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Prestimion leva un sourcil.

— Sous couvert d’un Grand Périple, vous pensez ? Si tôt dans votre règne ? Et si loin ?

— Je devrais faire tout ce qui semble approprié, Prestimion. Je n’en suis qu’à réfléchir à ce en quoi ça consistera. Reprenons cette discussion, si vous le voulez bien, après les funérailles… Comptez-vous rester longtemps ici à Muldemar ?

— Quelques jours seulement. Une semaine au plus.

— Puis retour au Labyrinthe, n’est-ce pas ?

— Non. L’île du Sommeil, répondit Prestimion. Ma mère demeure là-bas. Pour la deuxième fois, elle a perdu un fils. Cela lui fera du bien que je lui rende visite en ces heures sombres. Nous devrions rejoindre la compagnie au-dessus, je pense, dit-il en se levant. Envoyez chercher Dinitak, et rencontrons-le ici dans les prochains jours.

— Je le ferai, Prestimion.

— Je note que vous êtes venu avec lady Fulkari, dit Prestimion alors qu’ils gravissaient l’escalier. J’ai trouvé ce fait quelque peu surprenant, après la conversation que vous et moi avons eue à son sujet.

— Nous sommes fiancés, dit Dekkeret avec un petit sourire.

— La surprise est encore plus grande. J’avais eu l’impression que Fulkari rejetait l’idée de devenir l’épouse du Coronal, et que vous cherchiez un moyen de rompre avec elle. Avais-je tort ?

— Pas du tout. Mais nous avons eu d’autres discussions. Nous nous sommes expliqués plus clairement… Bien entendu, il n’y aura pas d’annonce de projet de noces royales avant que la douleur de ce qui est arrivé à Teotas n’ait eu une chance de s’atténuer.

— Naturellement. Mais j’espère que vous me préviendrez lorsque le moment sera venu. J’aurais aimé que Confalume officie à mon mariage, si les événements l’avaient permis.

Prestimion s’arrêta et prit un instant la main de Dekkeret.

— Cela me ferait grand plaisir d’officier au vôtre.

— Le Divin fasse que ce soit le cas, dit Dekkeret. Ce serait d’ailleurs une bonne chose que le prochain voyage du Pontife du Labyrinthe au Mont du Château ait lieu pour une occasion plus heureuse que celle-ci.

2

— Monseigneur, puis-je entrer ? demanda Abrigant à Dekkeret, qui était venu lui ouvrir la porte. Les funérailles de Teotas avaient eu lieu trois jours plus tôt. Dinitak était descendu du Château sur la requête de Prestimion. Prestimion, Dekkeret et lui étaient en réunion depuis plus d’une heure. Celle-ci ne se déroulait pas sans heurts. Quelque chose n’allait pas, bien que Dekkeret n’ait pas idée de ce dont il s’agissait. Prestimion semblait d’une humeur sombre, froide et soucieuse, parlant peu, accordant parfois une importance curieusement excessive à une déclaration par ailleurs anodine. On aurait dit qu’un changement s’était fait en lui, le jour où Dekkeret avait évoqué l’éventualité que le casque de Barjazid fût responsable de ce qui était arrivé à Teotas.

L’arrivée d’Abrigant offrait une rupture de tension bienvenue. Dekkeret se dirigea rapidement vers la porte de l’appartement de Prestimion pour voir qui avait frappé, laissant Prestimion et Dinitak penchés sur le casque que Dinitak avait apporté du Château au manoir de Muldemar. Prestimion examinait de près le casque, le poussant du doigt, murmurant dans sa barbe, le fixant avec une haine manifeste comme s’il s’agissait d’un être vivant et malveillant exhalant des gaz toxiques. Le Pontife irradiait des sentiments d’une telle intensité que Dekkeret fut ravi d’avoir une excuse pour s’éloigner un moment de lui.

— J’imagine que vous cherchez votre frère, dit Dekkeret.

Il fit du pouce un geste vers l’arrière.

— Prestimion est là-bas.

Abrigant parut surpris, et peut-être consterné, de découvrir Dekkeret ouvrant la porte de Prestimion.

— Aurais-je interrompu une affaire officielle, monseigneur ?

— Nous avons une réunion assez importante en cours, oui. Mais je pense que nous pouvons faire une pause un moment.

Dekkeret entendit des pas derrière lui. Prestimion, sourcils froncés, apparut.

— Le Pontife a visiblement la même impression.

— Prestimion, je ne savais pas que toi et le Coronal étiez en conférence, dit Abrigant tournant son regard vers son frère, l’air un peu dépité, sinon je ne me serais certainement jamais permis de…

— Une petite suspension de séance était de mise, de toute façon, répondit Prestimion.

Son ton était relativement affable. Mais sa bouche et ses mâchoires crispées prouvaient à quel point il était contrarié de l’interruption.

— Y a-t-il des nouvelles urgentes dont je doive prendre connaissance, Abrigant ?

— Des nouvelles ? Aucune nouvelle, non. Juste des affaires de famille. Ça ne prendra pas plus d’une minute ou deux.

Abrigant semblait interloqué. Il lança un rapide regard à Dekkeret, puis à Dinitak, qui venait à son tour de se montrer.

— Ceci peut vraiment attendre, tu sais. Ce n’était guère mon intention de…

— Aucune importance, le coupa Prestimion. Si nous pouvons régler la question aussi vite que tu le dis…

— Dinitak et moi devons-nous retourner dans l’autre pièce, et vous laisser le salon ? demanda Dekkeret.

— Non, restez, dit Abrigant. Il ne s’agit de rien qui requière l’intimité, j’imagine. Avec votre permission messeigneurs : je ne prendrai qu’un moment. Mon frère, ajouta-t-il à l’attention de Prestimion, je viens de parler à Varaile. Elle m’a dit qu’elle et toi partirez dans un jour ou deux : pas pour le Labyrinthe, cependant, mais pour l’Ile du Sommeil. Est-ce vrai ?

— En effet.

— J’avais pensé me rendre moi-même à l’Ile, en fait, dès que j’aurais réglé les affaires courantes ici. Notre mère ne devrait pas rester seule en de telles circonstances.

Prestimion eut l’air irrité et confus.

— Es-tu en train de dire que tu aimerais m’accompagner là-bas, Abrigant ?

Le visage d’Abrigant reflétait à présent la perplexité de Prestimion.

— Ce n’est pas exactement ce que j’avais à l’esprit. L’un de nous doit assurément aller la voir ; et je supposais simplement que la responsabilité d’effectuer ce voyage m’incomberait. Le Pontife, je le croyais, a vraisemblablement des fonctions officielles importantes au Labyrinthe qui l’empêchent de faire un si long voyage. Il n’est certainement pas courant pour les Pontifes, ajouta-t-il avec un malaise croissant, d’aller sur l’île, je présume. Ni pour les Coronals, d’ailleurs.

— Quantité d’événements qui ne sont pas courants sont survenus ces dernières années, répliqua doucement Prestimion. Et je peux exercer le Pontificat partout où je me trouve.

Son visage s’assombrit.

— Je suis l’aîné de ses fils, Abrigant. Je pense que c’est à moi que revient cette tâche.

— Au contraire, Prestimion…

Dekkeret commençait à trouver de plus en plus embarrassant d’écouter cette conversation entre les deux frères. Il en avait été le témoin involontaire au début ; et à présent qu’elle tournait à la discussion tendue, il ne voulait vraiment pas l’entendre malgré lui. Il se passait là quelque chose que seul un membre de la famille pouvait entièrement comprendre, et qu’aucun étranger ne pouvait saisir.

Si Abrigant, qui avait renoncé à toutes fonctions publiques depuis l’accession au trône de Dekkeret, et avait davantage de temps libre pour les affaires de famille que son royal frère en cette époque, pensait devoir être celui qui réconforterait leur mère en cette période sombre… eh bien, Dekkeret reconnaissait qu’il avait de bonnes raisons de penser ainsi. Mais Prestimion était l’aîné. Ne devrait-ce pas être à lui de décider lequel des deux se rendrait dans l’île ?