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Il était à présent temps pour eux de commencer leur ascension pour de bon. Le Divin nous accorde un voyage plus facile que ceux que j’ai faits toute la nuit, pria Prestimion.

Il tint lady Tuanelys sur ses genoux dans le flotteur qui allait les emmener au sommet du mur vertical qu’était la paroi de la Première Falaise. Varaile s’assit d’un côté de lui, la Dame Taliesme de l’autre, et les garçons derrière. Lorsque le flotteur commença son ascension étourdissante, Tuanelys, effrayée, se tortilla pour enfouir son visage contre le torse de son père ; mais Prestimion entendit un sifflement appréciateur de la part du prince Akbalik, alors qu’ils s’élançaient silencieusement et rapidement vers le haut à l’encontre de l’attraction de la gravité. Ce qui le fit sourire : Akbalik était d’habitude si sérieux et maître de lui. Mais peut-être le garçon commençait-il à changer, en entrant dans l’adolescence.

Sur l’aire d’atterrissage, au sommet, Prestimion montra du doigt le port de Numinor, loin en contrebas, et les bras avancés de la digue où le ferry les avait débarqués. Tuanelys ne voulut pas regarder. Les deux garçons les plus jeunes étaient éblouis, cependant, de l’altitude à laquelle ils s’étaient élevés.

— Ce n’est rien, dit dédaigneusement Taradath. Nous n’avons que commencé l’ascension.

Prestimion trouvait que les enfants étaient une distraction bienvenue au cours de ce long trajet. Il s’inquiétait à l’idée que Taliesme ait pu cacher les détails les plus alarmants de la santé de la Dame Therissa, et il ne voulait pas réfléchir trop profondément à ce qui l’attendait en haut. Il prenait donc grand plaisir à observer Taradath, qui avait déjà vu tout cela, endosser le rôle de guide touristique pour ses frères et sa sœur, et leur expliquer avec condescendance, qu’ils veuillent ou non le savoir, qu’ici se trouvait la Terrasse de l’Évaluation, où tous les pèlerins de l’île étaient conduits en premier lieu, là la Terrasse des Commencements, et là encore la Terrasse des Miroirs, et ainsi de suite tout au long de la journée. Il était également amusant de voir à quel point les trois autres se souciaient peu d’être instruits par leur je-sais-tout de frère aîné.

— Nous nous arrêtons toujours ici pour la nuit, sur la Terrasse des Miroirs, dit solennellement Taradath, comme s’il s’agissait d’un voyage qu’il faisait tous les six mois ou presque. Demain à la première heure, nous monterons à la Deuxième Falaise. Cela donne le vertige, on le fait si vite. Mais la vue de là-haut est fantastique. Attendez de voir.

Du coin de l’œil, Prestimion surprit le prince Simbilon faisant une grimace à Taradath dans le dos de celui-ci, et sourit.

Taradath aurait bientôt dix-sept ans, songea Prestimion. Il prit mentalement note de discuter avec Varaile de son renvoi au Château l’année suivante, comme chevalier-initié. Il n’y avait aucune raison obligeant le fils adulte d’un Pontife à rester avec sa famille dans le Labyrinthe ; et cela ferait probablement du bien à Taradath que d’autres jeunes hommes du Château lui rabattent le caquet. Prestimion avait fait de son mieux pour apprendre à Taradath qu’une fois qu’il serait entré dans la vie adulte, il ne bénéficierait d’aucun privilège ou égard particulier pour la seule raison qu’il était le fils du Pontife, mais peut-être la leçon serait-elle mieux retenue si elle était donnée par ses pairs.

Des flotteurs les attendaient pour les transporter de l’aire d’atterrissage de la Deuxième Falaise jusqu’au dernier terminal au pied de la Troisième Falaise. Ils traversèrent rapidement les Terrasses de la Deuxième Falaise, où les pèlerins achevaient leur formation afin de pouvoir devenir acolytes au plus haut niveau de l’île, et d’assister la Dame dans sa tâche. Là-haut, sur la Troisième Falaise, le nombreux personnel de la Dame ceignait chaque nuit les diadèmes d’argent qui permettaient à un esprit d’en toucher un autre à distance, et envoyaient leurs esprits guérir par des rêves bienveillants ceux dont les âmes étaient en peine : pour les guider, les conseiller, les consoler. Lors de ses visites précédentes, Prestimion, émerveillé, avait observé les légions de la Dame au travail. Mais cette fois, il n’aurait pas le temps pour de telles distractions.

Les voyageurs atteignirent le dernier dépôt de flotteurs en milieu de matinée. À présent le saut final allait les amener au sommet plat de l’île, à des centaines de mètres au-dessus de leur point de départ, au niveau de la mer.

Les garçons les plus jeunes étaient enthousiasmés par l’incroyable limpidité de l’air de la Troisième Falaise, et la luminosité du soleil qui donnaient à tout un étrange éclat céleste. Dès que le flotteur eut atterri, ils se précipitèrent dehors et se mirent à se pourchasser autour du dépôt de flotteurs, tandis que Taradath criait.

— Hé, attention vous deux ! L’air est raréfié à cette hauteur !

Ils ne lui prêtèrent aucune attention. Le sommet du Mont du Château était infiniment plus haut que celui-ci, après tout. Mais l’air du Mont du Château était artificiel : ce qu’ils respiraient ici était naturel, avec un taux d’oxygène réduit par l’altitude, et bientôt Simbilon et Akbalik en ressentirent les effets, ralentirent et, à présent tout essoufflés, chancelèrent de vertige.

Prestimion, qui se tenait à côté de Taradath, se pencha vers lui et murmura :

— Ne le dis pas.

Taradath parut ne pas comprendre.

— Ne pas dire quoi, père ?

— « Je vous l’avais bien dit. » Ne le dis pas, c’est tout.

Prestimion mit un peu de verve dans sa voix.

— D’accord ? Ils savent maintenant que l’air est différent ici. Tu n’as pas besoin de remuer le couteau dans la plaie.

Taradath cligna plusieurs fois des yeux.

— Oh, dit-il, et le rouge lui monta aux joues, lorsqu’il commença à saisir le message de Prestimion. Bien sûr, je ne le ferai pas, père.

— Bien.

Prestimion se détourna et mit la main devant sa bouche pour cacher son sourire. Un autre petit pas dans l’éducation du garçon, se dit-il. Mais il y en aurait encore beaucoup à faire.

La Terrasse des Ombres, où la Dame Therissa avait établi sa résidence depuis qu’elle avait renoncé aux pouvoirs qui avaient été les siens, était située à l’intérieur du mur qui séparait l’enceinte du sanctuaire qu’était le Temple Intérieur du reste de la Troisième Falaise. Varaile et les enfants restèrent en arrière, dans le pavillon des invités de la Troisième Falaise.

— La maison de votre mère se trouve de l’autre côté du Temple Intérieur, dit Taliesme à Prestimion.

Elle le conduisit dans le jardin impeccable qui entourait le charmant bâtiment octogonal en marbre qui était à présent sa demeure, à travers une pelouse verdoyante et bien entretenue, et un secteur boisé au-delà duquel Prestimion n’était jamais allé auparavant.

Aucun bâtiment n’était visible de là : seulement une rangée incurvée d’arbres assez petits, d’une espèce qu’il ne reconnut pas, qui se dressait droit devant lui. Ils avaient un tronc épais, lisse et d’un brun roux, qui était bizarrement renflé au milieu, et une couronne touffue de feuilles bleu-vert brillantes et redressées si bien que l’on eût cru des mains levées. Les arbres avaient été plantés si serré, un gros tronc enflé blotti contre le suivant, qu’ils constituaient pour ainsi dire un mur. Il ne restait qu’un espace étroit en un seul endroit, marqué par des dalles de marbre blanc, qui permettait d’entrer dans le secteur très privé qui s’étendait derrière ce bosquet.