Выбрать главу

Derrière venaient les serviteurs et les charrettes. Personne ne comprenait pourquoi Rand avait envoyé tous les chariots avec les autres et il n’avait pas l’intention de s’expliquer, sachant que des oreilles indiscrètes auraient pu écouter. On voyait ensuite la longue file de chevaux de remonte conduits par des palefreniers, et les rangées désordonnées de fantassins en plastrons cabossés mal ajustés, ou en justaucorps de cuir sur lesquels étaient cousus des disques métalliques rouillés, armés d’arcs, d’arbalètes ou de lances, et même parfois de piques. Puis suivaient d’autres soldats qui avaient obéi à l’appel du « Seigneur Brend » et avaient décidé de ne pas rentrer chez eux désarmés. Leur chef était celui avec lequel Rand avait parlementé à la lisière du bois, un certain Eagan Padros, plus intelligent qu’il en avait l’air. Presque partout, il était difficile pour un roturier de s’élever en grade, mais Rand avait remarqué Padros. Il avait rassemblé ses hommes d’un côté, mais les autres marchaient en désordre, se bousculant pour mieux voir où ils allaient. La Chaussée de l’Étoile du Nord s’étirait sur des miles, droite comme une flèche, à travers les marais brunâtres entourant Illian. Cette large voie de terre battue était entrecoupée de ponts plats en pierre. Le vent du sud apportait l’odeur du sel et une légère puanteur de tannerie. Illian était une vaste cité, aussi grande que Caemlyn ou Cairhien. Des toits aux tuiles multicolores et des centaines de tours luisant au soleil étaient apparus à travers cette mer végétale, où pataugeaient des grues à longues pattes et que rasaient des vols d’oiseaux blancs en poussant des cris stridents.

Tous furent déçus que Rand n’ait pas l’intention d’entrer dans Illian, mais personne ne se plaignit, du moins pas ouvertement. On vit quand même beaucoup de visages lugubres et on entendit des chuchotements amers quand ils commencèrent à dresser les camps à la hâte. Comme la plupart des grandes cités, Illian avait la réputation d’être mystérieusement exotique, et d’abriter des cabarets attirants et des femmes faciles. Au moins pour les hommes qui n’y étaient jamais allés, même si c’était la capitale de leur pays. L’ignorance exagérait toujours la réputation d’une ville dans ce domaine. Cela étant, seul Morr galopait sur la chaussée. Les hommes en train de planter des piquets de tentes et des pieux pour attacher les chevaux, se redressèrent et le suivirent avec des yeux jaloux. Les nobles l’observèrent avec curiosité, tout en feignant de ne pas le regarder.

Les Asha’man de Gedwyn ne prêtèrent aucune attention à Morr en dressant leur camp qui consistait en une tente noire pour Gedwyn et Rochaid, et une aire d’herbes piétinées et séchées où les autres dormiraient à la belle étoile, enroulés dans leur cape. Bien entendu, on utilisa pour ce faire le Pouvoir, grâce auquel tout avait été fait, y compris l’allumage des feux. Dans les autres camps, certains observaient, médusés, leur tente qui se dressait d’elle-même et les paniers qui flottaient loin des chevaux de bât. Mais la plupart regardaient ailleurs quand ils réalisaient ce qui se passait. Deux ou trois soldats en noir discutaient entre eux.

Flinn et les autres ne se joignirent pas au groupe de Gedwyn – ils avaient deux tentes, dressées près de celle de Rand –, mais Dashiva alla trouver le « Chef des Tempêtes » et le « Chef des Attaques », qui surveillaient nonchalamment les opérations, donnant un ordre bref de temps en temps. Ils échangeaient quelques mots, et Dashiva revint, secouant la tête et maugréant entre ses dents. Gedwyn et Rochaid n’étaient pas aimables. Et c’était aussi bien.

Rand entra dans sa tente dès qu’elle fut dressée, et s’affala sur son lit de camp encore tout habillé, contemplant la pente du toit. Il y vit des abeilles brodées, sur un faux plafond en soie. Hopwil lui apporta une chope en étain pleine de vin chaud – Rand avait laissé ses domestiques à l’arrière – mais le vin refroidit sur sa table de travail. Son esprit travaillait fiévreusement. Il songea que deux ou trois jours de plus auraient suffi pour porter aux Seanchans un coup qui les aurait abattus. Puis il serait revenu à Cairhien pour voir comment s’étaient déroulées les négociations avec le Peuple de la Mer, pour apprendre ce que voulait Cadsuane – il avait une dette envers elle, mais elle voulait quelque chose ! – et pour mettre fin à ce qui restait de la rébellion là-bas. Caraline Damodred et Darlin Sisnera s’étaient-ils échappés à la faveur de la confusion ? Une fois le Haut Seigneur Darlin entre ses mains, peut-être que la rébellion à Tear se terminerait également. Si Mat et Elayne étaient au Murandy, ce qui était apparemment le cas, des semaines, au mieux, passeraient avant qu’Elayne ne puisse revendiquer le Trône du Lion. Cela fait, il devrait s’éloigner de Caemlyn. Mais il fallait qu’il parle à Nynaeve. Était-ce possible de purifier le saidin ? Cela pourrait marcher, ou détruire le monde. Lews Therin bredouillait dans sa tête, en proie à une folle terreur. Par la Lumière, où était Narishma ?

Une rafale de cemaros entra, très violente car ils étaient proches de la mer. La pluie tambourinait sur la tente comme sur une grosse caisse. Les éclairs fulguraient à l’entrée, emplissant la tente d’une clarté blanc bleu, et le tonnerre grondait, avec un bruit de montagne qui s’effondre.

Au milieu de ce vacarme, Narishma entra, trempé jusqu’aux os, ses cheveux noirs collés à son crâne. Ses ordres stipulaient qu’il devait éviter à tout prix de se faire remarquer. Pas question de parader pour lui. Sa tunique ruisselante était brune, ses cheveux attachés sur la nuque, non tressés. Même sans parader, un homme avec des cheveux jusqu’à la taille attirait l’attention. Il fronçait les sourcils, et, sous le bras, il portait un paquet cylindrique de la grosseur d’une jambe, comme un petit tapis roulé.

Se levant d’un bond, Rand lui arracha le paquet avant qu’il ait eu le temps de le lui tendre.

— Quelqu’un vous a-t-il vu ? demanda-t-il. Qu’est-ce qui vous a pris tant de temps ? Je vous attendais hier soir !

— Il m’a fallu un moment pour comprendre ce que j’avais à faire, répondit Narishma d’un ton neutre. Vous ne m’aviez pas tout dit. Vous avez failli me tuer.

C’était ridicule. Rand lui avait dit tout ce qu’il avait besoin de savoir. Il en était certain. Il aurait été stupide d’accorder autant de confiance à cet homme, pour ensuite risquer de le faire tuer et de tout gâcher. Avec précaution, il glissa le paquet sous son lit de camp. Ses mains tremblaient du désir d’en déchirer l’emballage, pour voir s’il contenait bien ce que Narishma était allé chercher. Mais il n’aurait pas osé revenir s’il n’avait pas accompli sa mission avec succès.

— Allez vous changer avant de rejoindre les autres. Et, Narishma…

Rand se redressa et le fixa sans ciller.

— … si vous parlez de cela à quiconque, je vous tue.

Vous tuerez le monde, ricana Lews Therin avec dérision. Ou désespoir. J’ai tué le monde, et vous le pouvez aussi si vous essayez sérieusement.

Narishma se frappa violemment la poitrine du poing.

— À vos ordres, mon Seigneur Dragon, dit-il avec aigreur.