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Sur moi aussi, pensa Rand avec tristesse. Je ne peux pas me permettre de les écouter, mais comment les faire taire ? Lews Therin se remit à pleurer son Ilyena perdue.

— Grande victoire, entonna Weiramon derrière lui. Il ajouta entre ses dents : Mais sans grande gloire. L’ancienne tactique était meilleure.

La tunique de Rand était toute maculée de boue, mais, curieusement, Weiramon restait aussi impeccable que sur la Route d’Argent. Son casque et son armure étincelaient. Comment faisait-il ? Les Tarabonais avaient lancé la charge à la fin, leurs lances et leur courage unis contre le Pouvoir Unique. Weiramon avait mené sa propre charge pour briser leur élan, sans en avoir reçu l’ordre, et suivi de tous les Tairens à part les Défenseurs, et, étrangement, d’un Torean à demi saoul. Semaradrid et Gregorin Panar, avec la plupart des Cairhienins et des Illianers l’avaient aussi rejoint. Rester oisifs avait été difficile à ce moment-là, chacun se montrant prêt à se battre avec tout adversaire sur lequel il pourrait mettre la main. Les Asha’man auraient pu faire la même chose plus vite. Mais avec encore plus de sang.

Rand n’avait pris aucune part au combat. Il s’était posté bien en vue sur son cheval. Il avait eu peur de saisir le Pouvoir. Il n’osait pas afficher une faiblesse qui aurait pu se communiquer à tous. Lews Therin bredouilla, horrifié par cette idée.

Tout aussi surprenante que la tunique impeccable de Weiramon, Anaiyella chevauchait près de lui, sans minauder pour une fois. Elle avait le visage tendu et désapprobateur. Curieusement, cela l’enlaidissait moins que ses sourires mielleux. Elle n’avait pas participé à la charge, bien évidemment, pas plus qu’Ailil, mais le Maître d’Écurie d’Anaiyella avait combattu et perdu la vie, avec une lance tarabonaise plantée dans la poitrine. Cela ne lui plaisait pas du tout. Mais pourquoi accompagnait-elle Weiramon ? Parce que les Tairens devaient se tenir les coudes ? Peut-être. Elle était avec Sunamon la dernière fois que Rand l’avait vue.

Bashere monta la pente sur son alezan, contournant les cadavres tout en feignant ne pas leur accorder plus d’attention qu’aux troncs éclatés et aux souches incendiées. Son casque était pendu à sa selle, et ses gantelets glissés dans son ceinturon. Comme son cheval, il était couvert de boue du côté droit.

— Aracome nous a quittés, dit-il. Flinn a tenté de le Guérir, mais je crois qu’il n’aurait pas aimé vivre en infirme. Pour le moment, il y a plus de cinquante morts. Et certains autres blessés ne survivront peut-être pas.

Anaiyella pâlit. Rand l’avait vue près d’Aracome, en train de vomir. La mort des roturiers ne l’affectait pas autant.

Un instant, Rand éprouva de la pitié. Pas pour elle, et si peu pour Aracome. Mais pour Min, bien qu’elle soit retournée à Cairhien et en sécurité. Min avait prédit la mort d’Aracome dans une de ses visions, comme celle de Maraconn et de Gueyam. Quoi qu’elle ait vu, Rand espéra que c’était très loin de la réalité.

La plupart des Soldats étaient repartis en reconnaissance. En bas, dans la grande prairie, les portails tissés par les Consacrés de Gedwyn déversaient des charrettes de ravitaillement et des chevaux de remonte. Les hommes qui les accompagnaient restaient bouche bée dès qu’ils s’approchaient du champ de bataille. Le sol boueux n’était pas aussi bien labouré que le flanc de la montagne, mais des sillons noircis de deux toises de large et cinquante de long s’étaient creusés dans l’herbe brunâtre, et des trous, qu’un cheval n’aurait peut-être pas pu franchir d’un saut, s’étaient formés. Jusqu’à présent, ils n’avaient pas trouvé les damanes. Rand estima qu’il n’y en avait sans doute qu’une, car s’il y en avait eu plusieurs, ils auraient subi davantage de pertes.

Des hommes circulaient autour des feux sur lesquels bouillait de l’eau pour le thé, entre autres choses. Pour une fois, Tairens, Cairhienins et Illianers se mélangeaient. Et pas seulement les roturiers. Semaradrid partageait sa gourde avec Gueyam, qui passait avec lassitude une main sur son crâne chauve. Maraconn et Kiril Drapaneos, qui faisait penser à une cigogne, et dont la barbe carrée allongeait son visage étroit, étaient accroupis près d’un feu. Apparemment, ils jouaient aux cartes ! Toute une bande de petits seigneurs cairhienins faisait cercle autour de Torean, mais peut-être riaient-ils moins de ses plaisanteries que de la façon dont il chancelait sur ses jambes d’ivrogne et frictionnait son nez en forme de patate. Les Légionnaires restaient entre eux, mais ils avaient intégré les « volontaires » qui avaient suivi Eagan Padros et adopté la Bannière de la Lumière. Ils semblaient les plus disposés à se faire accepter, depuis qu’ils avaient appris comment Padros était mort. Les Légionnaires en tuniques bleues leur apprenaient à changer de direction, sans s’éparpiller comme un troupeau d’oies.

Flinn faisait partie des blessés, avec Adley, Morr et Hopwil. Comme Rand, Narishma ne pouvait guère Guérir plus que des blessures mineures, et Dashiva pas même autant. Gedwyn et Rochaid conversaient à l’écart de tous, tenant leurs chevaux par la bride en haut de la colline au milieu de la vallée, là où ils prévoyaient d’attaquer par surprise les Seanchans, en faisant irruption par les portails qui entouraient la butte. Le bilan provisoire d’une cinquantaine de morts aurait été pire sans Flinn et ceux qui possédaient le don de Guérison. Gedwyn et Rochaid ne voulaient pas se salir les mains, et avaient rechigné quand Rand les y avait obligé. L’un des morts était un Soldat, et un autre Soldat, un Cairhienin au visage poupin, était avachi près d’un feu, dans un état d’hébétude dont Rand espérait qu’il soit dû à l’explosion du sol sous ses pas, plutôt qu’à la folie.

Plus bas dans la plaine, Ailil conférait avec son capitaine, petit homme pâle du nom de Denharad. Leurs chevaux se touchaient presque, et, de temps en temps, ils levaient les yeux vers Rand. Qu’est-ce qu’ils manigançaient ?

— Nous ferons mieux la prochaine fois, murmura Bashere.

Il promena son regard tout autour de la vallée, puis il hocha la tête.

— La pire erreur est de faire deux fois la même, et ça ne nous arrivera pas.

Weiramon l’entendit et répéta la même chose, mais avec vingt fois plus de mots, dans un langage assez fleuri, sans pour autant reconnaître qu’il avait sa part de responsabilité. Avec beaucoup de diplomatie, il évita de parler des fautes de Rand.

Rand secoua la tête, la bouche pincée. Ils feraient mieux la prochaine fois. Il le fallait, à moins qu’il ne veuille laisser la moitié de ses hommes enterrés dans ces montagnes. Pour le moment, il s’interrogeait sur le sort des prisonniers.

La plupart de ceux qui avaient échappé à la mort avaient réussi à fuir au milieu des arbres encore intacts, en bon ordre, ce qui était surprenant étant donné les circonstances, affirmait Bashere. À présent, ils ne représentaient plus une menace, à moins qu’ils aient la damane avec eux. Ils étaient une centaine assis par terre, dépouillés de leurs armes et de leurs armures, sous les yeux vigilants de deux douzaines de Défenseurs et Compagnons à cheval. Tarabonais pour la plupart, ils n’avaient pas combattu sous la contrainte. Beaucoup gardaient la tête haute et huaient leurs gardes. Gedwyn voulait les tuer, après les avoir soumis à la question. Weiramon ne se souciait pas qu’on leur coupe la gorge, mais il considérait la torture comme une perte de temps. Aucun ne saurait rien d’utile, soutenait-il, car il n’y avait pas un seul noble parmi eux.

Rand regarda Bashere. Weiramon continuait à pontifier bruyamment :

— … nettoyer ces montagnes pour vous, mon Seigneur Dragon. Nous les piétinerons sous nos sabots, nous…