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— Vraiment ? demanda Dinitak. Nous avons une armée, oui. Mais je vous rappelle, Dekkeret, que nous sommes en terre ennemie, très loin de chez nous. Si Mandralisca a pu réunir des forces de taille comparable aux nôtres…

— Terre ennemie ? s’écria Gialaurys. Non ! Non ! Que dites-vous ? Nous sommes à Zimroel, où la monnaie de Sa Majesté le Pontife a toujours cours, et je parle du Pontife Prestimion, pas de cette stupide marionnette aux mains de Mandralisca. Les ordonnances impériales constituent toujours la loi ici, Dinitak. Lord Dekkeret ici présent est roi de cette terre. En outre, je suis né ici, à moins de cent kilomètres de ce que vous appelez une terre ennemie. Comment pouvez-vous ne serait-ce que prononcer de telles paroles ? Comment…

— Du calme, mon bon Gialaurys, dit Dekkeret, tout prêt à éclater de rire à présent. Il y a une certaine vérité dans ce que dit Dinitak. Nous ne sommes peut-être pas en terre ennemie ici même, mais nous ne savons pas jusqu’où nous pourrons avancer en amont du fleuve avant que cela ne change. Ni-moya a proclamé son indépendance : par la Dame, elle a nommé son propre Pontife ! A commencé à frapper sa propre monnaie avec le visage idiot de Gaviral dessus, pour ce que nous en savons. Jusqu’à ce que nous ayons mis bon ordre à la situation, nous devons considérer Ni-moya comme une cité ennemie, et les terres environnantes comme un territoire hostile.

Ils avaient établi leur campement sur la rive nord du Zimr, à peu de distance de Piliplok, dans une campagne agréable et banale de collines ondulées et de fermes bien entretenues. L’air y était chaud, un vent sec soufflait du sud, et vu la couleur fauve de la végétation, il était clair que dans cette région, les pluies du printemps et du début de l’été avaient depuis longtemps cessé. Une multitude de petites cités florissantes s’alignaient le long des deux rives du fleuve dans cette région, et jusqu’ici dans chacune d’elles Dekkeret avait été salué avec plaisir et vive émotion par la foule. Quoi qu’il se passât d’étrange à Ni-moya, les représentants locaux ne semblaient en avoir que la plus vague idée, et ils en parlaient à Dekkeret avec un embarras et un malaise évidents. Ni-moya se trouvait à des milliers de kilomètres, dans une autre province, pour ces gens de la campagne, Ni-moya était sophistiquée jusqu’à la décadence ; si Ni-moya avait décidé de se lancer dans une quelconque sorte de chambardement politique particulier, il s’agissait d’une affaire entre Ni-moya et le Coronal, et sans aucun doute, le Coronal prendrait très rapidement des mesures pour ramener la situation à la normale là-bas.

— Relisez-moi les revendications des seigneurs Sambailid, voulez-vous, monseigneur ? demanda Septach Melayn.

Dekkeret parcourut les feuillets de parchemin élégamment calligraphiés.

— Mmmm… voilà. Pas de revendications, exactement. Des propositions. Le Lord Gaviral – titre intéressant ; qui donc l’a nommé lord de quoi que ce soit ? – déplore l’éventualité d’un conflit armé qui pourrait se déclarer entre les forces du peuple de Zimroel et celles du Coronal lord Dekkeret d’Alhanroel – remarquez bien qu’ici, je suis Coronal d’Alhanroel, non de Majipoor – et invite à de pacifiques négociations pour résoudre le conflit entre les aspirations légitimes du peuple de Zimroel, et l’autorité tout aussi légitime du gouvernement impérial d’Alhanroel.

— Du moins concède-t-il qu’il s’agit d’un gouvernement légitime, souligna Septach Melayn. Même s’il continue à parler du gouvernement d’Alhanroel, et non de Majipoor.

— Quoi qu’il en soit, dit Dekkeret avec un haussement d’épaules, il part du principe qu’il s’agit d’une discussion entre puissances de même rang, et cela, bien entendu, nous ne pouvons le permettre. Mais laissez-moi poursuivre : il veut, ah oui, ici, le principal point dont il veut discuter lors de notre réunion est la restauration du titre de Procurateur de Zimroel, héréditaire pour sa famille. Espère que nous pourrons parvenir à un accord pacifique concernant les pouvoirs dudit Procurateur. Laisse entendre que son titre actuel de Pontife de Zimroel n’est que provisoire, et qu’il serait disposé à renoncer à toute revendication à un Pontificat séparé, en échange d’un compromis constitutionnel accordant une plus grande autonomie à Zimroel en général et à la province de Ni-moya en particulier, tout ceci sous une procuratie Sambailid.

— Eh bien, dit Septach Melayn, voilà qui est déjà moins exagéré que ce dont nous avons entendu parler la première fois. Cela me paraît signifier qu’il serait prêt à prendre simplement le titre de Procurateur et le contrôle politique de Ni-moya et de ses environs. Ce que détenait plus ou moins Dantirya Sambail.

— Un titre dont Prestimion l’a dépouillé, dit Gialaurys. Et a juré qu’il n’y aurait plus jamais de Procurateurs à Zimroel.

Le visage à la mâchoire carrée de Gialaurys rougit, et des grondements montèrent du fond de sa gorge. Il avait l’air, songea Dekkeret, d’un immense volcan se préparant à entrer en éruption.

— Allons-nous rendre à ce neveu qui ne vaut rien ce que Prestimion a pris à son oncle, juste parce que le neveu le dit ? Dantirya Sambail, au moins, était un grand homme, à sa manière. Celui-ci n’est qu’un porc insensé, reprit-il.

— Dantirya Sambail un grand homme ? fit Dinitak, très surpris. D’après tout ce que j’ai entendu, c’était le pire des monstres !

— C’est vrai aussi, dit Dekkeret. Mais un meneur astucieux et brillant. Il n’a pas été un instrument mineur du passage de Zimroel dans le monde moderne, à l’époque où Prankipin et Confalume gouvernaient, et où ce continent était une mosaïque de petites principautés. Il a bien travaillé pour le Château et le Labyrinthe pendant quarante ans, jusqu’au jour où il s’est mis dans la tête d’être celui qui nommerait le nouveau Coronal, et ensuite plus rien n’a été pareil.

Il ajouta à l’attention de Gialaurys :

— Vous êtes de toute façon trop avisé pour croire que nous allons réellement accorder le pouvoir à ce Gaviral, seigneur Amiral. Cette lettre est l’œuvre de Mandralisca. C’est Mandralisca qui serait le véritable Procurateur, si nous permettions au titre de renaître.

— Et cependant, vous avez l’intention de parlementer, monseigneur, sachant que vous discutez en réalité avec ce serpent de Mandralisca, qui une fois déjà a essayé de vous ôter la vie ? demanda Gialaurys.

Septach Melayn caressa sa petite barbiche frisée et rit.

— Te souviens-tu, Gialaurys, du moment où nous étions tous déployés à Thegomar Edge, juste avant la dernière bataille de la guerre contre Korsibar, et qu’un héraut portant un drapeau blanc est venu de la part du prince Gonivaul, qui était alors Grand Amiral, dire que lord Korsibar espérait toujours une solution pacifique aux conflits et demandait des pourparlers ?

— Oui, il a suggéré que ce soit le duc Svor qui soit envoyé pour en discuter les conditions avec lui ? répondit Gialaurys, en souriant à ce souvenir.

— Svor était le moins guerrier et le plus retors de nous tous, expliqua Septach Melayn à Dinitak. Et il avait été un bon ami de Korsibar avant que les factions ne se divisent. Nous ne voyions aucune utilité à ces pourparlers, mais Prestimion a dit : « Cela ne peut pas faire de mal d’écouter », exactement comme Dekkeret vient de le faire aujourd’hui. Ainsi Svor est parti à dos de monture rencontrer Gonivaul à mi-distance, en terrain découvert, et Gonivaul lui a fait une proposition, qui était que Svor attende que la bataille ait commencé et se déplace à ce moment-là parmi les capitaines de Prestimion pour leur dire que lord Korsibar les ferait tous ducs ou princes, s’ils abandonnaient Prestimion au plus fort des combats et passaient à l’usurpateur. C’était l’idée que se faisait Korsibar de pourparlers.