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— Sithelle est morte, alors ?

— Depuis vingt ans. Assassinée dans les rues de Normork par un meurtrier qui essayait d’atteindre Prestimion. J’étais là. Elle est morte dans mes bras. Je n’ai réellement compris à quel point je l’aimais que des années plus tard. Aussi, quand je t’ai vue ce jour-là à la cour, te regardant sans rien savoir de toi, pensant seulement : Voilà Sithelle rendue à moi…

Il s’interrompit. Il détourna le regard, confus. Fulkari sentit ses joues s’empourprer. C’était pire qu’humiliant : c’était enrageant.

— Ce n’est pas par moi que tu étais attiré ? demanda-t-elle.

Il y avait aussi de la passion dans sa voix, qu’elle ne pouvait réprimer.

— Tu n’as été attiré par moi qu’à cause de ma ressemblance avec quelqu’un que tu avais connu autrefois ? Oh, Dekkeret… Dekkeret… !

— Je t’ai dit que je te devais des excuses, Fulkari, dit-il d’une voix à peine audible.

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, des larmes de rage.

— Ainsi je n’ai jamais été autre chose pour toi qu’une sorte de réplique en chair et en os d’une autre personne que tu ne pouvais avoir ? Quand tu me regardais, tu voyais Sithelle, et quand tu m’embrassais, tu embrassais Sithelle et quand tu couchais avec moi, tu…

— Non, Fulkari. Ce n’était pas du tout comme cela. Dekkeret parlait avec plus de force à présent. Quand je te disais que je t’aimais, c’est à toi que je le déclarais, Fulkari de Sipermit. Quand je te tenais dans mes bras, c’est Fulkari de Sipermit que j’enlaçais. Sithelle et moi n’avons jamais été amants. Nous ne l’aurions sans doute jamais été, même si elle avait vécu. Quand je t’ai demandé de m’épouser, c’est à toi que je l’ai proposé, pas au fantôme de Sithelle.

— Alors pourquoi tout ce discours sur les excuses ?

— Parce que ce que je ne peux nier, c’est que, à l’origine, j’ai été attiré vers toi pour de mauvaises raisons, quoi qu’il se soit passé ensuite. L’attirance immédiate que j’ai ressentie, avant que nous n’ayons échangé le moindre mot, c’était parce qu’une partie de moi murmurait stupidement que tu étais Sithelle réincarnée, qu’une seconde chance m’était donnée. Je savais à ce moment même que c’était idiot. Mais j’étais piégé, coincé dans mes propres fantasmes ridicules. Et je t’ai poursuivie. Pas parce que tu étais toi, pas au départ, mais parce que tu ressemblais tant à Sithelle. La femme dont je suis tombé amoureux, c’était toi. La femme à qui j’ai demandé de m’épouser : toi. Toi. Fulkari.

— Et lorsque Fulkari t’a repoussé, était-ce comme de perdre Sithelle une seconde fois ? demanda-t-elle.

Son ton était seulement celui de la simple curiosité. Elle fut surprise de la rapidité avec laquelle sa colère commençait à s’évanouir.

— Non. Non. Ce n’était pas du tout pareil, dit Dekkeret. Sithelle était comme une sœur pour moi : je ne l’aurais jamais épousée. Quand tu m’as repoussé – et je savais que tu le ferais ; tu m’en avais déjà donné un million d’indices – j’ai été déchiré, parce que je savais que j’allais te perdre toi. Et je me suis rendu compte que ma folie originelle de vouloir t’utiliser comme remplaçante de Sithelle m’avait conduit, pas à pas, à tomber amoureux d’une femme vivante et bien réelle qui ne se trouvait pas vouloir devenir ma femme. J’ai gaspillé trois années de nos vies, Fulkari. C’est de cela que je suis désolé. Ce qui m’a attiré vers toi en premier lieu était un fantasme, un feu follet, mais je me suis retrouvé pris dedans comme dans un piège de métal ; et il m’a retenu suffisamment longtemps pour que je tombe amoureux de la véritable Fulkari, qui ne pouvait me rendre cet amour, et ainsi… un gâchis, Fulkari, un vrai gâchis…

— Ce n’est pas vrai, Dekkeret.

Elle parlait avec fermeté, et croisa son regard avec calme et sérénité. Toute trace de colère avait disparu. Une nouvelle assurance l’habitait.

— Tu ne le crois pas ?

— Peut-être était-ce un gâchis pour toi. Mais pas pour moi. Ce que je ressentais pour toi était réel. L’est toujours.

Fulkari ne s’interrompit qu’un instant, puis se lança audacieusement. Qu’y avait-il à perdre ?

— Je t’aime, Dekkeret. Et pas parce que tu me rappelles quelqu’un d’autre.

Il sembla étonné.

— Tu m’aimes encore ?

— Quand ai-je dit que j’avais cessé de t’aimer ?

— Tu semblais furieuse, il y a quelques instants, lorsque je t’ai dit que ce qui m’avait d’abord conduit à te poursuivre était l’image de Sithelle que je gardais encore en mémoire.

— Quelle femme serait heureuse d’entendre une telle confession ? Mais pourquoi devrais-je lui permettre de compter encore ? Sithelle est morte depuis longtemps. Ainsi que le garçon qui était peut-être, ou peut-être pas, amoureux d’elle, même s’il n’en était pas sûr, il y a longtemps. Mais toi et moi sommes toujours là.

— Pour ce que cela change, dit Dekkeret.

— Peut-être cela change-t-il beaucoup de choses, en réalité, fit Fulkari. Dis-moi une chose, Dekkeret : à ton avis, quelle difficulté y aurait-il réellement à être l’épouse du Coronal ?

14

— Monseigneur ? fit Teotas, avançant la tête par la porte ouverte.

Il se tenait sur le seuil de l’entrée des appartements officiels du Coronal, cette immense salle dont la gigantesque fenêtre incurvée révélait l’abîme à couper le souffle d’espace vide, contigu à ce côté du Château.

Dekkeret, lorsque Teotas lui avait demandé cet entretien, avait proposé que Teotas vienne le voir dans la pièce du Long Couloir de Methirasp qui semblait lui servir de bureau principal ces derniers temps. Mais cette idée avait mis Teotas mal à l’aise. Ce n’était pas régulier. C’était cette salle-ci qu’il associait à la grandeur et la puissance du Coronal lord. Maintes et maintes fois durant le règne de son frère Prestimion, il y avait rencontré le Coronal, en quelque temps de crise. Ce dont il voulait discuter avec lord Dekkeret, à présent, était un sujet de la plus haute importance, et c’était dans cette salle, et seulement dans cette salle, qu’il voulait en discuter. On ne pouvait d’ordinaire rien exiger d’un Coronal. Mais Dekkeret avait gracieusement accédé à sa requête.

— Entrez, Teotas, dit Dekkeret. Asseyez-vous.

— Monseigneur, répéta Teotas, en faisant le symbole de la constellation.

Le Coronal était assis derrière le splendide bureau ancien, une simple plaque polie de palissandre rouge, dont le grain naturel ressemblait à l’emblème de la constellation qu’utilisaient les Coronals depuis l’époque de lord Dizimaule, une durée de cinq cents ans ou plus. Cela causa une sorte de choc à Teotas, de voir lord Dekkeret bel et bien assis au bureau qu’avait occupé lord Prestimion pendant tant d’années. Mais il avait besoin de ce choc. Il était important pour lui de se rappeler, à chaque occasion qui se présentait, que le grand bouleversement impérial s’était produit une fois de plus, que Prestimion était parti au Labyrinthe pour y devenir Pontife, que ce magnifique bureau, qui avait été celui de lord Confalume avant d’être celui de Prestimion, et celui de lord Prankipin avant d’être celui de Confalume, était désormais celui de lord Dekkeret.