Выбрать главу

— Attends de les avoir goûtés, Prestimion ! Une année entre toutes, une année exceptionnelle ! Le rouge en particulier, comme je le disais encore à Teotas le… mois… dernier…

Sa voix ralentit et s’arrêta au milieu de sa phrase. Toute exubérance disparut et l’expression hagarde revint brusquement dans ses yeux.

— Ah, regarde par là, Abrigant, le manoir de Muldemar ! dit rapidement Prestimion. Comme c’est beau ! Ce que cela m’a manqué d’être ici !

C’était comme s’il avait eu l’impression qu’il était de son devoir, non seulement en tant que Pontife, mais également en tant qu’aîné de la famille, d’empêcher Abrigant de sombrer dans l’abattement.

— Je suis né ici, vous savez, dit-il à ses deux fils. Ce soir, je vous montrerai les appartements où j’habitais.

Comme s’ils n’avaient jamais vu cet endroit auparavant ; mais son seul souci pour le moment était de distraire Abrigant de sa peine.

Prestimion lui-même, aux prises avec son propre sentiment aigu de perte immense, se sentit arraché à son humeur sombre à la vue du foyer de son enfance.

Qui aurait pu ne pas réagir à l’extraordinaire beauté du val de Muldemar ? Parmi toutes les splendeurs variées du Mont du Château il se distinguait comme un lieu de grâce et de calme. Il était bordé d’un côté par la large face du Mont lui-même, et de l’autre par la Crête de Kudarmar, un pic secondaire du Mont qui, partout ailleurs dans l’univers, aurait lui-même été considéré comme une montagne majestueuse et grandiose. Reposant ainsi dans une poche abritée entre ces deux pointes élevées, le val de Muldemar profitait toute l’année de douces brises et de légères brumes, et son sol était fertile et profond.

Les ancêtres de Prestimion s’étaient installés là avant même que le Château n’existe. Ils étaient fermiers, à l’époque, et étaient venus des basses terres avec des provins des vignes qu’ils y cultivaient. Les siècles passant, leurs vins s’étaient taillé la réputation d’être les plus remarquables de Majipoor, et des Coronals reconnaissants avaient, au fil des siècles, anobli les vignerons de Muldemar, jusqu’à en faire des ducs, puis des princes. Prestimion était le premier de sa lignée à monter sur le trône de Coronal, puis sur le siège du Pontife.

Les terres familiales s’étendaient sur de nombreux kilomètres dans la zone la plus recherchée du val, un large royaume de verdure s’étirant de la Rivière Zemulikkaz à la Crête de Kudarmar. Très à l’intérieur de la propriété se dressaient les murs blancs et les tours noires s’élançant vers le ciel du manoir de Muldemar, domaine de deux cents chambres réparties dans trois ailes tentaculaires.

Abrigant avait été assez prévenant pour loger Prestimion dans les appartements qui avaient été les siens, des pièces au premier étage qui donnaient sur la Colline de Sambattinola, paysage magnifique derrière les fenêtres de quartz à facettes brillantes. Peu de choses avaient changé depuis son dernier séjour là, plus de vingt ans plus tôt : les murs étaient toujours ornés des mêmes peintures murales subtiles aux douces nuances d’améthyste, d’azur et de rose topaze, et la banquette sous la fenêtre, où le jeune Prestimion avait passé tant d’heures agréables, était garnie de quelques-uns des mêmes livres qu’il avait lus si longtemps auparavant.

Les domestiques de la maison, que Prestimion ne reconnut pas, sans aucun doute les fils et filles de ceux qu’il avait connus, étaient à disposition pour aider le Pontife et sa famille à s’installer. Ce qui provoqua une petite algarade avec le propre personnel de Prestimion, car la coutume voulait que le Pontife emmène ses propres serviteurs avec lui partout où il allait, et ils protégeaient jalousement cet apanage.

— Vous ne pouvez entrer, dit le grand et robuste Falco, qui portait désormais le titre de Premier Grand Écuyer Impérial et prenait sa promotion très au sérieux. Ces pièces sont la propriété du Pontife, et vous ne pouvez le voir.

Prestimion fut attristé de voir que ces braves gens de Muldemar le regardaient timidement par-dessus l’épaule de Falco, avec respect et émerveillement, comme s’il n’était pas lui-même un homme de Muldemar, mais était descendu parmi eux venant d’une autre planète ; et il avisa Falco qu’il avait l’intention, dans cette maison, de renoncer aux habituelles prérogatives Pontificales et de permettre aux gens du peuple d’avoir accès à sa présence. Falco n’apprécia pas du tout.

Varaile et Prestimion partageraient la chambre principale ; Varaile mit Tuanelys, qui se réveillait désormais souvent en pleurant la nuit, dans la chambre adjacente. Taradath, Akbalik et Simbilon se débrouillèrent tout seuls avec les pièces suivantes. L’appartement comptait de nombreuses chambres.

— J’aurais aimé que Fiorinda soit également près de moi, dit Varaile.

Prestimion sourit.

— Je sais que tu es habituée à sa présence près de toi. Mais cet appartement n’était pas conçu pour accueillir une dame d’honneur lorsque j’y habitais. Si seulement tel avait été le cas, mais ce n’est pas ainsi que les choses se faisaient.

— Ce n’est pas pour moi que je veux avoir Fiorinda à mes côtés, dit Varaile, avec un peu de sécheresse dans la voix. C’est elle qui a besoin de réconfort, et j’aimerais pouvoir le lui apporter.

— Ils l’auront installée dans les appartements où elle et Teotas logeaient habituellement lorsqu’ils étaient ici. Sans aucun doute, elle aura sa propre femme de chambre pour s’occuper d’elle.

Mais Varaile ne pouvait se sortir Fiorinda de l’esprit.

— Elle souffre tant, Prestimion. Et moi aussi. Teotas n’aurait jamais effectué cette promenade dans la nuit si elle avait été à ses côtés. Mais Fiorinda et Teotas ont été séparés pendant toutes ces semaines avant qu’il ne… meure, et c’est ma faute. Je n’aurais jamais dû l’emmener avec moi en quittant le Château.

— La séparation ne devait être que temporaire. Et qui aurait pu deviner que Teotas avait en lui ce désir de se suicider ?

Varaile lui lança un étrange regard.

— Est-ce cela qu’il a fait ?

— Pourquoi un homme escaladerait-il une tour dangereuse et presque inaccessible au milieu de la nuit, si ce n’est pour se suicider ?

— Le Teotas que j’ai connu n’était pas un homme suicidaire, Prestimion.

— Je suis d’accord. Mais que faisait-il là-haut, dans ce cas ? Était-il somnambule ? Non, on ne marche pas ainsi pendant une crise de somnambulisme. Ivre ? Teotas n’a jamais passé pour un gros buveur. Ensorcelé, peut-être ?

— Peut-être, dit Varaile.

Il écarquilla les yeux.

— Tu sembles presque sérieuse.

— Pourquoi pas ? Est-ce une idée impossible ?

— Imaginons que ce ne le soit pas, dans ce cas. Je t’accorde qu’il y a des sortilèges qui sont réellement efficaces. Mais qui jetterait un sort de suicide sur le frère du Pontife, Varaile ?

— Qui en effet ? répondit-elle brusquement. N’est-ce pas ce que tu dois découvrir ?

Prestimion acquiesça d’un signe de tête distrait. Il fallait éclaircir ce mystère, oui. Mais comment ? Comment ? Qui pourrait examiner l’esprit du défunt Teotas et produire les réponses nécessaires ? Ils erraient à présent dans des territoires très mystérieux.

— J’ai besoin de discuter de tout ceci avec Dekkeret, dit-il. Dekkeret a été la dernière personne à voir Teotas vivant, quelques heures seulement avant sa mort. Abrigant dit qu’il sait quelque chose à propos de ce qui s’est passé.

— Tu devrais lui parler, alors. Je t’en prie, Prestimion.

Par Abrigant, Prestimion apprit que Dekkeret se trouvait encore au Château, mais descendrait au manoir de Muldemar plus tard ce jour-là, à présent qu’il savait que Prestimion était arrivé. Et en milieu d’après-midi, on entendit à l’extérieur un brouhaha, un raffut, alors qu’une procession de flotteurs royaux portant l’emblème de la constellation s’arrêtait dehors. Prestimion regarda par la fenêtre et vit la silhouette imposante du Coronal, en robe de cérémonie, entrer dans l’édifice. Il remarqua aussi, non sans intérêt, que lady Fulkari marchait à ses côtés.