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— Je prie pour que vous ne vous trouviez pas en danger, dit avec ardeur Dekkeret.

Il observa attentivement Prestimion. Le Pontife avait toujours cet air étrange. Quelque chose l’agaçait encore et encore.

— Et quels voyages avez-vous en tête pour moi, si je puis vous le demander ?

— Vous avez vous-même dit, juste avant les funérailles, que vous envisagiez de vous rendre à Zimroel et d’y étudier vous-même la situation, répondit Prestimion. Seul le temps nous dira si une telle mesure est nécessaire. J’espère que non : un nouveau Coronal a trop à faire au Château pour aller se balader sur l’autre continent. Mais vu les circonstances actuelles, vous devriez assurément vous rendre à un endroit qui vous permettra d’y aller le plus vite possible, si besoin est.

— Vous voulez parler de la côte occidentale.

— Exactement. Pendant que je ferai voile vers l’île, vous devriez suivre ma trace en zigzaguant dans les territoires de l’Ouest, jusqu’à Alaisor également.

— Vous voulez que je vous suive par voie de terre, en ce cas ?

— Oui, allez-y par le continent. Montrez-vous au peuple. La venue du Coronal dans une ville suscite toujours de bons sentiments. Votre prétexte non déguisé sera de faire une sorte de Périple, pas le Grand avec banquets et représentations de cirque, mais une espèce de préliminaire ; le nouveau Coronal fait un rapide tour des plus importantes cités du centre et de l’ouest d’Alhanroel. Emmenez Dinitak avec vous, à mon avis. Vous aurez besoin de surveiller de très près les événements de l’autre continent, et son casque vous permettra de le faire. Une fois que vous aurez atteint Alaisor, descendez la côte, et finissez par Stoien, disons, où vous attendrez que je revienne de ma visite à ma mère. Lorsque j’en aurai fini sur l’Ile, je vous retrouverai à Stoien ou dans les environs, nous nous entretiendrons et évaluerons la situation telle qu’elle sera à ce moment-là. Il sera peut-être nécessaire que vous alliez à Zimroel pour y ramener les choses sous contrôle. Ou peut-être pas. Qu’en pensez-vous ?

— C’est parfaitement conforme à mes idées.

— Bien. Bien.

Prestimion saisit la main de Dekkeret et la serra avec une force surprenante.

Puis, enfin, son sang-froid glacial se brisa. Il se détourna brusquement, et se mit à arpenter rapidement la pièce à grands pas furieux, les poings serrés, les épaules raides. Dekkeret comprit soudain la nature de l’aura de tension qui entourait Prestimion ce jour-là : il avait pendant tout ce temps été envahi par une rage à peine contenue. Ce n’était que trop évident à présent. Le fait que sa propre famille soit l’objet d’une agression, sa femme, sa fille et bien sûr Teotas, était une situation qu’il ne pouvait et ne voulait tolérer. Le visage du Pontife était gris de fatigue, mais une vive étincelle de colère brillait dans ses yeux.

Un torrent de mots passionnés qui avaient été retenus trop longtemps sortait à présent en bouillonnant de sa bouche.

— Par le Divin, Dekkeret, pouvez-vous imaginer chose plus intolérable ! Encore une autre rébellion ? De tels événements ne nous seront jamais épargnés ? Mais cette fois nous materons à la fois la rébellion et les rebelles. Nous pourchasserons ce Mandralisca, et mettrons définitivement fin à ses agissements, et aussi ces cinq frères et tous ceux qui leur jurent allégeance. Prestimion s’agitait à travers la pièce durant tout ce discours, s’arrêtant à peine pour regarder en direction de Dekkeret.

— Je vous le dis, Dekkeret, le peu de patience qu’il me restait est épuisé. J’ai passé les vingt ans de mon règne, tant comme Coronal que comme Pontife, à me battre contre des ennemis tels qu’aucun souverain de Majipoor depuis l’époque de Stiamot n’a eu à en affronter. Ils veulent rendre mon frère fou, n’est-ce pas ? Pénétrer dans les rêves de ma petite fille, même ? Non. Non ! J’en ai assez et plus qu’assez. Nous les terrasserons. Nous les éliminerons totalement. Totalement, Dekkeret !

Dekkeret n’avait jamais vu Prestimion dans une telle rage. Mais ensuite le Pontife sembla retrouver une partie de son calme. Il interrompit son va-et-vient enragé et prit position au milieu de la pièce, laissa pendre ses bras, respira lentement et profondément. Puis il indiqua avec brusquerie la porte à Dekkeret et Dinitak. Sa voix était plus calme, désormais, mais elle était froide, et même glaciale.

— Partez, maintenant, tous les deux. Partez ! J’ai besoin de parler à Varaile, de lui expliquer ce qui nous attend.

Dekkeret était plus qu’heureux d’être excusé de la présence du Pontife. Ce Prestimion était nouveau et effrayant. Il était conscient que Prestimion avait toujours été un homme passionné et impulsif, sa prudence et sa perspicacité intrinsèque constamment aux prises avec son impatience et son caractère houleux. Mais cela avait toujours été tempéré par la bonne humeur et l’esprit badin qui lui permettaient de trouver de nouvelles réserves de force même dans les moments de crise les plus ardus.

La modération face à l’adversité avait été la caractéristique déterminante de Prestimion tout le temps de son règne long et difficile. Dekkeret avait déjà remarqué qu’avec la cinquantaine, il semblait être devenu bourru et conservateur, comme c’est souvent le cas chez les hommes, et avait perdu une grande partie de son ressort. Prestimion semblait prendre toute cette histoire avec Mandralisca comme une offense personnelle, plutôt que comme l’attaque du caractère sacré de l’État qu’elle était réellement.

Peut-être est-ce pour cette raison, songea Dekkeret, que nous avons un système de double monarchie. Lorsque le Coronal vieillit et devient plus inflexible, il monte sur le trône suprême et est remplacé au Château par un homme plus jeune, et ainsi, la sagesse et l’expérience de l’âge sont associées à la flexibilité et la vigueur de la jeunesse pleine d’entrain.

Fulkari accueillit Dekkeret d’une étreinte chaleureuse lorsqu’il revint à leurs appartements après avoir quitté Dinitak. Elle venait de se baigner, semblait-il, et ne portait qu’un peignoir d’épaisse fourrure et un torque doré et brillant. Un doux parfum de sels de bain s’élevait de ses seins et de ses épaules. Il sentit un peu de la tension de la réunion avec Prestimion commencer à refluer.

Mais à l’évidence, elle put voir au premier coup d’œil que les choses ne se passaient pas bien.

— Tu as l’air bien étrange, dit-elle. Les choses se sont-elles mal passées entre Prestimion et toi ?

— La réunion a permis de traiter un large éventail de questions difficiles.

Dekkeret se laissa tomber avec insouciance sur un divan recouvert de velours. Il craqua de protestation lorsque le grand corps atterrit.

— Prestimion lui-même devient assez difficile.

— De quelle façon ? demanda Fulkari, en s’asseyant au pied du divan.

— D’une douzaine de façons. La longue lassitude causée par l’exercice de hautes fonctions fait son effet sur lui. Il rit beaucoup moins qu’il ne le faisait étant plus jeune. Des choses qui autrefois lui auraient paru amusantes ne l’amusent plus. Il se fâche très facilement. Abrigant et lui ont eu une curieuse petite dispute qui n’aurait jamais dû avoir lieu devant moi. Qui n’aurait jamais dû avoir lieu tout court.

Dekkeret secoua la tête.

— Je ne veux pas dire de mal de lui. C’est toujours un homme extraordinaire. Et nous ne devons pas oublier que son plus jeune frère vient de connaître une mort horrible.

— Il n’est guère étonnant qu’il se conduise ainsi, alors.

— Mais c’est pénible à voir. Je partage sa peine, Fulkari.

Elle sourit avec espièglerie. Lui prenant un pied, elle commença à le pétrir et le masser.

— Deviendras-tu toi aussi grincheux et désagréable lorsque tu seras Pontife, Dekkeret ?