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Le capitaine du bateau, un massif Skandar à la fourrure gris-pourpre, cria de jeter l’ancre.

— Pourquoi jetons-nous l’ancre si loin ? demanda le prince Simbilon.

Prestimion voulut répondre, mais Taradath, qui avait fait la traversée jusqu’à l’île avec son père lors du dernier Grand Périple de Prestimion, répondit avant lui.

— Parce qu’aucun bateau assez rapide pour nous conduire ici depuis Alaisor en un temps convenable n’est assez petit pour entrer dans le port, dit-il, un peu trop paternaliste au goût de Prestimion. Le port de Numinor est un endroit minuscule et ils devront nous y emmener par ferry. Tu vas voir.

Le protocole, lors de l’arrivée d’un Coronal en visite débarquant à Numinor, voulait qu’il s’arrête d’abord au pavillon des invités royaux connu sous le nom des Sept Murs, un bâtiment de plain-pied en pierre gris-noir situé sur la digue du rempart du port. Il devait y accomplir différents rites de purification avant de commencer l’ascension jusqu’au niveau supérieur des trois falaises, où la Dame l’attendrait. Il était généralement de coutume pour le Coronal d’aller vers la Dame, rarement que la Dame descende jusqu’au rivage pour l’accueillir.

Mais Prestimion était désormais Pontife, et non plus Coronal, et il n’avait pas la moindre idée du genre de dispositions qui seraient prises. Il ne s’était pas non plus renseigné. Peut-être les Sept Murs étaient-ils réservés aux seuls Coronals, et les Pontifes étaient logés ailleurs. Cela ne faisait aucune différence. Laissons-nous surprendre, pensa-t-il.

Tout sembla d’abord se passer comme d’habitude. Le transfert sur le ferry se passa en douceur, le pilote de celui-ci les conduisit avec habileté entre les récifs et les hauts-fonds du chenal jusqu’au débarcadère du port de Numinor ; un petit groupe de hiérarques de la Dame, solennelles dans leurs robes dorées à la bordure rouge, attendait comme toujours pour le saluer. Elles lui firent respectueusement le symbole en spirale du Labyrinthe, accueillirent de façon officielle lady Varaile, le porte-parole Septach Melayn et le Grand Amiral Gialaurys, et les conduisirent à terre, emmenant Prestimion et sa famille selon l’habitude aux Sept Murs, et les autres dans une hostellerie dans la direction opposée.

Puis les événements commencèrent à sortir de la routine.

— La Dame elle-même vous attend dans le pavillon des invités, Votre Majesté, lui dit l’une des hiérarques, alors qu’ils approchaient de l’édifice.

La première réaction de Prestimion fut la surprise que sa mère, qui lors de sa dernière visite paraissait enfin se plier au caractère inéluctable de la vieillesse, se soit astreinte à l’effort de descendre du haut de son sanctuaire au sommet de l’île gigantesque, alors qu’il aurait été beaucoup moins fatigant pour elle de le laisser monter vers elle. Puis il se rappela que sa mère n’était plus Dame de l’Ile. La femme qui l’attendait aux Sept Murs était la nouvelle titulaire du titre, la mère de Dekkeret, la Dame Taliesme.

Pourquoi, se demanda-t-il, Taliesme était-elle venue à lui ? Peut-être ne se sentait-elle pas encore fermement établie dans la grandeur qui était désormais la sienne, et, confrontée à l’arrivée d’un Pontife en visite, se trouvait contrainte par la crainte révérencielle que lui inspirait sa haute fonction à descendre vers lui plutôt que d’exiger de lui qu’il monte vers elle. Mais ensuite, une autre éventualité, beaucoup plus inquiétante, vint à l’esprit de Prestimion, lorsqu’il vit Taliesme arriver vers lui dans la cour des Sept Murs.

Sa mère, Therissa, avait toujours été une femme d’une force d’âme invincible. Mais les années laissaient sans doute des traces. Elle devait sûrement avoir ressenti la mort de Teotas comme un coup dur. Peut-être sa santé en avait-elle été ébranlée. Peut-être, aussi difficile à croire que ce soit, avait-elle subi une sorte d’effondrement moral, ou même physique. Elle pouvait être gravement malade, mourante peut-être. Ou même déjà morte. Et Taliesme ne voulait pas qu’il fasse l’ascension jusqu’au Temple Intérieur sans être informé de l’état de la Dame Therissa. Elle était donc venue à lui dans le but de lui apprendre la nouvelle.

Cependant, Prestimion ne sentit aucune atmosphère de désastre absolu autour de Taliesme lorsqu’elle s’avança pour le saluer. Elle marchait à pas rapides comme un oiseau : une petite femme énergique en robe blanche, le diadème d’argent de sa fonction ceignant son front. Ses yeux étaient brillants et étincelants, ses mains tendues de bon cœur.

— Votre Majesté, dit-elle, je vous souhaite à vous et à votre famille la bienvenue sur notre île.

— Nous vous en remercions, ma Dame.

— Et vous avez, bien entendu, toute ma sympathie face à la grande perte que vous avez subie.

Il ne pouvait attendre davantage.

— Ma mère, je l’espère, l’a bien supportée ?

— Aussi bien que l’on pouvait le souhaiter, dirais-je. Elle est impatiente de vous voir.

— Je la trouverai donc en bonne santé ? demanda Prestimion d’une voix tendue.

Il n’y eut que la plus infime hésitation.

— Vous ne la trouverez pas aussi solide que vous vous la rappelez, Votre Majesté. La mort du Prince Teotas a été pénible pour elle. Je ne prétendrai pas le contraire. Et il y a eu d’autres petits problèmes inquiétants dont nous devrons parler avant que vous ne montiez au Temple Intérieur. Mais d’abord, je pense que des rafraîchissements seraient de rigueur, voulez-vous entrer, Votre Majesté ?

Un léger repas avait été disposé pour eux aux Sept Murs : des flacons de vin doré, des plateaux d’huîtres et de poisson fumé, des coupes de fruits. Il sembla à Prestimion que Taliesme était aussi à l’aise pour jouer les hôtesses pour le Pontife qu’elle aurait pu l’être en recevant des voisins de longue date dans sa vieille maison de Normork, dont Dinitak lui avait un jour dit qu’il s’agissait véritablement d’un endroit petit et fort humble.

Il était fasciné par la façon dont elle s’était transformée, et restait néanmoins la même, au cours de son élévation au titre de Dame.

Elle n’aurait pu avoir un comportement plus différent de celui de sa devancière sur l’île. Il y avait un monde de contrastes entre la simplicité et la modestie sans affectation de Taliesme et la majesté aristocratique de la Dame Therissa. Cependant, une noblesse indéniable l’avait investie depuis qu’elle assumait ses fonctions.

Depuis le moment de ses premières visites au Château, à l’époque où Dekkeret n’était que Coronal-désigné, Prestimion avait été impressionné par la confiance en soi, le sang-froid et la sérénité de Taliesme. À présent qu’elle était la Dame de l’île, une certaine aura de grâce et d’assurance, qui était presque invariablement caractéristique de chaque femme qui occupait la fonction de Dame, s’était ajoutée à ces qualités. Mais son moi essentiel paraissait fondamentalement inchangé, en aucune façon écrasé par la dignité qui lui avait été accordée lors de l’ascension au trône de Dekkeret.

Prestimion eut l’impression de voir son jugement sur son fils confirmé à nouveau à travers elle. Une fois de plus, comme cela s’était si souvent avéré le cas par le passé, la mère de l’homme qui avait été jugé digne du titre de Coronal lord de Majipoor était elle-même une candidate appropriée au rôle de Dame de l’île.

La conversation, dont Prestimion lui laissa la direction, roula aisément sur une grande variété de thèmes. Ils discutèrent d’abord de la mort tragique de Teotas : qu’il était ahurissant, déconcertant qu’un homme d’un tel tempérament, avec de telles dispositions, puisse être victime d’une telle dépression.