hanter aujourd’hui !

Dekkeret se retourna vers le Skandar, qui avait l’air déconcerté par toutes ces histoires de batailles inconnues, mais luttait pour cacher sa confusion.

— Dites-moi la suite. Quelles sont véritablement les revendications territoriales de ce Gaviral ? Seulement Ni-moya, ou n’est-ce qu’un début ?

— D’après ce que nous en savons, ici, reprit Kelmag Volvol, le Lord Gaviral – c’est le titre qu’il utilise, le Lord Gaviral – a décrété l’indépendance de tout ce continent vis-à-vis du gouvernement impérial. Ni-moya est apparemment déjà passée sous son contrôle. Maintenant, il envoie des ambassadeurs dans les districts environnants, expliquant ses intentions et réclamant des serments d’allégeance. Une nouvelle constitution sera prochainement publiée. Le Lord Gaviral choisira bientôt le premier Coronal de Zimroel. On pense qu’il nommera l’un de ses frères à cette fonction.

— Le nom d’un certain Mandralisca a-t-il été mentionné ? demanda Dekkeret. Figure-t-il dans tout ceci d’une manière ou d’une autre ?

— Sa signature était sur la proclamation que nous avons reçue, répondit Kelmag Volvol. Comte Mandralisca de Zimroel, oui, en tant que conseiller privé de Sa Majesté le Lord Gaviral.

— Comte, pas moins, marmonna Septach Melayn. Comte Mandralisca ! Conseiller privé de Sa Majesté le Pontife Lord Gaviral ! Il en a fait du chemin, celui-là, depuis l’époque où il goûtait le vin du Procurateur pour vérifier s’il était empoisonné !

16

— Vous m’avez demandé, Votre Grâce ? fit Thastain.

Mandralisca fit un bref signe de tête.

— Amenez-moi le Changeforme, si vous le voulez bien, mon bon duc.

— Mais il est parti, monsieur.

— Parti ? Parti ?

Mandralisca ressentit un accès passager de rage et de désarroi, d’une intensité si violente que sa force le surprit. Seulement pour un instant ; mais pendant cet instant, il lui sembla qu’il était balayé dans l’air face à un ouragan. C’était une réaction disproportionnée et effrayante, et pas la première de son espèce au cours des derniers jours.

Il détestait ces périodes de vertige de l’âme qui avaient commencé à le prendre récemment. Il se détestait d’y succomber. Elles étaient une marque de faiblesse.

Le garçon devait l’avoir remarqué également. Il le dévisageait.

Mandralisca se força à continuer plus calmement.

— Parti où, Thastain ?

— Reparti à Piurifayne, je pense, monsieur. Rappelé chez lui par la Danipiur pour lui remettre son rapport, je crois.

Stupéfiant. Mandralisca sentit un nouveau tourbillon rugir dans son esprit à ces nouvelles.

Il chercha à tâtons sa cravache qui était toujours posée sur son bureau, agrippa son manche jusqu’à ce que ses phalanges blanchissent et la jeta de côté. Pour se maîtriser, il alla à la fenêtre et regarda dehors. Mais cela ne fit qu’empirer son humeur, car il se retrouva en train de regarder la pluie tomber. Depuis trois jours, Ni-moya connaissait de surprenantes pluies battantes, un déluge dépassant tout ce à quoi l’on aurait pu s’attendre si tard dans l’été, alors que la longue saison sèche de l’automne et de l’hiver devrait arriver. Derrière la fenêtre, tout n’était qu’un mur gris aveugle. Le fleuve, bien qu’il se trouvât juste en contrebas, était totalement invisible. On ne voyait que du gris, du gris et encore du gris. Et le tambourinement incessant de la pluie sur l’immense fenêtre de quartz commençait déjà à le rendre fou. Encore une journée et il se mettrait à hurler.