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Keltryn ne savait absolument pas si c’était vrai ou faux, mais cela donnait l’impression d’être vrai. D’après plusieurs déclarations que Dinitak avait faites, à elle et à d’autres gens au Château, elle savait qu’il avait de la vie une vision réaliste et sévère, qu’il n’avait aucune patience envers les comportements irréguliers, dans un éventail allant de la simple paresse et la négligence à un bout de l’échelle, à la criminalité de l’autre, il semblait conduit par un impératif moral puissant : en réaction, disaient d’aucuns, au manque de respect de son père pour la loi. Il était idéaliste, honnête au point d’en être parfois brutal. Il était prompt à dénoncer les manques de vertu des autres, et à son grand crédit, il ne semblait en commettre aucun lui-même.

Une telle personne, pensait Keltryn, n’aurait que trop facilement pu devenir prude, moralisatrice et satisfaite de soi. Cependant, bizarrement, Dinitak ne lui faisait pas l’effet d’être ainsi. Il était de bonne compagnie, sémillant, amusant et gracieux à sa façon, et pouvait faire preuve d’un esprit acéré. Il n’était pas étonnant que lord Dekkeret l’apprécie autant. Quant au puissant sens du bien et du mal de Dinitak, il fallait admettre qu’il vivait selon ses propres principes : il était aussi dur envers lui-même qu’envers les autres, et n’en attendait pas de louanges. Il semblait naturellement droit et incorruptible. C’était simplement sa façon d’être. Il fallait prendre une personne telle que lui comme elle était. Mais une telle personne, se demandait-elle, était-elle trop noble pour se laisser aller à la passion physique ? Car elle avait elle-même finalement décidé qu’il était temps de donner libre cours à une telle passion, et avait finalement trouvé quelqu’un avec qui elle aimerait s’abandonner, et lui semblait absolument inconscient des sentiments qu’elle éprouvait.

Dans son désespoir, elle finit par penser qu’elle avait un expert en ce domaine dans sa propre famille. Et elle consulta donc sa sœur, Fulkari.

— Tu pourrais essayer de le mettre dans une situation qui ne lui laisserait vraiment que peu de choix et voir comment il réagit, suggéra Fulkari.

À l’évidence, Fulkari savait comment s’y prendre ! Ainsi donc, un après-midi, Keltryn invita Dinitak à venir nager avec elle à la piscine de la Galerie Setiphon ce soir-là. Quasiment personne ne semblait utiliser la piscine à ce moment-là, et absolument personne, Keltryn l’avait vérifié, n’y allait le soir. Afin d’en être certaine, cependant, elle prit la peine de verrouiller la porte de la piscine de l’intérieur, une fois que Dinitak et elle s’y trouvèrent.

Il avait naturellement apporté un maillot de bain. Maintenant ou jamais, pensa Keltryn. Alors qu’il se dirigeait vers l’un des vestiaires, elle dit :

— Oh, nous n’avons pas réellement besoin de mettre de maillot de bain ici, non ? Je n’en apporte jamais. Je n’en ai pas pris ce soir.

Et elle se glissa rapidement hors des quelques vêtements qu’elle portait, courut gaiement devant lui, le cœur battant si violemment qu’elle crut qu’il allait lui briser les côtes, et exécuta un plongeon parfait dans le bassin de porphyre rose. Dinitak n’hésita qu’un instant. Puis il se déshabilla également – elle le regarda depuis la piscine, admirant avec émerveillement et crainte la beauté de son corps mince à la taille étroite – et sauta derrière elle.

Ils barbotèrent un moment dans l’eau chaude au parfum de cannelle. Elle le défia à la course, et ils nagèrent côte à côte d’un bout à l’autre du bassin, finissant à ce qu’ils ne purent que qualifier d’égalité. Puis elle se hissa hors de la piscine, trouva quelques serviettes à étendre sur le rebord carrelé et lui fit signe de venir la rejoindre.

— Et si quelqu’un vient ? demanda-t-il.

Elle ne tenta pas de dissimuler la gaieté malicieuse qui la gagnait.

— Personne ne viendra. J’ai verrouillé la porte.

Elle n’aurait pu mieux lui faire comprendre, allongée ainsi nue sur une pile de serviettes moelleuses, dans la salle humide et chaude qu’ils avaient pour eux seuls, qu’elle l’avait amené ici afin de se donner à lui. S’il la dédaignait à présent, ce serait le signe on ne peut plus manifeste qu’il n’éprouvait aucun intérêt à devenir son amant, qu’il la trouvait physiquement peu séduisante, ou qu’il n’était pas un homme sensible aux femmes, ou encore que sa propre sensibilité morale hyper-développée ne lui permettait pas d’apprécier les plaisirs charnels de façon émancipée.

Aucune de ces possibilités n’était exacte. Dinitak s’allongea près d’elle, la prit tranquillement et expertement dans ses bras, posa ses lèvres sur les siennes, laissa une de ses mains errer sur ses petits seins fermes puis vers l’endroit où se rejoignaient ses cuisses, et Keltryn sut que ça allait enfin lui arriver, qu’elle était sur le point de traverser la frontière immense qui sépare les jeunes filles des femmes, que Dinitak allait l’initier ce soir aux mystères qu’elle n’avait jamais osé explorer auparavant.

Elle se demanda si cela lui ferait mal. Elle se demanda si elle saurait s’y prendre.

Mais il s’avéra qu’il n’y avait pas besoin de penser à la façon de s’y prendre. Dinitak savait visiblement ce qu’il faisait, elle suivit son exemple facilement, et au bout d’un moment elle put se contenter de laisser son propre instinct prendre la suite. Quant à la douleur, elle ne dura qu’un court instant, rien de semblable à ce qu’elle avait craint, bien que ce fût un peu alarmant pendant une seconde et qu’elle laissât effectivement un petit cri sortir de ses lèvres. Ensuite il n’y eut plus de problèmes. Ce qui se produisait était une impression bizarre, oui. Mais très agréable. Fantastique. Inoubliable. Il lui sembla qu’elle venait de franchir un seuil qui l’avait conduite dans un nouveau monde totalement inconnu, où tout luisait d’une aura brillante de délice.

Cet unique petit cri mena cependant à quelques complications par la suite. Lorsque tout fut terminé, Keltryn se renversa dans un brouillard confus de plaisir et de stupéfaction, et ce n’est que petit à petit qu’elle se rendit compte que Dinitak la dévisageait d’un air abasourdi, comme s’il était frappé d’horreur.

— Quelque chose ne va pas ? murmura-t-elle au bord des larmes. T’ai-je déplu ?

— Oh, non, non, non ! Tu étais merveilleuse ! répondit-il. Plus que merveilleuse. Mais pourquoi ne m’as-tu pas dit que c’était la première fois ?

Son front était noué par l’angoisse. C’était donc ça ! Sa maudite moralité encore !

— Cette idée ne me serait jamais venue à l’esprit. Si tu te le demandais, j’imagine que tu pouvais toujours poser la question.

— On ne pose pas de telles questions, déclara-t-il sévèrement.

On aurait dit qu’elle avait fait quelque chose de terriblement inconvenant, pensa-t-elle. Comment tout ceci était-il devenu sa faute à elle ?

— D’ailleurs, continua-t-il, je n’avais aucune raison de le soupçonner. Pas alors que tu m’avais ainsi attiré à la piscine, avais jeté tes vêtements de façon si impudique… et…

Il chercha ses mots, ne parut pas en trouver d’appropriés et bafouilla finalement.

— Tu aurais dû m’en parler, Keltryn ! Tu aurais dû me le dire !

C’était déconcertant. Elle commença à sentir la colère monter en elle.