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— Pourquoi ? Quelle différence y aurait-il-eue à ce que tu le saches ?

— Parce que je me sens tellement coupable de ce qui s’est passé, maintenant. Consciemment ou pas, j’ai fait quelque chose que je ne peux pas me pardonner. Prendre la virginité d’une jeune femme, Keltryn… c’est une sorte de vol, d’une certaine façon…

Elle avait l’impression que la situation devenait de plus en plus aberrante.

— Tu ne m’as rien pris. Je te l’ai donnée.

— Il n’empêche… on ne fait tout simplement pas une telle chose.

— On ne fait pas ? Tu veux dire que toi, tu ne le fais pas. Tu parles vraiment comme un homme préhistorique, Dinitak. Crois-tu que le Château soit un sanctuaire sacré de la pureté ? J’ai passé des mois au milieu d’une bande de garçons stupides, qui bavaient littéralement à l’idée de faire avec moi exactement ce que toi et moi venons de faire, et je leur ai dit non à tous, et la première fois où je décide de dire oui, tu me reproches de ne pas t’avoir informé à l’avance que je… que…

Les larmes lui montaient à nouveau aux yeux, mais il s’agissait cette fois-ci de larmes de rage, non de peur. L’imbécile ! Comment osait-il se sentir coupable dans un moment aussi merveilleux ? Quel droit avait-il de s’attendre à ce qu’elle lui donne des détails sur son expérience sexuelle ?

Mais elle savait qu’elle devait repousser sa colère et faire quelque chose pour réparer ce malentendu, et vite, sinon leur amitié n’y survivrait jamais.

— Je ne veux pas que tu penses avoir fait quoi que ce soit de mal, Dinitak, dit Keltryn du ton le plus doux qu’elle put adopter. En ce qui me concerne, ce que tu as fait était bien à cent pour cent. Oui, j’étais vierge, et je ne saurais te dire à quel point j’en avais assez de le rester, et je pense que je serais devenue folle si je l’étais demeurée une heure de plus.

Mais cette explication ne fit qu’aggraver la situation. À présent, c’est lui qui était furieux.

— Je vois. Tu voulais te débarrasser de cette gênante innocence qui était la tienne, et par conséquent tu as trouvé un instrument pratique pour t’aider à en disposer. Eh bien, je suis ravi d’avoir pu me rendre utile.

— Instrument ? Non ! Non ! Quelle horrible chose à dire. Tu ne comprends rien, n’est-ce pas ?

— Vraiment ?

— Je t’en prie. Tu es en train de tout gâcher. Tout cet outrage pieux. Cette vertueuse indignation déchaînée. Je sais que tu ne peux pas t’en empêcher, que tu prends toutes ces questions de morale extrêmement au sérieux. Mais regarde la pagaïe que tu es en train de semer entre nous ! C’est tellement stupide et inutile !

Il voulut répondre, mais elle lui mit la main sur la bouche.

— Ne comprends-tu pas que je t’aime, Dinitak ? Que c’est pour cette raison que tu es ici avec moi ce soir, et non Polliex, Toraman Kanna ou un autre garçon du cours d’escrime de Septach Melayn ? Toutes ces semaines que nous avons passées ensemble, où tu n’as jamais fait le moindre geste, où j’étais assise à prier désespérément que tu le fasses, mais tu étais soit trop timide, soit trop pur, soit trop autre chose, alors, finalement… finalement… ce soir, nous deux à la piscine, j’ai pensé : je vais le mettre dans une situation où il ne pourra pas me résister, et voir ce qui se passe… Enfin il comprit.

— Je t’aime, Keltryn. C’est la seule raison pour laquelle j’attendais. Je pensais que le moment pour ce genre de choses n’était pas encore venu. Je ne voulais pas déprécier notre amitié en me comportant comme tous les autres. Et là je suis désolé de m’être autant trompé.

Keltryn sourit largement.

— Ne le sois pas. Tout est réglé et terminé. Et maintenant…

— Maintenant…

Il tendit le bras vers elle. Elle échappa à ses mains, roula sur le bord de la piscine, se jeta à l’eau dans une gerbe sonore. Il plongea derrière elle. Elle nagea jusqu’au milieu du bassin de toutes ses forces, trait rose fendant l’eau rose, et Dinitak la suivit à toute allure. À l’autre bout, elle se hissa de nouveau sur le rebord, en riant, et tendit les bras vers lui.

Ce fut le début. Tout fut beaucoup moins compliqué pour eux par la suite. Keltryn commença à comprendre que son côté singulièrement puritain avait ses propres limites, que le rigoureux code de valeurs selon lequel il vivait ne pouvait être représenté en simples tons de noir et de blanc. Dinitak n’était pas un ascète. Loin de là ; la passion et le désir n’étaient certes pas étrangers à son caractère. Mais il fallait que tout se passe selon son sens unique de ce qui était convenable, et Keltryn prit conscience qu’elle ne saurait pas toujours prévoir en quoi cela consistait.

Au cours des semaines suivantes, ils passèrent nuit après nuit dans les bras l’un de l’autre, jusqu’à ce qu’il parût souhaitable de se réserver un peu de temps pour dormir. Le voyage de Dinitak à Muldemar fournit cette occasion. En fournit une trop grande occasion, trouva Keltryn, le deuxième jour de son absence. Elle n’en avait jamais assez de lui ni, semblait-il, lui d’elle.

Elle continuait ses séances d’escrime, deux fois par semaine, avec Audhari de Stoienzar. Après le départ de Septach Melayn pour le Labyrinthe, la classe d’escrime s’était dispersée, mais Audhari et elle poursuivaient leurs rencontres, malgré tout. Fulkari avait un temps été convaincue qu’une idylle était en train de se former ; mais Fulkari avait tort à ce sujet. Keltryn n’avait jamais considéré le grand et facile à vivre Audhari autrement que comme un ami.

Il devina immédiatement que quelque chose avait changé dans sa vie. Peut-être étaient-ce les cernes sombres sous ses yeux, ou bien un certain ralentissement de ses réflexes qui s’était manifesté, à présent qu’elle s’accordait si peu de sommeil. Ou encore, pensait Keltryn, peut-être y avait-il une sorte d’émanation qui se dégageait chez les filles qui avaient commencé à coucher avec des hommes, une aura visible de lascivité, que tout homme pouvait facilement déceler.

Et finalement, il lui en toucha un mot.

— Il y a quelque chose de différent en toi ces temps-ci, observa Audhari, alors qu’ils s’affrontaient au fleuret.

— Vraiment ? Et de quoi pourrait-il s’agir ?

— Je ne pourrais le dire.

Ils abandonnèrent le sujet là. Il parut regretter de l’avoir soulevé, et elle n’avait certes pas envie de prolonger cette conversation.

Elle s’interrogea, cependant, sur ses paroles ambiguës. Pourquoi ne pouvait-il le dire ? Était-ce parce qu’il n’avait sincèrement pas idée de ce qui avait changé en elle ? Ou se sentait-il mal à l’aise de lui en parler ? Bien qu’il n’y fit pas d’autre référence, elle eut cependant l’impression qu’un ton plus personnel avait commencé à se glisser dans ses remarques : flirteur même. Il remarqua qu’elle ne paraissait pas dormir autant qu’elle en avait besoin. Il fit observer qu’il y avait une nouvelle sensualité dans sa démarche. Il ne lui avait jamais fait de telles réflexions auparavant.

Elle questionna Fulkari à ce sujet. Fulkari lui répondit que les hommes changent souvent leur manière de s’adresser à une femme, lorsqu’ils décident qu’elle est devenue plus disponible qu’elle ne l’était.

— Mais je ne suis pas disponible ! déclara-t-elle avec indignation. Pas pour lui, du moins.

— Il n’empêche. Ta façon d’être est différente, à présent. Il a peut-être observé cela.

Keltryn n’aimait pas beaucoup l’idée que tous les hommes du Château puissent se rendre compte d’un seul coup d’œil qu’elle couchait avec quelqu’un. Elle était encore trop néophyte dans le monde des hommes et des femmes mûrs pour s’y sentir complètement à l’aise ; elle voulait couver jalousement sa relation avec Dinitak, ne partager son passage à l’âge adulte avec personne, excepté, peut-être, sa sœur. L’idée qu’Audhari, ou n’importe qui d’autre, puisse la regarder et savoir immédiatement qu’elle l’avait fait avec quelqu’un, et par conséquent qu’elle pourrait pour une raison ou une autre avoir envie de le faire avec lui aussi, était insultant et gênant pour elle.