Il lui fit un clin d’œil.
— Bien sûr. J’aurais l’impression qu’il y a quelque chose qui cloche chez moi, autrement.
Pendant un instant, malgré son clin d’œil, elle parut le prendre au sérieux. Puis elle rit.
— Bien. Je trouve les hommes grincheux et désagréables très séduisants. Presque irrésistibles, en réalité. Cette seule pensée me met en émoi.
Elle se hissa sur le divan et alla se nicher dans le creux de son bras. Dekkeret pressa son visage contre ses cheveux couleur de cuivre brillant, en respira le parfum et l’embrassa légèrement sur la nuque. Il glissa une main dans son peignoir, suivit doucement la ligne de sa clavicule de ses doigts, puis laissa sa main descendre plus bas pour entourer l’un de ses seins. Ils restèrent ainsi un moment, aucun des deux n’étant pressé de passer à l’étape suivante.
— Nous retournons demain au Château, dit-il au bout d’un moment.
— Vraiment, maintenant ? fit Fulkari d’un air songeur. C’est bien. Même si on est bien ici aussi. Ça ne me dérangerait pas de rester une semaine ou deux.
Elle se tortilla pour se coller plus étroitement contre lui.
— Il y a beaucoup de travail qui m’attend à la maison, insista Dekkeret, se demandant pourquoi il s’obstinait à vouloir détruire l’ambiance qui s’installait. Et une fois que j’aurai rattrapé mon retard, nous aurons un petit voyage à faire.
— Un voyage ? Mm, c’est bien aussi.
Elle semblait presque sur le point de s’endormir. Elle était lovée contre lui parfaitement détendue, chaude et tendre, comme un chaton ensommeillé.
— Où irons-nous, Dekkeret ? À Stee ? High Morpin ?
— Plus loin. Beaucoup plus loin… À Alaisor, en fait.
Cette réponse la réveilla brutalement. Elle releva la tête et le regarda avec stupeur.
— Alaisor ? répéta-t-elle, en clignant des yeux. Mais c’est à des milliers de kilomètres ! Je n’ai jamais été aussi loin du Mont de ma vie ! Pourquoi Alaisor, Dekkeret ?
— Parce que, répondit-il en souhaitant profondément avoir gardé ces révélations pour plus tard.
— Juste parce que ? À l’autre bout d’Alhanroel, juste parce que ?
— C’est à la demande du Pontife, en réalité. Affaire d’État.
— Tu veux parler du sujet dont vous étiez en train de discuter ?
— Plus ou moins.
— Et de quel sujet s’agit-il exactement ?
Fulkari s’était à présent extirpée de son étreinte et s’était retournée pour lui faire face, assise en tailleur au pied du divan.
Dekkeret comprit que la prudence s’imposait. Il n’était guère en position de partager une grande partie de la véritable histoire avec elle… la rébellion qui avait censément commencé à Zimroel, la réapparition de Mandralisca, la possibilité que le casque Barjazid ait été utilisé pour conduire Teotas à la mort. Ce n’étaient pas des sujets qu’il pouvait discuter avec elle. Fulkari était toujours une simple citoyenne. Un Coronal pouvait partager de telles informations avec sa femme, mais Fulkari n’était pas sa femme.
— Quelques événements bizarres ont eu lieu ces derniers temps de l’autre côté de la mer, dit Dekkeret, choisissant ses mots judicieusement. Leur nature n’est pas particulièrement importante pour le moment. Mais Prestimion veut que je me dirige vers l’ouest et m’installe quelque part sur la côte, afin d’avoir déjà fait une partie du chemin s’il s’avère nécessaire que je me rende à Zimroel dans un avenir proche.
— Zimroel !
Elle prononça le nom comme s’il parlait d’un voyage sur la Grande Lune.
— À Zimroel, oui. Peut-être. Il n’en sera peut-être rien, tu comprends. Mais le Pontife pense que nous devons cependant nous renseigner. Par conséquent, il nous a demandé, à Dinitak et moi, de nous diriger vers Alaisor et…
— Dinitak aussi ? demanda Fulkari, en haussant les sourcils.
— Dinitak voyagera avec nous, oui. Il fera des recherches particulières pour le gouvernement, en utilisant un certain équipement de détection qui…
Non, il ne pouvait guère parler de cela non plus.
— En utilisant un certain équipement particulier, finit-il maladroitement. Il me fera des rapports quotidiens. Tu aimes bien Dinitak, non ? Cela ne te dérangera pas qu’il nous accompagne.
— Bien sûr que non… Et Keltryn ? Qu’en est-il d’elle ? demanda-t-elle.
— Je ne comprends pas, fit Dekkeret. De quoi veux-tu parler ?
— Va-t-elle venir également avec nous ? Il se sentit perdu.
— Je ne te suis pas, Fulkari. Es-tu en train de me dire que chaque fois que nous irons quelque part, tu voudras que Keltryn vienne avec nous ?
— Certainement pas. Mais nous serons partis au moins plusieurs mois, non, Dekkeret ?
— Pour le moins, oui.
— Ne crois-tu pas qu’ils vont se manquer, s’ils doivent rester loin de l’autre si longtemps ?
C’était absolument incompréhensible.
— Tu veux parler de Dinitak et Keltryn ? Se manquer ? Je ne comprends absolument rien à ce que tu dis. Se connaissent-ils seulement autrement que de vue ?
— Tu veux dire que tu ne sais pas ? dit Fulkari en riant. Il ne t’en a pas dit le moindre mot ? Et sincèrement, tu n’avais rien remarqué ? Dinitak et Keltryn ? Franchement, Dekkeret ! Franchement !
3
Keltryn se trouvait dans la petite chambre de son appartement de la Galerie Setiphon, disposant les cartes pour ce qu’elle pensait être sa trois millième partie de solitaire depuis que le Pontife avait fait appeler Dinitak au manoir de Muldemar pour les funérailles de Teotas.
Quatre de Comètes. Six de Constellations. Dix de Lunes.
Pourquoi était-il nécessaire que Dinitak assiste aux funérailles de Teotas ? Dinitak n’avait aucun poste officiel dans le gouvernement, et n’était pas non plus membre de l’aristocratie du Mont du Château. Son seul rôle au Château était d’être l’ami de Dekkeret et son occasionnel compagnon de voyage. Et, pour ce qu’en savait Keltryn, Teotas et Dinitak n’étaient que de vagues connaissances, rien de plus, jusque très récemment. Il n’avait aucune raison d’assister aux funérailles. Il n’avait jamais été question que Dinitak se rende au manoir de Muldemar, lorsque les obsèques avaient été organisées.
Mais ensuite, juste la veille des funérailles, un messager en uniforme Pontifical était brusquement arrivé, disant que Prestimion requérait immédiatement la présence de Dinitak Barjazid à Muldemar. Pourquoi ?
Avec un délai si court, pensait Keltryn, il était peu vraisemblable que Dinitak puisse parvenir là-bas à temps pour la cérémonie. Il devait donc s’agir de quelque chose d’autre. Et pourquoi le message convoquant Dinitak venait-il du Pontife, plutôt que de son bon ami lord Dekkeret ? Dekkeret aussi se trouvait là-bas, après tout. Tout ceci était bien mystérieux. Et elle espérait que Dinitak se presserait de rentrer, à présent que les funérailles étaient terminées, supposait-elle, et que Teotas était en sécurité dans sa tombe.
Avec mauvaise humeur, elle distribua les cartes.
Pontife des Nébuleuses. Quelle barbe ! Elle avait déjà le Coronal des Nébuleuses sur la table. Le Pontife n’aurait pas pu sortir cinq minutes plus tôt ? Neuf des Lunes. Valet des Nébuleuses. Elle glissa le Valet sous le Coronal des Nébuleuses. Trois de Comètes. Keltryn fit la grimace. Même lorsque les cartes sortaient dans le bon ordre elle n’y prenait aucun plaisir. Elle en avait assez du solitaire. Elle voulait Dinitak. Cinq des Lunes. Reine des Constellations. Sept de… Quelqu’un frappa !