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Rand appliquait le même principe depuis le début. Il ne doutait pas de Bashere, et pensait pouvoir faire confiance à Gregorin. Aucun des autres n’irait imaginer se retourner contre lui, avec tant d’étrangers, tant de vieux ennemis et si peu d’amis autour de lui. Rand rit doucement en les regardant disparaître dans les collines. Ils se battraient pour lui parce qu’ils n’avaient pas le choix. Pas plus que lui.

Folie, dit Lews Therin d’une voix sifflante. Rand, en colère, le fit taire.

Il n’était pas seul, naturellement. Tihera et Marcolin avaient disposé la plupart des Défenseurs et des Compagnons au milieu des oliviers, sur les collines flanquant celle d’où il surveillait tout du haut de son cheval. Le reste était positionné plus loin, formant écran pour le protéger des embuscades. Une compagnie de Légionnaires en tuniques bleues attendait patiemment en bas, dans la cuvette, sous l’œil de Masond, avec, à l’arrière-garde, la plupart de ceux qui s’étaient rendus dans la lande, en Illian. Ils s’efforçaient d’imiter les Légionnaires si calmes, mais sans grand succès.

Rand jeta un coup d’œil vers Ailil et Anaiyella. La Tairene lui adressa un sourire affecté, qui se fit bientôt défaillant. Le visage de la Cairhienine était glacial. Sa colonne, placée au centre, était la plus nombreuse, et la plus forte de loin.

Flinn et les hommes que Rand avait choisis après les Sources de Dumai montaient la colline vers lui. Le vieil homme chauve chevauchait toujours en tête, même si tous étaient maintenant décorés de l’Épée et du Dragon, sauf Adley et Narishma, et que Dashiva avait obtenu l’Épée le premier. C’était en partie parce que, plus jeune que Flinn, il le respectait en sa qualité d’ancien membre de la Garde de la Reine d’Andor. Et en partie parce que Dashiva ne se souciait pas de la hiérarchie. Il semblait amusé par les autres. Enfin, quand il ne parlait pas tout seul. La plupart du temps, il semblait ne pas voir plus loin que le bout de son nez.

Ce fut donc un choc quand Dashiva talonna gauchement sa monture pour passer en tête de la colonne. Son visage quelconque, à qui ses ruminations donnaient souvent l’air vague ou perplexe, s’était figé, soucieux, avec un froncement de sourcils. Ce fut donc plus qu’un choc quand il saisit le saidin juste après avoir rejoint Rand, et qu’il tissa autour d’eux un écran pour s’isoler des oreilles indiscrètes. Lews Therin ne gaspilla pas sa salive – si tant est qu’une voix désincarnée ait de la salive – à marmonner qu’il fallait le tuer. Il se rua sur la Source en ricanant en silence, s’efforçant d’arracher le Pouvoir à Rand. Et tout aussi brusquement, le Pouvoir s’évanouit.

— Il y a quelque chose d’anormal ici dans le saidin, quelque chose qui ne va pas, dit Dashiva, cette fois-ci concentré.

Il était irrité tel un maître d’école par un élève récalcitrant. Il s’emporta jusqu’à brandir l’index à l’adresse de Rand.

— Je ne sais pas ce que c’est. Rien ne peut déformer le saidin, et s’il pouvait être déformé, je l’aurais senti dans les montagnes. Enfin, il y avait quelque chose là-bas hier, mais si imperceptible…

Je le sens nettement à présent. Le saidin est… impatient. Je sais que le saidin n’est pas vivant. Mais il… bat, difficile à contrôler.

Rand se força à desserrer la main tenant le Sceptre du Dragon. Il avait toujours été sûr que Dashiva était presque aussi fou que Lews Therin lui-même. Généralement, il se dominait mieux, même si c’était précaire.

— Je canalise depuis plus longtemps que vous, Dashiva. Vous ressentez davantage la souillure, c’est tout.

Il ne pouvait pas adoucir le ton. Par la Lumière, il ne pouvait pas sombrer dans la folie maintenant, et eux non plus.

— Retournez à votre place. Nous allons bientôt partir.

Les éclaireurs reviendraient bientôt. Même dans ces collines, sans horizon dégagé, dix miles ne prendraient pas longtemps à couvrir. En Voyageant.

Dashiva ne bougea pas, et se contenta d’ouvrir la bouche avec colère. Il la referma brusquement. Tremblant visiblement, il prit une profonde inspiration.

— Je sais bien que vous canalisez depuis longtemps, dit-il d’un ton cinglant, presque dédaigneux. Mais sûrement que, même vous, vous pouvez sentir ça. Sentez-le, bon sang ! Je n’aime pas le mot « étrange » appliqué au saidin, et je ne veux pas mourir… ou être neutralisé parce que vous êtes aveugle ! Regardez mon écran ! Regardez-le bien !

Rand le fixa. Dashiva se mettant en valeur, c’était déjà assez bizarre, mais Dashiva en colère ? Et puis il regarda l’écran intensément. Les flux auraient dû être aussi fixes que les fils bien serrés d’une tapisserie. Or, ils vibraient. L’écran était immobile comme il le devait, mais chaque fil de Pouvoir luisait à ces faibles vibrations. Morr avait dit que le saidin était étrange à Ebou Dar, et à cent miles à la ronde. Ils en étaient maintenant à moins de cent miles.

Rand s’efforça de sentir le saidin. Il avait perpétuellement conscience du Pouvoir – c’était une question de vie ou de mort – pourtant, il s’était habitué à le combattre. Il luttait pour sa vie, et la lutte lui était devenue aussi naturelle que la vie. La lutte était la vie. Il se concentra pour sentir cette bataille, sa vie. Froid à pulvériser la pierre. Feu à vaporiser la pierre. Fumier à faire paraître un cloaque parfumé comme un jardin en fleurs. Et… une pulsation, comme quelque chose vibrant dans sa main. Ce n’était pas le même phénomène que celui qu’il avait senti à Shadar Logoth, quand la souillure du saidin était entrée en résonance avec le maléfice de l’endroit et que le saidin avait puisé au même rythme. Ici, la souillure était forte mais stable. C’était le saidin lui-même qui semblait plein de courants et de brusques variations. Impatient, avait dit Dashiva. Maintenant, Rand comprenait pourquoi.

En bas de la pente, derrière Flinn, Morr se passa la main dans les cheveux et regarda autour de lui, mal à l’aise. Flinn gigotait sur sa selle et remuait son épée dans son fourreau. Narishma, qui observait le ciel à la recherche de créatures volantes, clignait des yeux trop souvent. Un muscle se contractait dans la joue d’Adley. Chacun manifestait un signe de nervosité, et cela n’avait rien d’étonnant. Rand se sentit immensément soulagé. Ils n’étaient pas fous !

Dashiva eut un sourire en coin quelque peu suffisant.

— Je n’arrive pas à croire que vous ne l’ayez pas remarqué avant, dit-il, d’un ton proche de la raillerie. Vous avez tenu le saidin pratiquement jour et nuit depuis le début de cette folle expédition. C’est un écran simple, mais il refusait de se former. Puis il s’est dressé tout d’un coup, comme s’il échappait à mes mains.