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Comme nous le serons tous un jour, pensa soudain Varaile avec mélancolie : de simples personnages de légende.

— D’autres nouvelles ? demanda-t-elle.

Fiorinda hésita. Cela ne dura qu’un instant, mais ce fut suffisant. Varaile comprit cette petite hésitation comme si elle lisait dans les pensées de Fiorinda.

Il y avait d’autres nouvelles, importantes, et Fiorinda les taisait.

— Oui ? Dis-moi, la pressa Varaile.

— Eh bien…

— Arrête ça, Fiorinda. Quoi que ce soit, je veux que tu me le dises tout de suite.

— Eh bien…, Fiorinda s’humecta les lèvres. Un rapport est arrivé du Labyrinthe…

— Oui ?

— C’est sans conséquence, je pense.

— Parle !

Déjà l’information prenait tout son sens dans l’esprit de Varaile, et elle lui donnait froid dans le dos.

— Le Pontife ? demanda-t-elle.

Fiorinda acquiesça tristement. Elle ne pouvait affronter le regard d’acier de Varaile.

— Mort ?

— Oh, non, rien de tel, madame !

— Alors EXPLIQUE TOI ! s’écria Varaile, exaspérée.

— Une légère faiblesse dans la jambe et le bras. La jambe gauche, le bras gauche. Il a fait mander des mages.

— Tu veux dire, une attaque ? Le Pontife Confalume a eu une attaque ?

Fiorinda ferma les yeux un instant et prit plusieurs grandes inspirations.

— Ce n’est pas encore confirmé, madame. Ce n’est qu’une supposition.

Varaile ressentit une chaleur au niveau des tempes et fut saisie d’un vertige. Elle se maîtrisa avec difficulté, s’obligeant à retrouver son sang-froid.

Ce n’est pas encore confirmé, se répéta-t-elle.

Ce n’est qu’une hypothèse.

— Tu me parles de dragons de mer au large d’une côte lointaine, d’une délégation sans intérêt d’une ville insignifiante au milieu de nulle part, et tu me dissimules la nouvelle de l’attaque de Confalume, si bien que je dois te l’arracher ? Crois-tu que je sois une enfant à qui il faut cacher les mauvaises nouvelles comme cela, Fiorinda ? dit-elle calmement. Fiorinda semblait au bord des larmes.

— Madame, comme je vous le disais il y a un instant, il n’est pas encore certain qu’il s’agissait d’une attaque.

— Le Pontife a largement dépassé les quatre-vingts ans. Et vraisemblablement les quatre-vingt-dix, à ce que je sais. Tout ce qui lui fait mander ses mages est mauvais signe. Et s’il meurt ? Tu sais ce qui se produira alors… Où as-tu appris cela, d’ailleurs ?

— Mon seigneur Teotas le tient du légat pontifical au Château, tard la nuit dernière, il me l’a dit ce matin, alors que je me préparais à venir, répondit Fiorinda de plus en plus troublée. Il vous en parlera lui-même une fois que vous aurez pris votre petit déjeuner, juste avant votre réunion avec les ministres royaux… Mon seigneur Teotas m’a exhortée à ne pas vous l’annoncer trop brutalement, car, a-t-il souligné, ce n’est pas réellement aussi grave que ça en a l’air, le Pontife a une bonne santé générale et n’est pas considéré comme étant en danger, il…

— Et de toute façon, les dragons de mer au large de la côte de Stoien sont plus importants, l’interrompit Varaile d’un ton acerbe. A-t-on envoyé un messager au Coronal ?

— Je ne sais pas, madame, répondit Fiorinda d’une voix sans force.

— Qu’en est-il du prince Dekkeret ? Je ne l’ai pas vu depuis plusieurs jours. As-tu la moindre idée de l’endroit où il se trouve ?

— Je pense qu’il est à Normork, madame. Son ami Dinitak Barjazid l’y a accompagné.

— Pas lady Fulkari ?

— Pas lady Fulkari, non. Tout ne va pas pour le mieux entre le prince Dekkeret et lady Fulkari ces temps-ci, je crois. C’est avec Dinitak qu’il est parti, Secundi, pour Normork.

— Normork ! frémit Varaile. Une autre ville hideuse, même si Dekkeret l’aime, le Divin seul sait pourquoi. Et j’imagine que tu ignores également si quelqu’un a déjà tenté de l’avertir ? Le prince Dekkeret pourrait bien se retrouver Coronal d’ici la tombée de la nuit, mais personne n’a eu l’idée de lui faire savoir que…

Varaile se rendit compte qu’elle perdait à nouveau tout contrôle. Elle s’interrompit au milieu de son envolée.

— Petit déjeuner, reprit-elle d’un ton plus calme. Nous devrions manger quelque chose, Fiorinda. Que nous nous trouvions ou non en pleine crise ce matin, nous ne devrions pas attaquer la journée l’estomac vide, hein ?

3

Le flotteur sortit de la dernière courbe de l’abrupte Crête de Normork, et l’immense muraille de pierre de la cité de Normork surgit soudain devant eux, en plein milieu de la route qui les avait amenés du Château jusqu’à ce niveau inférieur du flanc du Mont. Le mur constituait une gigantesque et écrasante barrière de mégalithes rectangulaires noirs empilés sur une hauteur stupéfiante. La ville qu’il protégeait était totalement cachée à la vue, derrière.

— Nous y voilà, Normork, fit Dekkeret.

— Et qu’est-ce que cela ? demanda Dinitak Barjazid.

Dekkeret et lui voyageaient souvent ensemble, mais c’était sa première visite de la ville natale de Dekkeret.

— Ce petit passage est-il la porte ? Notre flotteur va-t-il vraiment pouvoir la franchir ? reprit-il.

Frappé de stupeur, il regardait le misérable trou minuscule, ridiculement hors de proportion, comme rajouté après coup au pied de l’imposant rempart. Il semblait à peine assez large pour laisser passer un chariot de grande taille. Des gardes vêtus de cuir vert étaient figés au garde-à-vous de chaque côté. On n’avait de la cité cachée qu’un aperçu décevant encadré dans la petite ouverture : ce qui paraissait être des entrepôts et une paire de tours grises aux angles multiples. Dekkeret sourit.

— L’Œil de Stiamot, c’est le nom de cette porte. Un bien grand nom pour un orifice si insignifiant. Ce que tu vois est la seule et unique entrée de la célèbre cité de Normork. Impressionnant, n’est-ce pas ? Mais ce sera suffisant pour nous, oui. Pas de beaucoup, mais nous passerons.

— Étrange, fit Dinitak, alors qu’ils franchissaient l’arche en ogive et pénétraient dans la ville. Un mur aussi gigantesque et une porte aussi minable et dérisoire. Cela ne donne pas spécialement aux étrangers l’impression d’être les bienvenus, non ?

— J’ai des plans pour y remédier, quand l’occasion se présentera. Tu verras ça demain, répondit Dekkeret.

La raison de sa visite était la naissance du fils de l’actuel comte de Normork, répondant au nom de Considat. Normork n’étant pas une ville particulièrement importante, ni Considat un personnage clé de la hiérarchie du Mont du Château, d’ordinaire la seule manifestation officielle du Coronal, suite à la naissance de l’enfant, aurait consisté en un mot de félicitations et un joli cadeau. Elle n’aurait certes pas donné lieu à une visite d’État. Toutefois Dekkeret, qui n’avait pas vu Normork depuis de nombreux mois, avait demandé l’autorisation d’aller présenter personnellement les félicitations du Coronal, et avait emmené Dinitak pour lui tenir compagnie.

— Pas Fulkari ? s’était étonné Prestimion.

Car Dekkeret et Fulkari formaient un couple inséparable depuis deux ou trois ans. À quoi Dekkeret avait répondu que le comte Considat étant un homme aux manières conservatrices, il n’estimait pas convenable de lui rendre visite accompagné d’une femme qui n’était pas son épouse. Il irait avec Dinitak. Prestimion n’avait pas insisté. Il avait entendu les rumeurs – comme tout un chacun à la cour, à ce moment-là – rapportant que, dernièrement, tout n’allait pas pour le mieux entre le prince Dekkeret et lady Fulkari, même si Dekkeret n’en avait dit mot à personne.