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— Monseigneur, le coupa brusquement Dinitak. Je vous rappelle que je vous ai dit que Teotas recevait des messages.

— Ce qui est une affirmation sans aucun sens pour moi.

— Ce que je veux dire, c’est que quelqu’un glisse à distance ces terribles rêves dans l’esprit de Teotas. Vous continuez à croire que la Dame de l’Ile est la seule personne au monde à pouvoir entrer dans l’esprit des gens endormis.

— Eh bien ? N’en est-il pas ainsi ?

— Vous rappelez-vous un certain casque, Dekkeret, un petit appareil de dentelle métallique, que mon défunt père utilisa sur vous, il y a longtemps, alors que vous traversiez avec nous le Désert des Rêves Volés à Suvrael ? Vous souvenez-vous d’une version plus récente du même appareil, que j’ai moi-même utilisé en votre présence, et que lord Prestimion a également utilisé, lorsque nous luttions contre le rebelle Dantirya Sambail ? Ce casque donne à une personne la capacité d’entrer dans les esprits par-delà de grandes distances. Prestimion lui-même pourrait vous le confirmer, si vous le lui demandiez.

— Mais ces casques et tous les documents touchant à leur fabrication et leur fonctionnement sont gardés sous clef au Trésor du Château. Personne ne s’en est approché depuis des années. Essaies-tu de me dire qu’ils ont été volés ?

— Pas du tout, monseigneur.

— Alors pourquoi en discutons-nous ?

— À cause des rêves que fait Teotas.

— Très bien. Donc Teotas fait de très mauvais rêves. Ce n’est pas un événement sans importance. Mais les rêves, en fin de compte, ne sont que des rêves. Nous les générons des profondeurs de nos âmes, à moins que l’on ne nous les y glisse de l’extérieur, et la seule à pouvoir accomplir cela est la Dame de l’île. Qui certainement n’enverrait jamais à personne des rêves de l’espèce que tu dis que reçoit Teotas. Et tu as toi-même reconnu que nous contrôlons la seule autre machine qui puisse faire une telle chose, et qui est le casque que ton père utilisait.

— Comment pouvez-vous être sûr, demanda Dinitak, que les appareils que vous tenez sous clef au Trésor sont les seuls exemplaires qui existent ? Je suis familier du fonctionnement du casque. Votre Seigneurie, je sais ce qu’il peut faire. Ce qui arrive à Teotas est précisément ce genre de chose.

Pour la première fois, Dekkeret commença à voir où Dinitak avait voulu l’amener tout ce temps.

— Et qui, d’après toi, possède cet autre casque et tourmente ce pauvre Teotas avec ?

Un éclat apparut dans les yeux de Dinitak.

— Le frère cadet de mon père, Khaymak, était le mécanicien qui construisait les casques qui permettaient de contrôler les esprits pour mon père. Khaymak est resté à Suvrael toutes ces années, vaquant à je ne sais quelles affaires louches dont il s’occupe. Mais vous vous souvenez peut-être qu’il est venu sur le Mont du Château, pas plus tard que l’année dernière…

— Bien sûr, dit Dekkeret. Bien sûr !

Tout commençait à se mettre en place à présent.

— Venu sur le Mont du Château, continua Dinitak, cherchant à s’engager au service de lord Prestimion. J’ai moi-même veillé, en détestant l’embarras, je le reconnais, d’avoir un parent si peu recommandable dans les environs, à ce qu’on lui refuse l’autorisation de s’approcher du Château. Je vois maintenant que c’était une erreur monumentale.

— Tu penses qu’il a construit un autre casque ?

— Soit ça, soit il en a conçu un et cherchait un protecteur pour financer la fabrication d’un modèle qui fonctionne. J’ai eu l’impression que c’était pour cette raison qu’il venait voir Prestimion ; et je ne voyais rien de bon en sortir, donc les portes du Château lui ont été fermées. Mais je crois qu’il a trouvé un protecteur ailleurs, et a désormais fabriqué un nouveau casque, qu’il utilise sur Teotas. Et, peut-être, sur d’autres aussi.

Dekkeret eut un frisson.

— Juste avant mon couronnement, dit-il lentement, le mage Su-suheris de Prestimion est venu me trouver pour me dire qu’il avait eu une sorte de vision dans laquelle un membre du clan Barjazid réussissait à devenir une Puissance du Royaume. Toute cette histoire me paraissait être une ineptie, et je n’y ai plus pensé. Je ne t’en ai jamais parlé, parce que pour moi cela comportait des implications de trahison, que tu aurais pu vouloir me renverser et te faire Coronal à ma place, ce qui me paraissait trop absurde pour seulement l’envisager.

— Je ne suis pas le seul Barjazid de ce monde, monseigneur.

— En effet. Et Maundigand-Klimd m’a mis en garde contre une interprétation trop littérale de sa vision. Mais si elle signifiait, non que ce Barjazid allait devenir une Puissance – et quelle autre Puissance pouvait-il devenir si ce n’était Coronal ? – mais qu’il allait parvenir à la puissance, le pouvoir au sens large du mot ?

— Ou qu’il allait vendre le casque et ses services à une autre personne qui voudrait exercer ce pouvoir, ajouta Dinitak.

— Mais de qui s’agirait-il ? Le monde est en paix. Prestimion s’est occupé de tous nos ennemis il y a longtemps.

— Le goûteur de Dantirya Sambail est toujours en vie, monseigneur.

— Mandralisca ? Je ne lui ai même pas accordé une pensée depuis des années ! Enfin, il doit être un vieillard maintenant, si même il est encore en vie.

— Pas si vieux que ça, à mon avis. Peut-être cinquante ans, au plus. Et toujours très dangereux, j’imagine. J’ai touché son esprit avec le mien, vous savez lorsque je portais le casque, le jour de la bataille finale en Stoienzar. Seulement brièvement, mais c’était suffisant. Je ne l’oublierai jamais. La haine est lovée dans son esprit comme un serpent gigantesque : une colère dirigée contre le monde entier, un désir de nuire, de détruire…

— Mandralisca ! murmura Dekkeret, secouant la tête.

Il était plongé dans la surprise et l’horreur de ses souvenirs.

— Il était, je crois, un monstre pire que son maître Dantirya Sambail, déclara Dinitak. Le Procurateur savait quand mettre un frein à ses ambitions. Il y avait toujours un certain point qu’il répugnait à franchir, et lorsqu’il l’atteignait, il trouvait quelqu’un d’autre pour entreprendre la tâche dans son intérêt.

Dekkeret acquiesça d’un signe de tête.

— Korsibar, par exemple. Dantirya Sambail, aussi assoiffé de pouvoir qu’il l’était, n’a jamais tenté de se faire lui-même Coronal. Il a trouvé un mandataire, une marionnette.

— Exactement. Le Procurateur a toujours préféré rester en sécurité dans les coulisses, évitant de prendre les plus grands risques, laissant les autres faire le sale boulot pour lui. Mandralisca était d’une autre espèce. Il était toujours disposé à tout risquer sur un coup de dés.

— En jouant les goûteurs, par exemple. Quel homme sain d’esprit ferait un tel travail ? Mais il paraissait ne pas se soucier des risques pour sa propre vie.

— Je le pense aussi. Ou peut-être pensait-il que le risque valait la peine d’être pris. En faisant savoir à son maître qu’il était prêt à mettre sa vie en jeu pour lui, il trouvait le chemin du cœur de Dantirya Sambail. Le pari a dû lui paraître raisonnable. Et une fois qu’il s’est retrouvé aux côtés du Procurateur, je pense qu’il a poussé Dantirya Sambail d’un acte monstrueux à l’autre, peut-être par simple plaisir.