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Peut-être, pensa Keltryn, avait-elle mal compris. Elle espérait que c’était le cas. La dernière chose dont elle avait envie, à présent, était que son ami Audhari, gentil et honnête, se mette à lui faire des avances romantiques.

Sur une suggestion de sa servante, cependant, elle se rendit un Steldi dans les bas niveaux du Château, dans le secteur du marché, et acheta à un vendeur d’articles de sorcellerie une petite amulette de fil de fer délicatement soudé connue sous le nom de focalo, qui avait la propriété de prévenir les attentions non désirées des hommes. Elle l’épingla au col de sa veste d’escrime lors de sa rencontre suivante avec Audhari. Il le remarqua immédiatement et rit.

— À quoi sert cet objet, Keltryn ?

Elle s’empourpra violemment.

— C’est seulement quelque chose que j’ai commencé à porter, c’est tout.

— Quelqu’un t’a-t-il importunée ? C’est généralement pour cette raison que les jeunes filles portent des focalos, non ? Pour envoyer le message « n’approchez pas ».

— Eh bien…

— Allez. Ce ne peut être moi qui t’inquiète, Keltryn !

— En réalité, dit-elle, se sentant à présent indiciblement embarrassée, mais comprenant qu’elle n’avait pas d’autre choix que de le lui dire, je commençais à penser que les événements prenaient une tournure un peu bizarre entre nous ces derniers temps. Du moins, c’est ce qu’il me semblait. Tu m’as dit que je marchais de façon plus sensuelle maintenant, des choses comme ça. Peut-être suis-je dans l’erreur, mais… oh, Audhari, je ne sais pas ce que j’essaye de te dire…

Il était plus amusé que contrarié.

— Je ne pense pas le savoir non plus, en fait. Mais il y a une chose dont je suis sûr : tu n’as pas besoin de focalo avec moi. J’ai bien vu dès le début que je ne t’intéressais pas.

— Si, comme ami. Et comme partenaire d’escrime.

— Oui. Mais rien de plus. C’était très facile à voir… De toute façon, tu as un amant à présent, non ? Alors pourquoi voudrais-tu t’engager avec moi ?

— Tu peux voir cela aussi ?

— C’est écrit sur ton visage, Keltryn. Un enfant de dix ans pourrait s’en apercevoir. Très bien, tant mieux pour toi, voilà ce que j’en dis ! Quel qu’il soit, il a beaucoup de chance.

Audhari mit son masque.

— Mais nous devrions vraiment nous mettre au travail, maintenant, je crois. En garde, Keltryn ! Une ! Deux ! Trois !

— Je ne voudrais pas m’ingérer dans ta vie privée, Dinitak, dit Dekkeret. Mais Fulkari m’a appris que tu as souvent vu sa sœur ces dernières semaines.

— C’est exact. Keltryn et moi avons passé beaucoup de temps ensemble récemment. Vraiment beaucoup.

— Keltryn est une fille charmante.

— Oui. Oui. J’avoue que je la trouve absolument fascinante.

Ils dînaient ensemble sur l’invitation de Dekkeret, seuls tous les deux, dans les appartements privés du Coronal. Le grand écuyer de Dekkeret avait disposé un repas somptueux devant eux, bols de poissons épicés, champignons doux aux teintes pastel de Kajith Kabulon, et cuissot rôti de bilantoon cuisiné avec des baies de thokka de la lointaine Narabal, accompagné d’un vin généreux et de caractère de la région de Sandaraina. Dekkeret mangea copieusement ; Dinitak, agité et crispé, ne semblait pas avoir faim du tout. Il ne fit que picorer sa nourriture et ne goûta pas au vin.

Dekkeret l’examina attentivement. De temps à autre au cours des années passées, il le savait, Dinitak avait eu une aventure avec telle ou telle femme, mais elles n’avaient jamais mené nulle part. Il avait l’impression que Dinitak ne l’avait pas souhaité, qu’il était un homme ayant peu besoin de relations suivies avec une femme. Mais d’après ce que lui avait dit Fulkari, quelque chose de totalement différent semblait à présent en cours.

— En réalité, dit Dinitak, je compte la voir ce soir, après vous avoir quitté. Donc, si vous n’avez pas à discuter affaires avec moi, Dekkeret…

— Si. Mais je promets de ne pas te retenir trop tard. Je ne voudrais pas que des questions d’affaires se mettent en travers de l’amour véritable.

— Un tel sarcasme est indigne de vous, monseigneur.

— Étais-je sarcastique ? Je croyais dire la simple vérité. Mais passons aux affaires sérieuses, de toute façon. Ce qui concerne Keltryn, d’ailleurs.

— Vraiment ? De quelle manière ? demanda Dinitak, sourcils froncés.

— Les plans, tels que je les entends, expliqua Dekkeret, sont que nous nous mettions en route pour les provinces occidentales Terdi prochain. Puisque nous serons absents pour plusieurs mois, voire plus, peut-être même beaucoup plus, la raison pour laquelle je voulais discuter avec toi ce soir est que je veux te demander si tu aimerais inviter Keltryn à nous accompagner dans ce voyage.

Dinitak eut l’air stupéfait. Il se leva à demi de son siège et son visage prit une teinte écarlate sous son hâle sombre de Suvrael.

— Je ne peux faire cela, Dekkeret !

— Je ne suis pas sûr de te comprendre. Que veux-tu dire par : « Je ne peux faire cela » ?

— Je veux dire que c’est absolument hors de question. L’idée est scandaleuse !

— Scandaleuse ? répéta Dekkeret, plissant les yeux d’un air dérouté.

Au bout de plus de vingt ans d’amitié, il était toujours incapable de prédire à quel moment il risquait de toucher quelque bizarre nerf de morale tatillonne chez Dinitak.

— Pour quelle raison ? Que n’ai-je pas vu ? D’après Fulkari, Keltryn et toi êtes absolument fascinés l’un par l’autre. Mais lorsque je te propose un moyen d’éviter une séparation longue, et sans doute pénible, tu t’emportes comme si j’avais suggéré quelque chose de monstrueusement obscène.

Dinitak parut se calmer, mais il était encore visiblement bouleversé.

— Réfléchissez à ce que vous dites, Dekkeret. Comment puis-je possiblement emmener Keltryn avec moi dans ce voyage ? Cela indiquerait à tout le monde que je ne la considère comme rien de plus qu’une concubine.

Dekkeret ne l’avait jamais vu aussi obtus. Il eut envie de se pencher par-dessus la table et de le secouer.

— Comme une compagne, Dinitak. Pas une concubine. Je vais emmener Fulkari avec moi, tu le sais. Crois-tu que je la considère également comme une concubine ?

— Chacun sait que vous épouserez Fulkari, une fois la période de deuil de Teotas terminée. Dans la pratique, elle est déjà votre femme. Mais Keltryn et moi… il n’y a rien d’établi entre nous. J’ai le double de son âge, Dekkeret. Je ne suis même pas sûr qu’il soit convenable de faire ce que nous faisons. En aucun cas je ne pourrais envisager de faire un voyage prolongé à travers le continent en compagnie d’une jeune fille célibataire.

Dekkeret secoua la tête.

— Tu m’ébahis, Dinitak.

— Vraiment ? Eh bien, alors je vous ébahis. Ainsi soit-il. Elle ne peut venir avec nous. Je ne le permettrai pas.

Ce n’était en rien ce qu’avait prévu Dekkeret. En fait, au début du repas, il s’était demandé si Dinitak finirait, avec hésitation et embarras, par amener la conversation sur une requête autorisant Keltryn à se joindre à eux dans leur expédition. La faire venir avec eux lui semblait parfaitement logique. La fille était très jeune, oui, mais au dire de tous, elle était plus posée que son âge et mûrissait rapidement. En outre, Fulkari et elle n’étaient pas seulement sœurs mais amies intimes, et il aurait été utile que Keltryn tienne compagnie à Fulkari pendant que Dinitak et lui auraient été occupés aux véritables tâches de leur mission. Et l’on aurait pu supposer que Dinitak aurait trouvé plaisir à l’idée qu’elle soit tout près pendant le trajet. Mais il n’aurait pu se tromper davantage.