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— Il l’est. Croyez-moi, Varaile, il l’est.

— Et pensez-vous que Fulkari sera l’élue ?

— Vous insistez trop, madame. Je vous prie de mettre fin à cette inquisition. Vous êtes ma reine, et aussi une de mes amies les plus chères, mais ce sont là des questions dont je ne souhaite pas discuter, si vous le permettez.

Repoussant sa chaise, il la regarda d’une façon qui dressa un mur de silence entre eux.

À ce moment-là, ce fut elle qui tendit la main vers lui.

— Je n’ai jamais eu l’intention de vous mettre mal à l’aise, Dekkeret, dit-elle affectueusement. Je voulais seulement vous faire part de mon opinion, sur un point qui m’inquiète profondément.

— Je vous le répète : j’aime Fulkari. J’ignore si je veux l’épouser, et je ne suis pas sûr qu’elle le veuille. Il y a des problèmes entre Fulkari et moi, Varaile, dont je ne discuterai pas, même avec vous. Surtout avec vous… Pouvons-nous, une fois encore, changer de sujet ? De quoi pouvons-nous parler ? De vos enfants ? Le prince Akbalik : il a écrit un poème épique, c’est exact ? Et la princesse Tuanelys… est-il vrai que Septach Melayn a promis de l’entraîner à l’épée quand elle aura un ou deux ans de plus… ?

En se réveillant, au matin, il découvrit une note qui avait été glissée sous la porte de sa chambre pendant la nuit :

Pouvons-nous faire une promenade demain ? Dans la prairie du sud, peut-être ?

— F.

Les gens de sa maison lui apprirent qu’un Vroon l’avait apportée aux petites heures. Dekkeret savait de qui il s’agissait : le petit Guijara Yaso, le mage personnel de Fulkari, un invétéré jeteur de sorts et préparateur de potions, qui lui servait généralement d’intermédiaire dans ce genre de situation. Dekkeret soupçonnait le Vroon d’avoir, de temps à autre, usé de sorcellerie sur lui, pour tenter de maintenir Fulkari en première position dans son cœur.

Non que la sorcellerie soit nécessaire : elle occupait constamment ses pensées. Il n’était en aucune façon indifférent à Fulkari ; et tout au long de son séjour à Normork, il n’avait eu qu’à laisser son esprit s’écarter brièvement de ce qui se passait à ce moment-là pour qu’elle soit là, comme un feu brûlant dans son cerveau, souriante, lui faisant signe, l’attirant à elle…

Assurément, après une semaine de séparation, le désir de se précipiter à ses côtés dès son retour avait été puissant. Mais Dekkeret avait ressenti la nécessité de mettre de la distance entre elle et lui pour un moment, ne serait-ce que pour se donner le temps de comprendre ce qu’il attendait réellement d’elle, et elle de lui. Cette résolution fut anéantie en un instant. Il sentit un torrent de soulagement, de joie et de plaisir anticipé l’envahir en lisant sa note.

— Ai-je des fonctions officielles prévues ce matin ? demanda-t-il à Singobinda Mukund, au petit déjeuner.

— Aucune, monsieur, répondit le chef de la domesticité.

— Et aucunes nouvelles du Labyrinthe, je suppose ?

— Rien, monsieur, fit Singobinda Mukund.

Il regarda Dekkeret d’un air horrifié, comme pour indiquer qu’il était ébahi que Dekkeret puisse avoir besoin de le demander.

— Envoyez un mot à lady Fulkari, dans ce cas, disant que je la retrouverai dans deux heures, à l’Arche de Dizimaule.

Fulkari l’attendait lorsqu’il arriva, vision ravissante et élancée en tenue d’équitation de souple cuir vert qui lui faisait comme une seconde peau. Dekkeret vit qu’elle avait déjà demandé deux fougueuses montures de course aux écuries du Château. Fulkari était ainsi : elle profitait de l’instant présent, accomplissait rapidement ce qui devait être réalisé. Son attente, la nuit dernière, pour voir s’il ferait le premier pas, n’était vraiment pas habituelle. Et effectivement, puisqu’il ne l’avait pas fait, elle l’avait fait elle-même, en faisant glisser la note sous la porte.

Ils étaient amants depuis presque trois ans à présent, quasiment depuis le premier jour de l’arrivée de Fulkari au Château. Elle était membre de l’une des vieilles familles pontificales, descendante de Makhario de Sipermit, qui avait gouverné cinq cents ans plus tôt. Le Château était rempli de tels nobles, des centaines, des milliers même, dans les veines desquels coulait le sang des monarques d’autrefois.

Bien que la monarchie ne puisse jamais être héréditaire, la progéniture des Pontifes et des Coronals était anoblie pour l’éternité, et avait le droit d’occuper des appartements au Château, aussi longtemps qu’il lui plaisait, qu’elle ait ou non une fonction officielle dans le gouvernement actuel. D’aucuns choisissaient d’établir leur résidence permanente et faisaient partie des meubles de la cour. La plupart, cependant, préféraient passer la plus grande partie de l’année dans leur domaine familial, quelque part sur le Mont, ne se rendant au Château que pendant la haute saison.

Sipermit, où avait grandi Fulkari, était l’une des neuf Cités Hautes du Mont du Château, qui occupaient la bande urbaine située juste en dessous du Château lui-même. Mais elle n’avait en fait jamais mis les pieds au Château avant d’avoir vingt et un ans, lorsqu’elle et son jeune frère Fulkarno avaient été envoyés vivre quelques années à la cour par leurs parents, comme il était de coutume pour les jeunes aristocrates.

Dekkeret avait remarqué Fulkari presque immédiatement. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle ressemblait assez à Sithelle, sa cousine depuis longtemps disparue, tombée sous la lame de l’assassin ce terrible jour, vingt ans plus tôt à Normork, pour être le fantôme de Sithelle traversant parmi eux les corridors du Château.

Elle était mince et musclée, comme Sithelle, une grande jeune femme aux bras et aux jambes particulièrement longs pour son tronc. Ses cheveux roux dorés tombaient en une semblable cascade embrasée, ses yeux étaient du même gris-violet soutenu, ses lèvres pleines, son menton ferme, comme Sithelle. Son visage était plus large qu’il ne se rappelait que celui de Sithelle l’ait été, et elle avait un curieux petit creux sur le menton que Sithelle n’avait pas ; mais dans l’ensemble, la ressemblance était extraordinaire.

Dekkeret s’arrêta net, le souffle coupé, la première fois qu’il la vit.

— Qui est-ce ? demanda-t-il. Et lorsqu’on lui répondit qu’elle était la nièce nouvellement arrivée du comte de Sipermit, il se débrouilla pour la faire rapidement inviter à une réception à la cour, donnée la semaine suivante par Varaile ; et s’arrangea pour s’y trouver lui-même et se la faire présenter, il la dévisagea alors avec une fascination si intense qu’il dut lui paraître un peu fou.

— L’un de vos ancêtres serait-il originaire de Normork, par hasard ? l’interrogea-t-il alors.

— Non, Excellence. Nous sommes des gens de Sipermit, depuis des milliers d’années, dit-elle d’un air perplexe.

— C’est étrange. Vous me rappelez quelqu’un que j’y connaissais autrefois. Je suis moi-même de Normork, voyez-vous. Et il y avait une certaine personne, la fille de la sœur de mon père, en réalité…

Non, non, elle n’avait aucun lien avec Sithelle. Cette ressemblance était une simple coïncidence, aussi mystérieuse soit-elle. Mais Dekkeret ne mit pas longtemps à l’attirer dans sa vie. Fulkari avait une douzaine d’années de moins que lui, et n’avait aucune expérience de la cour, mais elle avait l’esprit vif, plein d’entrain et désireux d’apprendre, était ardente et passionnée, pas le moins du monde timide. Malgré cela, il était bizarre de la tenir dans ses bras, et de voir son visage, si semblable à celui de Sithelle, si près du sien. Sithelle et lui n’avaient jamais été amants, n’avaient même jamais rêvé d’une telle chose ; d’ailleurs, il la considérait davantage comme une sœur que comme une cousine.