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— En quelque sorte, répondit Keltryn. Je rencontre deux fois par semaine au gymnase l’un des garçons de la classe de Septach Melayn.

— Audhari, c’est cela ? Celui dont tu m’as parlé, qui vient de Stoienzar ?

— Audhari, oui.

Voilà qui était intéressant. Fulkari attendit que Keltryn en dise davantage sur Audhari, mais rien ne vint. Elle étudia attentivement le visage de Keltryn, se demandant si un signe révélateur d’embarras ou de malaise allait le traverser, un détail qui indiquerait que sa petite sœur vierge avait finalement pris un amant. Mais rien de tel n’était visible. Soit Keltryn était une actrice plus accomplie que Fulkari ne l’aurait cru, soit il ne se passait rien de plus que d’innocents exercices d’escrime entre elle et cet Audhari.

Dommage, pensa-t-elle. Il était temps qu’une petite idylle trouve sa place dans la vie de Keltryn.

— Dis-moi, Fulkari, lança ensuite abruptement Keltryn, alors qu’elles arrivaient à la piscine. Connais-tu bien Dinitak Barjazid ? Fulkari fronça les sourcils.

— Dinitak ? Pourquoi me demandes-tu cela ?

— Je te le demande parce que je te le demande. Et alors, à son immense surprise, Fulkari vit les signes de tension qui ne s’étaient pas manifestés lorsque le nom d’Audhari avait été mentionné.

— Est-ce un de tes amis ? dit Keltryn.

— Au sens large du terme, oui. On ne peut passer beaucoup de temps avec Dekkeret sans en venir à connaître également Dinitak. Il n’est généralement pas loin de Dekkeret, tu sais. Mais lui et moi n’avons jamais été particulièrement proches. Des connaissances, en fait, plus que des amis… Vas-tu me dire de quoi il s’agit, Keltryn ? Ou est-ce quelque chose que je ne suis pas censée savoir ?

Keltryn affichait désormais un masque d’indifférence appliquée.

— Il m’intéresse, c’est tout. Il se trouve que je suis tombée sur lui, hier, dans la Rotonde de lord Haspar, alors que je me rendais à mon entraînement d’escrime, et nous avons discuté quelques minutes. Rien de plus. Ne te fais pas d’idées, Fulkari. Nous n’avons fait que discuter.

— Des idées ? De quelles idées parles-tu ?

— Il est très… différent, je trouve, dit Keltryn. Elle semblait peser ses mots avec beaucoup de soin.

— Il y a quelque chose de farouche en lui… quelque chose de mystérieux et grave. J’imagine que c’est parce qu’il vient de Suvrael. Tous les gens de Suvrael que j’ai rencontrés sont un peu étranges. Ce doit être dû à ce soleil torride. Mais il est étrange d’une façon intéressante, si tu vois ce que je veux dire.

— Je pense que oui, répondit Fulkari, jaugeant la lueur qui venait d’apparaître dans les yeux de sa sœur.

Elle savait aussi bien que n’importe qui ce que signifiait une telle lueur dans les yeux d’une fille de dix-sept ans.

Dinitak ? Comme c’était bizarre. Comme c’était intéressant. Comme c’était inattendu.

— Je te dois des excuses, Fulkari, dit Dekkeret.

Fulkari, hors d’haleine après sa longue course folle dans les interminables tours et détours de la Bibliothèque de lord Stiamot, mit du temps à répondre. Elle était arrivée avec vingt minutes de retard à son audience avec le Coronal, s’étant trompée de chemin de nombreuses fois dans la collection s’étendant sur des kilomètres interminables. Elle n’avait jamais vu autant de livres de sa vie qu’en courant dans ces couloirs. Elle n’avait pas idée qu’il existait autant de livres. Quelqu’un en avait-il déjà lu, au moins ? N’y avait-il pas de fin à ces milliers d’étagères ? Finalement, un très vieux bibliothécaire ressemblant à un fossile la prit en pitié, et la guida dans ce dédale jusqu’au petit bureau isolé de lord Dekkeret, dans le Long Couloir de Methirasp.

— Des excuses ? répéta-t-elle enfin, ne serait-ce que pour dire quelque chose.

Le bureau de Dekkeret édifiait une barrière entre eux. Il était recouvert de hautes piles de documents officiels, de longs parchemins festonnés de rubans et de sceaux impressionnants. Ils semblaient défiler vers lui sur la surface brillante et polie du bureau, une armée s’avançant pour réclamer son attention.

Dekkeret paraissait fatigué et mal à l’aise. Ce jour-là il ne portait pas de magnifique robe royale, juste une simple tunique grise, avec une ceinture lâche à la taille.

— Des excuses, oui, Fulkari.

Il semblait devoir forcer les mots à sortir.

— Pour t’avoir attirée dans une relation aussi malheureuse et impossible.

Elle trouva sa déclaration déconcertante.

— Impossible ? Peut-être. Mais c’est moi qui l’ai rendue telle. Pourquoi aurais-tu l’impression de devoir t’excuser de quoi que ce soit ? Et pourquoi la qualifier de « malheureuse », Dekkeret ? Était-ce réellement une relation si malheureuse ? Est-ce ainsi qu’elle te paraît ?

— Pas depuis longtemps. Mais tu dois admettre qu’elle s’est terminée de façon malheureuse.

La phrase se répéta dans l’âme de Fulkari. Elle s’est terminée. Elle s’est terminée. Elle s’est terminée.

Oui. Bien sûr qu’elle s’était terminée. Mais elle n’était pas prête à entendre ces mots. Ces quelques syllabes tranchantes, prononcées à haute voix, avaient l’irrévocabilité d’un couperet s’abattant.

Fulkari attendit un moment que le choc s’atténue.

— Il n’empêche, dit-elle. Je ne comprends toujours pas de quoi tu ressens le besoin de t’excuser.

— Tu ne peux pas savoir. Mais c’est pour cette raison que je t’ai demandé de venir aujourd’hui. Je ne peux plus te dissimuler la vérité plus longtemps.

— De quoi parles-tu, Dekkeret ? dit-elle avec impatience.

Elle le voyait chercher ses mots, s’efforçant de structurer sa réponse.

Il semblait avoir vieilli de cinq ans, depuis leur dernière rencontre. Son visage était pâle et tiré, il avait des cernes sous les yeux, et ses épaules étaient voûtées comme si se tenir droit avait été un trop grand effort pour lui ce jour-là. Elle n’avait jamais vu ce Dekkeret auparavant, cet homme fatigué, brusquement indécis. Elle voulut tendre la main vers lui, lui caresser le front pour lui apporter un peu de réconfort.

— La première fois que je t’ai vue, Fulkari, j’ai immédiatement été attiré par toi, dit-il avec hésitation. T’en souviens-tu ? J’ai dû avoir l’air d’un homme qui a été frappé par la foudre.

Fulkari sourit.

— Je m’en souviens, oui. Tu me regardais fixement, encore et encore. Tu me fixais si intensément que j’ai commencé à penser qu’il y avait un problème avec ma tenue.

— Il n’y avait aucun problème. Je ne pouvais cesser de te regarder, c’est tout. Puis tu as poursuivi ton chemin, j’ai demandé à quelqu’un qui tu étais, et je me suis arrangé pour te faire inviter à une réception que donnait lady Varaile la semaine suivante. Où je t’ai fait avancer pour que tu me sois présentée.

— Et tu m’as dévisagée encore un peu.

— Oui. Je l’ai certainement fait. Te souviens-tu ce que je t’ai dit alors ?

Elle n’en avait pas de souvenir précis. Quoi qu’il lui ait dit à ce moment-là, cela s’était perdu, balayé dans la confusion et l’excitation de ces premiers instants.

— Tu as voulu savoir si tu pouvais me revoir, j’imagine, répondit-elle de façon hésitante.

— C’était plus tard. Que t’ai-je dit en premier lieu ?

— Crois-tu vraiment que je puisse me souvenir de tout avec autant de détails ? C’était il y a si longtemps, Dekkeret !

— Eh bien, je m’en souviens, déclara-t-il. Je t’ai demandé si tu étais du sang de Normork. Non, as-tu répondu : de Sipermit. Je t’ai alors dit que tu me rappelais beaucoup quelqu’un que j’avais connu à Normork longtemps avant, ma cousine Sithelle, en fait. Cela te rappelle-t-il quelque chose ? Une ressemblance extraordinaire, tes yeux, tes cheveux, ta bouche, ton menton, tes longs bras, tes jambes ; si semblable à Sithelle que j’ai cru voir son fantôme.