— Retournons à mon bureau.
Si je le surprends un jour à utiliser son casque sur moi, se dit Mandralisca, je l’emmènerai dans le désert et l’attacherai entre deux pungatans.
— Je vais essayer à nouveau votre jouet, je pense, dit-il à Barjazid.
Il glissa rapidement le casque sur son front, sentit sa force s’emparer de lui et projeta son esprit jusqu’à ce qu’il établisse un contact avec un autre, sans se soucier de savoir s’il appartenait à un humain, un Ghayrog, un Skandar ou un Lii. Il le sonda pour trouver un point d’entrée. Le pénétra alors, tranchant comme une épée. Le taillada. Le laissa en miettes. Maîtrise. Extase.
3
— Ainsi, voilà la salle du trône impérial ! Je m’étais toujours demandé à quoi elle pouvait ressembler, s’exclama Dekkeret.
Prestimion fit un geste grandiose et extravagant.
— Regardez bien. Ce sera à vous un jour.
— Ayez pitié, monseigneur ! répondit Dekkeret avec un sourire triste. Je suis à peine habitué à porter la robe de Coronal, et vous voilà déjà en train de m’ouvrir les portes du Labyrinthe !
— Je vois que vous continuez à m’appeler « monseigneur ». Ce titre est le vôtre, maintenant, monseigneur. Je suis « Votre Majesté ».
— Oui, Votre Majesté.
— Merci, monseigneur.
Aucun des deux hommes ne tenta de réprimer son éclat de rire. C’était leur première rencontre officielle en tant que Pontife et Coronal, et ni l’un ni l’autre ne pouvaient envisager l’ampleur du fait sans une certaine dose d’amusement.
Ils se trouvaient dans le niveau le plus profond du Labyrinthe, lieu de la résidence privée du Pontife et des grandes salles publiques de la branche impériale de la monarchie, la salle du trône, la Grande Salle du Pontife, la Cour des Trônes, et tout le reste. Dekkeret était arrivé dans la capitale souterraine tard le soir précédent. Il n’avait jamais eu de raison de se rendre dans le Labyrinthe auparavant, même s’il en avait entendu parler tout au long de sa vie : son aspect sinistre, l’absence d’air pur, l’impression qu’il donnait d’être coupé de la vie et de la nature, condamné à vivre en profondeur, hors de vue du monde, dans un royaume où régnait une nuit éternelle, éclairé par des lampes à l’éclat dur.
Au premier abord, cependant, l’endroit le frappa comme étant beaucoup moins rébarbatif qu’il ne se l’était imaginé. Les niveaux supérieurs avaient la vitalité riche et affairée d’une puissante métropole, ce qu’était, après tout, le Labyrinthe : la capitale du monde. Et ensuite, il y avait ces merveilles architecturales plus bas, la myriade de bizarreries dont dix mille ans de Pontifes avaient paré leur cité. Enfin, il y avait la grandeur et la richesse du secteur impérial lui-même, où une telle magnificence avait été prodigalement déployée qu’elle faisait de l’ombre même à l’opulence du Château.
Dekkeret avait passé la nuit dans les appartements réservés aux Coronals durant leurs visites à la cour de l’aîné des monarques. C’était la première fois qu’il occupait une résidence du Coronal quelle qu’elle soit. Il s’était arrêté un instant, saisi de respect à la vue de l’immense porte de la suite qui était désormais sienne, avec ses sculptures complexes, les volutes des symboles de la constellation en or et le monogramme royal répété encore et encore, LPC, LPC, LPC, lord Prestimion Coronal, qui serait bientôt remplacé par le LDC de sa propre élévation. Il ne restait qu’une étape avant cela. Il avait été proclamé par Prestimion, il avait été confirmé par le Conseil ; il ne lui restait plus qu’à retourner au Château pour la cérémonie du sacre. Mais les funérailles de Confalume et le couronnement du nouveau Pontife avaient la préséance.
Le nouveau Pontife avait déjà accompli l’antique rite de prise de possession de sa nouvelle demeure, puisque Prestimion voyageait déjà sur le Glayge lorsque la nouvelle de la mort de Confalume lui était parvenue, il était retourné au Labyrinthe par le fleuve ; mais au lieu de pénétrer dans la capitale par l’Entrée des Eaux, l’habituelle entrée depuis le Glayge, la tradition exigeait que cette fois il fasse tout le tour de la cité pour arriver du côté faisant face au désert méridional, et passe par l’Entrée des Lames, beaucoup moins sympathique.
Il s’agissait simplement d’un austère trou béant dans le sol du désert, entouré de poutres nues pour empêcher le sable porté par le vent de le boucher. Devant étaient alignées d’anciennes épées rouillées, dont on disait qu’elles étaient vieilles de milliers d’années, plantées pointes en l’air dans une matrice de béton. Derrière cette entrée peu accueillante attendaient les sept gardiens masqués du Labyrinthe : par tradition, deux Hjorts, un Ghayrog, un Skandar et même un Lii se trouvaient parmi eux, qui suivirent sobrement le rituel consistant à s’enquérir des raisons amenant Prestimion en cet endroit, s’entretinrent avec ostentation entre eux pour décider s’ils allaient le laisser entrer, puis lui demandèrent la traditionnelle offrande d’entrée, qui devait être un objet de son choix. Prestimion avait apporté la grande cape que les gens de Gamarkaim lui avaient offerte comme cadeau de couronnement lorsqu’il était devenu Coronal, faite de plumes bleu de cobalt de scarabées de feu géants entrelacées, et réputée protéger celui qui la portait du feu des flammes. En la remettant ici pour qu’elle soit déposée à jamais au musée où étaient conservés de tels dons, il déclarait qu’à l’intérieur du Labyrinthe, il serait toujours à l’abri de toute menace extérieure.
Puis il entra ; la coutume voulait à présent qu’il descendît à pied tous les niveaux de la cité en spirale. Ce n’était pas une petite affaire. Varaile parcourut à ses côtés toute la distance, ainsi que ses trois fils et sa fille, même si lady Tuanelys, trop jeune pour soutenir l’allure, fut portée sur le dos d’un garde Skandar pendant la plus grande partie du trajet. À chaque étape, d’immenses foules se rassemblaient autour de lui, formant en l’air le symbole du Labyrinthe du bout de leurs doigts, et criant son nouveau nom : « Prestimion Pontife ! Prestimion Pontife ! » Il n’était plus lord Prestimion.
Entre-temps, son accession au trône suprême avait été proclamée dans chacun des étages inférieurs, d’abord dans la Cour des Colonnes, puis sur la Place des Masques, ensuite dans la Salle des Vents, la Cour des Pyramides, puis était remontée jusqu’à l’Entrée des Lames. Ainsi chaque endroit était déjà consacré à son règne lorsqu’il y arrivait. Puis, enfin, Prestimion atteignit le secteur impérial, où il s’agenouilla d’abord devant la dépouille embaumée de son prédécesseur, Confalume, qui reposait en grand apparat sur l’estrade de la Cour des Trônes, avant de se rendre dans sa nouvelle résidence, et d’y recevoir du porte-parole du Pontificat l’emblème en spirale de sa fonction et la robe noir et écarlate. Le reste ne pouvait être accompli avant que Dekkeret n’arrive.
À présent, Dekkeret était là. La coutume antique voulait que Prestimion reçoive le nouveau Coronal dans la salle du trône impérial. Ainsi, le porte-parole Haskelorn fit quérir Dekkeret dans la suite du Coronal le matin suivant son arrivée, et ils parcoururent ensemble dans un petit flotteur les couloirs longs et sinueux du secteur impérial, par un tunnel qui allait en se rétrécissant au point que, finalement, même le petit véhicule ne put plus passer. Marchant désormais côte à côte, ils avancèrent dans un passage scellé tous les quinze mètres par des portes de bronze, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la dernière porte, portant le blason du Labyrinthe et le monogramme fraîchement gravé du Pontife Prestimion, là où, seulement quelques heures plus tôt, se trouvait celui de Confalume. Le vieil Haskelorn posa sa paume sur le monogramme et la porte s’ouvrit en grand, découvrant Prestimion, souriant.