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Brusquement, il lutta contre le saidin, contre des déferlantes sauvages qui tentaient de lui vriller le crâne. Le Vide disparut, fondant sous l’attaque. Affolé et étourdi, il relâcha la Source avant qu’elle ne le tue. La nausée lui noua la gorge. Il vit deux Couronnes d’Épées… sur l’humus épais devant son visage ! Il gisait par terre. Il semblait ne pas pouvoir respirer, et s’efforçait d’aspirer l’air à grandes goulées. Une feuille de laurier dorée était ébréchée, et du sang maculait plusieurs des minuscules pointes d’épées. Un élancement dans son flanc lui apprit que ses blessures inguérissables s’étaient rouvertes. Il s’efforça de se relever et poussa un cri. Frappé de stupeur, il fixa la hampe noire d’une flèche plantée dans son bras droit. Il s’effondra en gémissant. Quelque chose coula sur son visage et goutta devant ses yeux. Du sang.

Il eut vaguement conscience d’ululements. Des cavaliers apparurent au nord parmi les arbres, galopant le long de la crête, certains avec leur lance en arrêt, d’autres tirant des flèches aussi vite qu’ils pouvaient. C’étaient des cavaliers en armures à plates bleu et jaune, avec des casques semblables à des têtes d’insectes monstrueux. Des Seanchans, par centaines semblait-il, qui venaient du nord. Autant pour la mouche de Weiramon.

Rand se força à saisir la Source. Trop tard pour se soucier de vomir ou de tomber face contre terre. Une autre fois, cela l’aurait fait rire. Il s’efforça… Il avait l’impression de tâtonner dans le noir pour trouver une épingle avec des doigts gourds.

C’est l’heure de mourir, chuchota Lews Therin.

Rand avait toujours su que Lews Therin serait là à la fin.

À moins de cinquante toises de Rand, Cairhienins et Tairens fonçaient sur les Seanchans en hurlant.

— Luttez, chiens ! glapit Anaiyella, démontant près de lui. Luttez !

L’élégante minaudière, tout en soie et dentelles, lâcha une bordée de jurons à faire rougir un charretier.

Anaiyella, tenant sa monture par la bride, foudroyait alternativement Rand et les combattants. Ce fut Ailil qui le retourna sur le dos. S’agenouillant près de lui, elle le regarda, une expression indéchiffrable dans ses grands yeux noirs. Il semblait incapable de bouger. Il se sentait abandonné de toutes ses forces. Il n’était pas certain de pouvoir seulement cligner des yeux. Des cliquetis d’épées et des hurlements résonnaient à ses oreilles.

— S’il meurt entre nos mains, Bashere nous pendra toutes les deux ! s’écria Anaiyella, sans la moindre trace de minauderie. Si ces monstres en noir nous mettent la main dessus… !

Elle frissonna et se baissa près d’Ailil, avec un geste du couteau dans sa main qu’il n’avait pas remarqué jusque-là. Un rubis rouge sang étincelait sur le manche.

— Votre capitaine devrait détacher des hommes pour nous mettre en sécurité. On pourrait être à des miles avant qu’on ne le trouve, et de retour sur nos terres quand…

— Je crois qu’il nous entend, l’interrompit calmement Ailil.

Ses mains gantées de rouge remuèrent près de sa taille.

Rengainant une dague ? Ou la dégainant ?

— S’il meurt ici…

Elle s’interrompit aussi brusquement que sa compagne tout à l’heure, et tourna soudain la tête.

Deux torrents de cavaliers passèrent à droite et à gauche de Rand, dans le tonnerre de leurs sabots. Brandissant son épée, Bashere sauta à terre presque avant que son cheval ne s’arrête. Gregorin Panar démonta plus lentement, mais il agita son épée en direction des cavaliers qui passaient au galop.

— Frappez pour le Roi et l’Illian, rugit-il. Frappez ! Le Seigneur du Matin ! Le Seigneur du Matin !

L’entrechoquement des épées s’amplifia. Les hurlements aussi.

— Ce sera sans doute comme ça à la fin, gronda Bashere, foudroyant les deux femmes avec suspicion.

Pourtant, il ne perdit qu’un instant avant d’élever la voix pour dominer le fracas de la bataille.

— Morr ! Que votre peau d’Asha’man soit réduite en cendres ! Ici, immédiatement !

Louée soit la Lumière, il ne cria pas que le Seigneur Dragon était à terre.

Avec effort, Rand tourna un peu la tête. Assez pour voir les Cairhienins et les Saldaeans chevaucher vers le nord. Les Seanchans devaient avoir cédé.

— Morr ! rugit Bashere à travers sa moustache.

Et Morr sauta de son cheval au galop presque sur Anaiyella. Elle sembla mécontente qu’il ne s’excuse pas. Il s’agenouilla près de Rand, repoussant les cheveux qui lui tombaient sur le visage. Elle recula précipitamment, bondissant quasiment, en réalisant qu’il se préparait à canaliser. Ailil se releva plus calmement, mais s’éloigna rapidement, rengainant une dague au manche d’argent.

La Guérison était une opération simple, voire réconfortante. Il cassa l’empennage et tira sur la hampe, d’un coup sec qui coupa le souffle à Rand, pour dégager la plaie. De la terre et des graviers tombèrent quand les chairs de Rand se reformèrent. Mais seuls Flinn et quelques autres pouvaient extraire à l’aide du Pouvoir les corps étrangers qui s’étaient incrustés profondément dans la blessure. Posant deux doigts sur la poitrine de Rand, Morr se mordit la langue, les traits fixes, et tissa la Guérison. Il procédait toujours de la même manière ; autrement, ça ne marchait pas. Ce n’était pas le tissage complexe qu’utilisait Flinn. Peu en étaient capables, et aucun aussi bien que Flinn. Sa méthode était plus simple. Plus fruste. Des ondes de chaleur traversèrent Rand, assez fortes pour le faire grogner et l’inonder de sueur. Il trembla violemment de la tête aux pieds. Un rôti au four devait ressentir la même chose.

Le flot soudain de chaleur reflua lentement, laissant Rand haletant. Dans sa tête, Lews Therin haletait aussi. Tuez-le ! Tuez-le ! Encore et encore.

Réduisant la voix à un faible bourdonnement, Rand remercia Morr – le jeune homme battit des paupières, comme s’il était surpris ! – puis, saisissant le Sceptre du Dragon tombé à terre, il se força à se relever. Debout, il chancela légèrement. Bashere voulut lui offrir son bras, mais sur un geste de Rand, il se ravisa. Rand pouvait tenir debout sans aide. À peine. Mais il était aussi capable de s’envoler en agitant les bras que de canaliser. Quand il porta la main à son flanc, sa chemise glissa sur du sang, pourtant l’ancienne blessure ronde et la nouvelle qui la traversait de biais étaient juste un peu sensibles. Seulement à moitié cicatrisées, mais il n’en avait jamais été autrement depuis le début.

Un instant, il observa les deux femmes. Anaiyella murmura de vagues félicitations, avec un sourire qui lui fit se demander si elle avait l’intention de lui lécher le poignet. Ailil se tenait très droite et très calme, comme si rien ne s’était passé. Avaient-elles imaginé l’abandonner là, mourant ? Ou le tuer ? Mais dans ce cas, pourquoi appeler leurs hommes d’armes à la rescousse et se précipiter à son chevet ? Cependant, Ailil avait tiré sa dague quand elles l’avaient cru à l’agonie.

La plupart des Saldaeans et des Illianers galopaient vers le nord ou vers le fond de la vallée, à la poursuite des Seanchans. Et puis Weiramon apparut, en provenance du nord, sur un grand étalon luisant, au petit galop qui s’accéléra quand il vit Rand. Ses hommes d’armes chevauchaient derrière lui en colonne par deux.

— Mon Seigneur Dragon, entonna le Haut Seigneur en mettant pied à terre.