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Au premier abord, on eût dit une immense tapisserie de l’étoffe la plus riche; la voûte, haute de trente pieds, présentait une sorte de velarium d’azur, bordé de longues palmettes jaunes.

Sur les parois des murs, le globe symbolique ouvrait son envergure démesurée, et les cartouches royaux inscrivaient leur contour. Plus loin, Isis et Nephtys secouaient leurs bras frangés de plumes comme des ailerons. Les uraeus gonflaient leurs gorges bleues, les scarabées essayaient de déployer leurs élytres, les dieux à têtes d’animaux dressaient leurs oreilles de chacal, aiguisaient leur bec d’épervier, ridaient leur museau de cynocéphale, rentraient dans leurs épaules leur cou de vautour ou de serpent comme s’ils eussent été doués de vie. Des bans mystiques passaient sur leurs traîneaux, tirées par des figures aux poses compassées, au geste anguleux, ou flottaient sur des eaux ondulées symétriquement, conduites par des rameurs demi-nus. Des pleureuses, agenouillées et la main placée en signe de deuil sur leur chevelure bleue, se retournaient vers les catafalques, tandis que des prêtres à tête rase, une peau de léopard sur l’épaule, brûlaient les parfums sous le nez des morts divinisés, au bout d’une spatule terminée par une main soutenant une petite coupe. D’autres personnages offraient aux génies funéraires des lotus en fleur ou en bouton, des plantes bulbeuses, des volatiles, des quartiers d’antilope et des buires de liqueurs. Des Justices acéphales amenaient des âmes devant des Osiris aux bras pris dans un contour inflexible, comme dans une camisole de force, qu’assistaient les quarante-deux juges de l’Amenti accroupis sur deux files et portant sur leurs têtes empruntées à tous les règnes de la zoologie une plume d’autruche en équilibre.

Toutes ces figurations, cernées d’un trait creusé dans le calcaire et bariolées des couleurs les plus vives, avaient cette vie immobile, ce mouvement figé, cette intensité mystérieuse de l’art égyptien, contrarié par la règle sacerdotale, et qui ressemble à un homme bâillonné tâchant de faire comprendre son secret.

Au milieu de la salle se dressait massif et grandiose le sarcophage creusé dans un énorme bloc de basalte noir que fermait un couvercle de même matière, taillé en dos d’âne.

Les quatre faces du monolithe funèbre étaient couvertes de personnages et d’hiéroglyphes aussi précieusement gravés que l’intaille d’une bague en pierre fine, quoique les Égyptiens ne connussent pas le fer et que le basalte ait un grain réfractaire à émousser les aciers les plus durs. L’imagination se perd à rêver le procédé par lequel ce peuple merveilleux écrivait sur le porphyre et le granit, comme avec une pointe sur des tablettes de cire.

Aux angles du sarcophage étaient posés quatre vases d’albâtre oriental du galbe le plus élégant et le plus pur, dont les couvercles sculptés représentaient la tête d’homme d’Amset, la tête de cynocéphale d’Hapi, la tête de chacal de Soumaoutf, la tête d’épervier de Kebsbnif: c’étaient les vases contenant les viscères de la momie enfermée dans le sarcophage. A la tête du tombeau, une effigie d’osiris, la barbe nattée, semblait veiller sur le sommeil du mort. Deux statues de femme coloriées se dressaient à droite et à gauche de la tombe, soutenant d’une main sur leur tête une boîte carrée, et de l’autre, appuyé à leur flanc, un vase à libations.

L’une était vêtue d’un simple jupon blanc collant sur les hanches et suspendu par des bretelles croisées; l’autre, plus richement habillée, s’emboîtait dans une espèce de fourreau étroit papelonné d’écailles successivement rouges et vertes.

A côté de la première, l’on voyait trois jarres primitivement remplies d’eau du Nil, qui en s’évaporant n’avait laissé que son limon, et un plat contenant une pâte alimentaire desséchée.

A côté de la seconde, deux petits navires, pareils à ces modèles de vaisseaux qu’on fabrique dans les ports de mer, rappelaient avec exactitude, celui-ci, les moindres détails des barques destinées à transporter les corps de Diospolis aux Memnonia; celui-là, la nef symbolique qui fait passer l’âme aux régions de l’Occident. Rien n’était oublié, ni les mâts, ni le gouvernail, composé d’un long aviron, ni le pilote, ni les rameurs, ni la momie entourée de pleureuses et couchée sous le naos, sur un lit à pattes de lion, ni les figures allégoriques des divinités funèbres accomplissant leurs fonctions sacrées. Barques et personnages étaient peints de couleurs vives, et sur les deux joues de la proue relevée en bec comme la poupe, s’ouvrait le grand œil osirien allongé d’antimoine; un bucrane et des ossements de bœuf semés ça et là témoignaient qu’une victime avait été immolée pour assumer les mauvaises chances qui eussent pu troubler le repos du mort.

Des coffrets peints et chamarrés d’hiéroglyphes étaient placés sur le tombeau; des tables de roseau soutenaient encore les offrandes funèbres; rien n’avait été touché dans ce palais de la Mort, depuis le jour où la momie, avec son cartonnage et ses deux cercueils, s’était allongée sur sa couche de basalte. Le ver du sépulcre, qui sait si bien se frayer passage à travers les bières les mieux fermées, avait lui-même rebroussé chemin, repoussé par les âcres parfums du bitume et des aromates.

«Faut-il ouvrir le sarcophage? dit Argyropoulos après avoir laissé à Lord Evandale et à Rumphius le temps d’admirer les splendeurs de la salle dorée.

– Certainement, répondit le jeune lord; mais prenez garde d’écorner les bords du couvercle en introduisant vos leviers dans la jointure, car je veux enlever ce tombeau et en faire présent au British Muséum.» Toute la troupe réunit ses efforts pour déplacer le monolithe; des coins de bois furent enfoncés avec précaution, et, au bout de quelques minutes de travail, l’énorme pierre se déplaça et glissa sur les tasseaux préparés pour la recevoir.

Le sarcophage ouvert laissa voir le premier cercueil hermétiquement fermé. C’était un coffre orné de peintures et de dorures, représentant une espèce de naos, avec des dessins symétriques, des losanges, des quadrilles, des palmettes et des lignes d’hiéroglyphes. On fit sauter le couvercle, et Rumphius, qui se penchait sur le sarcophage, poussa un cri de surprise lorsqu’il découvrit le contenu du cercueiclass="underline" «Une femme! une femme!» s’écria-t-il, ayant reconnu le sexe de la momie à l’absence de barbe osirienne et à la forme du cartonnage.

Le Grec aussi parut étonné; sa vieille expérience de fouineur le mettait à même de comprendre tout ce qu’une pareille trouvaille avait d’insolite. La vallée de Biban-el-Molouk est le Saint-Denis de l’ancienne Thèbes, et ne contient que des tombes de rois. La nécropole des reines est située plus loin, dans une autre gorge de la montagne. Les tombeaux des reines sont fort simples, et composés ordinairement de deux ou trois couloirs et d’une ou deux chambres. Les femmes, en Orient, ont toujours été regardées comme inférieures à l’homme, même dans la mort. La plupart de ces tombes, violées à des époques très anciennes, ont servi de réceptacle à des momies difformes grossièrement embaumées, où se voient encore des traces de lèpre et d’éléphantiasis. Par quelle singularité, par quel miracle, par quelle substitution ce cercueil féminin occupait-il ce sarcophage royal, au milieu de ce palais cryptique, digne du plus illustre et du plus puissant des Pharaons!