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La fente bleu argenté d’un portail entra en rotation en haut d’une colline dénudée. Un Soldat le franchit, tirant son cheval après lui et se mit vivement en selle, rentrant de reconnaissance. Même à cette distance, Rand distingua le faible scintillement du tissage avant que le portail ne disparaisse. Le cavalier n’était pas encore au pied de la colline qu’un autre portail s’ouvrait sur la crête, puis un troisième, un quatrième, et d’autres encore, l’un après l’autre, presque aussi vite que l’homme qui les franchissait était passé.

— Mais il s’est formé quand même, dit Rand.

Comme les portails des éclaireurs.

— Le saidin est difficile à contrôler, mais il l’est toujours, et il fait quand même ce que vous voulez.

Mais pourquoi était-ce plus difficile ici ? Une question à remettre à plus tard. Par la Lumière, comme il aurait voulu qu’Herid Fel soit encore vivant ; le vieux philosophe connaissait peut-être la réponse.

— Retournez avec les autres, Dashiva, ordonna-t-il.

Mais Dashiva le fixa avec stupéfaction, et il dut se répéter avant que l’Asha’man ne lâche l’écran. Il fit pivoter son cheval, sans saluer, et talonna sa monture pour descendre la pente.

— Des ennuis, mon Seigneur Dragon ? minauda Anaiyella.

Ailil se contenta de la regarder.

Voyant le premier éclaireur galoper vers Rand, les autres se déployèrent en éventail au nord et au sud, pour rejoindre l’une des autres colonnes. Il serait plus rapide d’employer la bonne vieille méthode que d’ouvrir des portails à l’aveuglette. Tirant sur ses rênes devant Rand, Nalaam se frappa la poitrine de son poing – ses yeux étaient-ils affolés ? Peu importait. Le saidin faisait toujours ce que l’homme qui le tenait lui faisait faire. Nalaam salua et fit son rapport. Les Seanchans ne campaient pas à dix miles de là, mais ils n’étaient pas à plus de cinq ou six miles, et en marche vers l’est. Ils avaient des douzaines de sul’dams et de damanes avec eux.

Nalaam s’éloigna au galop pendant que Rand donnait déjà des ordres. Sa colonne s’ébranla vers l’ouest. Les Défenseurs et les Compagnons chevauchaient sur les deux flancs. Les Légionnaires composaient l’arrière-garde, juste derrière Denharad, comme un rappel à l’ordre des deux nobles et de leurs hommes d’armes, s’il en était besoin. En tout cas, Anaiyella regardait souvent par-dessus son épaule, et le mécontentement d’Ailil était palpable. Rand avançait en tête de colonne avec Flinn et les autres, et il en serait de même pour chaque colonne. Les Asha’man frappaient, et les hommes d’armes protégeaient leurs arrières pendant ce temps-là. Le soleil était encore loin de son zénith. Rien n’avait changé pour altérer le plan.

La folie attend pour certains, chuchota Lews Therin. Elle s’insinue progressivement chez d’autres.

Miraj chevauchait presque en tête de son armée, qui avançait sur une route boueuse serpentant dans les collines à travers des oliveraies et des forêts. Un régiment entier, composé presque uniquement de Seanchans, s’intercalait entre lui et les éclaireurs. Il avait connu des généraux qui avaient toujours voulu être sur le front. La plupart étaient morts. Ils avaient perdu la bataille au cours de laquelle ils étaient morts. Grâce à la boue, leur avance ne soulevait pas de poussière, mais la nouvelle d’une armée en marche se répandait comme un feu de brousse dans les Plaines de Sa’las. Ici et là, au milieu des oliviers, il repérait une brouette retournée ou un sécateur abandonné, mais les travailleurs avaient disparu depuis longtemps. Avec un peu de chance, il éviterait de rencontrer ses adversaires autant que ceux-ci l’évitaient. Avec un peu de chance, et en l’absence de rakens, ses ennemis ne sauraient pas qu’il arrivait sur eux avant qu’il ne soit trop tard. Kennar Miraj n’aimait pas avoir à s’en remettre à la chance.

À part quelques sous-officiers prêts à sortir des cartes et à transcrire des ordres que des messagers transmettraient, il n’était accompagné que d’Abaldar Yulan, assez menu pour faire paraître immense son hongre brun de moyenne taille, petit homme explosif, aux ongles des auriculaires laqués vert et qui portait une perruque noire pour dissimuler sa calvitie, et de Lisaine Jarath, une femme grisonnante originaire de Seandar même, dont le visage pâle et joufflu aux yeux bleus était un modèle de sérénité. Yulan n’était pas calme, lui ; le Capitaine de l’Air de Miraj était toujours renfrogné à cause du règlement qui lui interdisait désormais de toucher les rênes d’un raken. Aujourd’hui, il était plus frustré que jamais. Il faisait beau, un temps parfait pour les rakens, mais, par ordre de Suroth, aucun de ses pilotes ne serait en selle, pas ici. Il y avait trop peu de rakens avec les Hailenes pour leur faire prendre des risques inutilement. Le calme de Lisaine troublait Miraj davantage que la mauvaise humeur de Yulan. Davantage que la plus ancienne des sul’dams sous ses ordres, c’était une amie avec qui il avait partagé maintes tasses de kaf et joué de nombreuses parties de Pierres. C’était une femme pleine de vie, toujours débordante de joie et d’enthousiasme. Elle était pour le moment d’un calme olympien, aussi muette que toutes les sul’dams qu’il avait tenté d’interroger.

Plus loin, il vit les vingt damanes qui protégeaient les chevaux, chacune marchant à côté de la monture de sa sul’dam. Les sul’dams dodelinaient sur leurs selles, se penchaient pour caresser la tête d’une damane. Les damanes lui paraissaient assez sereines, mais les sul’dams étaient nerveuses. Et l’exubérante Lisaine restait silencieuse comme une pierre.

Un torm apparut devant eux, volant largement à l’écart, à la limite des oliveraies. Pourtant les chevaux hennirent et bronchèrent à l’apparition de la créature aux écailles couleur bronze. Un torm bien dressé n’attaquait pas les chevaux – du moins, pas avant d’être en proie à une frénésie sanguinaire, raison pour laquelle ils étaient inutiles dans une bataille –, mais les montures dressées à garder leur calme en présence des torms étaient aussi rares que les torms eux-mêmes.

Miraj envoya un sous-lieutenant décharné du nom de Varek chercher le rapport de reconnaissance du morath’torm. À pied, et que la Lumière consume Varek d’avoir perdu son sei’taer. Il n’allait pas perdre du temps parce que Varek devait apprendre à contrôler une monture achetée localement. L’homme revint encore plus vite qu’il était parti, s’inclina vivement et commença son rapport avant même d’avoir fini de se redresser.

— L’ennemi est à moins de cinq miles, plein est, mon Seigneur Capitaine-Général, et marche dans notre direction. Ils sont déployés sur cinq colonnes, approximativement espacées d’un mile.

Mais Miraj avait réfléchi à la façon d’attaquer quarante mille hommes avec les cinq mille qu’il avait, et cinquante damanes. Des messagers partirent les uns après les autres avec ordre de se déployer pour contrer une tentative d’encerclement, et les régiments qui le suivaient commencèrent à tourner dans les oliveraies, les sul’dams chevauchant au milieu d’eux avec leurs damanes. Resserrant sa cape pour se protéger d’une soudaine rafale, Miraj remarqua quelque chose qui le glaça encore davantage. Lisaine regardait les sul’dams disparaître au milieu des arbres, elle aussi. Et elle avait commencé à transpirer.