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Un portail s’ouvrit entre les arbres un peu plus loin sur la crête, telle une fente argentée qui s’élargit, révélant des arbres différents et des broussailles roussies par le froid de l’hiver. Un soldat à la peau cuivrée, avec une fine moustache et une petite perle à l’oreille, en émergea à pied et laissa le portail se refermer. Il poussait devant lui une sul’dam les mains liées derrière le dos, belle malgré une grosse bosse pourpre à la tempe. Mais la bosse allait bien avec son air renfrogné et sa robe sale et fripée. Tournant la tête, elle ricana à l’adresse du Soldat qui la poussait vers Rand, puis elle regarda Rand aussi en ricanant.

Le Soldat se raidit et salua vivement.

— Soldat Arlen Nalaam, mon Seigneur Dragon, aboya-t-il, fixant la selle de Rand. Mon Seigneur Dragon a ordonné de lui amener toute femme capturée.

Rand hocha la tête. Cette inspection des prisonniers ne servait qu’à se donner une contenance.

— Emmenez-la aux charrettes, Soldat Nalaam. Puis retournez au combat.

Disant cela, il faillit grincer des dents. Pendant que Rand al’Thor, Dragon Réincarné et Roi d’Illian, tranquillement assis sur sa selle, se contentait de contempler le faîte des arbres !

Nalaam salua une fois de plus, avant de s’éloigner en poussant la femme devant lui, sans traîner. Elle regardait sans cesse Rand par-dessus son épaule. Les yeux étonnés et bouche bée. Pour une raison inconnue, Nalaam ne s’arrêta pas avant d’être arrivé au point où il avait émergé. Assez loin pour ne pas risquer de blesser les chevaux.

— Que faites-vous ? demanda Rand quand il sentit le saidin inonder Nalaam.

Nalaam se retourna à moitié, après une brève hésitation.

— Ça semble plus facile ici, si j’utilise un lieu où j’ai déjà ouvert un portail, mon Seigneur Dragon. Le saidin… le saidin… me fait une impression… étrange ici.

Sa prisonnière se retourna en fronçant les sourcils.

Au bout d’un moment, Rand lui fit signe de continuer. Flinn feignit de s’intéresser à la sangle de son cheval, mais le vieil homme chauve sourit dans sa barbe. Dashiva… pouffa. Flinn avait été le premier à mentionner une impression d’étrangeté dans le saidin en cette vallée. Naturellement, Narishma et Hopwil l’avaient entendu, et Morr y avait ajouté l’impression « d’étrangeté » ressentie autour d’Ebou Dar. Pas étonnant à présent que tous prétendent sentir quelque chose d’étrange, bien que personne ne pût dire quoi. Le saidin leur faisait juste une impression… bizarre. Par la Lumière, avec la forte souillure de la moitié mâle de la Source, qu’est-ce qu’ils auraient pu ressentir d’autre ? Rand espéra qu’ils n’étaient pas tous en train de contracter la même maladie que lui.

Le portail de Nalaam s’ouvrit et disparut derrière lui et sa prisonnière. Rand ressentit vraiment le saidin. Vie et corruption mêlées ; glace donnant l’impression que l’hiver était chaud, et feu à faire paraître froides les flammes d’une forge ; mort attendant qu’il fasse un faux pas. Désirant qu’il fasse un faux pas. Le saidin ne lui parut pas différent. Vraiment ? Il fronça les sourcils sur l’endroit où Nalaam avait disparu. Avec sa prisonnière.

C’était la quatrième sul’dam capturée ce jour-là. Cela faisait vingt-trois sul’dams prisonnières, rassemblées près des charrettes. Et deux damanes, chacune encore pourvue de sa laisse et de son collier argentés, transportées dans des charrettes différentes. Avec ces colliers, elles ne pouvaient pas faire trois pas sans éprouver une nausée encore plus forte que celle de Rand quand il embrassait la Source. Mais il n’était pas sûr que les sœurs qui accompagnaient Mat seraient contentes d’avoir à les surveiller. La première damane, capturée trois jours plus tôt, n’avait pas au début été considérée comme une prisonnière par Rand. Svelte, avec des cheveux blond clair et de grands yeux bleus, c’était une Seanchane qu’il fallait libérer, pensait-il. Mais quand il avait forcé une sul’dam à lui ôter son collier, son a’dam, elle avait hurlé, appelant la sul’dam au secours, et s’était mise à frapper à l’aveuglette avec le Pouvoir. Elle avait même tendu le cou pour que la sul’dam lui remette son collier ! Neuf Défenseurs et un Soldat étaient morts avant qu’on ait pu la maîtriser en l’isolant avec un écran. Gedwyn l’aurait tuée sur place si Rand n’était pas intervenu. Les Défenseurs, presque aussi mal à l’aise en présence de femmes capables de canaliser que tous les autres en présence d’hommes dotés du même pouvoir, voulaient aussi la voir morte. Ils avaient essuyé des pertes ces derniers jours. Mais que des camarades soient tués par une prisonnière leur paraissait outrageant.

Il y avait eu plus de pertes que ne l’avait prévu Rand. Trente et un Défenseurs et quarante-six Compagnons. Il fallait y ajouter plus de deux cents Légionnaires et hommes d’armes des nobles. Sept Soldats et un Consacré, que Rand n’avait jamais rencontrés avant qu’ils ne répondent à sa convocation en Illian. Trop de pertes, sachant que toutes les blessures, à part les plus graves, étaient susceptibles d’être Guéries si le blessé pouvait tenir le temps qu’on arrive jusqu’à lui. Mais il repoussait vigoureusement les Seanchans vers l’ouest.

D’autres cris s’élevèrent, loin dans la vallée. Un feu se répandit à trois miles vers l’ouest, et des éclairs fulgurèrent, foudroyant des arbres. Plus loin, un versant entra en éruption, projetant des arbres et des pierres vers le ciel, en une étrange coulée avançant le long de la pente. Les déflagrations étouffaient les cris. Les Seanchans se repliaient.

— Descendez dans la vallée, dit-il à Flinn et à Dashiva. Tous les deux. Trouvez Gedwyn et dites-lui de les harceler vigoureusement ! Vigoureusement !

Dashiva regarda en bas vers la forêt, et grimaça, puis se mit à tirer maladroitement les rênes sa monture le long de la crête. Il était gauche avec les chevaux, qu’il soit en selle, ou qu’il les tire par la bride. Il faillit trébucher sur son épée !

Flinn leva les yeux sur Rand, l’air soucieux.

— Vous avez l’intention de rester seul ici, mon Seigneur Dragon ?

— On ne peut pas dire que je suis seul, dit-il, acerbe, jetant un coup d’œil en direction d’Ailil et Anaiyella.

Elles avaient rejoint leurs hommes d’armes, près de deux cents lanciers qui attendaient à l’endroit où la crête commençait à descendre vers l’est. À leur tête, Denharad fronçait les sourcils à travers la visière de son casque. Il commandait les deux groupes maintenant, et s’il s’inquiétait surtout de la protection d’Ailil et d’Anaiyella. Ses hommes offraient un spectacle de nature à intimider tout assaillant. De plus, Weiramon verrouillait l’extrémité nord de la crête, à ne pas laisser passer une mouche, disait-il, et Bashere tenait le sud. Bashere avait élevé un mur de lances, sans rien dire. Et les Seanchans battaient en retraite.

— Et d’ailleurs, je ne suis pas sans défense moi-même, Flinn.

Son interlocuteur eut l’air dubitatif, et gratta sa couronne de cheveux blancs avant de rejoindre l’endroit où le portail de Dashiva se refermait déjà dans un clignotement lumineux. Boitillant de l’avant, Flinn secoua la tête, marmonnant que c’était bien de Dashiva. Rand eut envie de crier. Il ne pouvait pas devenir fou, et eux non plus !

Le portail de Flinn s’évanouit, et Rand se remit à observer l’horizon. De nouveau, tout était calme. La forêt s’étirait devant lui dans le silence. C’était une mauvaise idée que d’avoir voulu s’emparer des avant-postes dans la montagne ; il était prêt à l’admettre maintenant. Sur ce terrain, on pouvait se trouver à un demi-mile d’une armée sans le savoir. Dans cette épaisse forêt, on pouvait en être à dix pieds et l’ignorer ! Il fallait affronter les Seanchans sur un meilleur terrain. Il fallait…