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Bertome chevauchait nonchalamment, laissant le vent rabattre sa cape en arrière. Il scrutait les bois devant lui avec une méfiance qu’il tentait à peine de dissimuler. Des quatre compatriotes qui le suivaient, seul Doressin était habile au Jeu des Maisons. Weiramon, ce chien d’imbécile de Tairen, était aveugle. Bertome foudroya le dos de ce bouffon vaniteux. Weiramon chevauchait largement en tête des autres, bavardant avec Gedwyn. Et si Bertome avait besoin d’une autre preuve que le Tairen était capable de sourire de ce qui aurait écœuré une chèvre, il n’avait qu’à voir comment il tolérait ce jeune monstre au regard ardent. Il remarqua que Kiril lui coulait des regards en coin, et il écarta son cheval du géant. Il n’avait pas d’animosité particulière envers l’Illianer, mais il détestait les gens plus grands que lui. Il lui tardait de rentrer à Cairhien, où il ne serait pas tout le temps entouré de mastodontes lourdauds. Mais Kiril Drapaneos n’était pas aveugle, malgré sa trop grande taille. Il avait envoyé une douzaine d’hommes en éclaireurs. Weiramon en avait envoyé un.

— Doressin ! dit doucement Bertome, puis, plus haut : Doressin, espèce de balourd !

Doressin sursauta sur sa selle. Comme les trois autres, il s’était rasé et poudré le devant du crâne ; adopter le style des soldats était devenu à la mode. Doressin aurait dû le traiter de crapaud en retour, comme ils le faisaient dans leur enfance. À la place, il talonna son hongre pour rejoindre Bertome et ils rapprochèrent leurs têtes. Il était soucieux, et ça se voyait à son front plissé.

— Vous réalisez que le Seigneur Dragon veut que nous mourions tous ? murmura-t-il, jetant un coup d’œil sur la colonne s’étirant derrière lui. Par le sang et le feu, je n’ai fait qu’écouter Colavaere, mais j’ai su que j’étais un homme mort depuis qu’il l’a tuée.

Un moment, Bertome considéra la colonne serpentant entre les collines. Là-bas, les arbres étaient plus clairsemés que devant eux, mais suffisants pour dissimuler une attaque jusqu’à ce qu’elle ait lieu. Ils avaient laissé la dernière oliveraie à près d’un mile. Les hommes de Weiramon chevauchaient devant, naturellement, dans leurs ridicules tuniques à manches bouffantes rayées de blanc, puis venaient les Illianers de Kiril, en tuniques assez bariolées pour faire honte à un Rétameur. Ses gens à lui, en bleu foncé discret sous leurs plastrons, étaient toujours hors de vue de ceux de Doressin et des autres, juste devant la compagnie des Légionnaires. Weiramon avait semblé surpris que les hommes de pied n’aient pas décrochés, quoiqu’il n’eût pas imposé un rythme rapide.

Mais ce n’était pas vraiment les hommes d’armes que Bertome regardait. Sept cavaliers chevauchaient devant Weiramon lui-même, les sept en noir au visage dur et aux yeux froids comme la mort. L’un d’eux avait, épinglée à son haut col, une petite épée en argent.

— Ce serait une façon compliquée d’y arriver, dit-il, ironique, à Doressin. Et je doute qu’al’Thor ait envoyé ces garçons avec nous s’il nous destinait à l’abattoir.

Le front toujours plissé, Doressin rouvrit la bouche, mais Bertome dit :

— Il faut que je parle avec le Tairen.

Il détestait voir son ami d’enfance dans cet état. Al’Thor l’avait complètement déstabilisé.

Absorbés dans leur conversation, Weiramon et Gedwyn ne l’entendirent pas approcher. Gedwyn jouait distraitement avec ses rênes, le visage froid et méprisant. Le Tairen était cramoisi.

— Qui vous êtes, je m’en moque, disait-il tout bas d’un ton dur à l’homme en noir, avec force postillons. Je ne veux pas prendre davantage de risques sans un ordre direct de la bouche de…

Brusquement, ils prirent conscience de la présence de Bertome, et Weiramon se tut. Les yeux flamboyants, comme s’il avait envie de tuer Bertome. Le sourire éternel de l’Asha’man s’évanouit. Des nuages voilèrent le soleil, et le vent se leva, froid et mordant, comme le regard soudain fixe de Gedwyn. Avec un choc, Bertome réalisa que Gedwyn, lui aussi, avait envie de le tuer.

Le regard glacial et meurtrier de Gedwyn ne changea pas, mais le visage de Weiramon subit une transformation remarquable. Sa rougeur s’effaça lentement et il sourit, d’un sourire doucereux à peine nuancé de condescendance moqueuse.

— Je pensais à vous, Bertome, dit-il d’un ton chaleureux. Dommage qu’al’Thor ait étranglé votre cousine. De ses propres mains, paraît-il. Franchement, je m’étonne que vous ayez répondu à son appel. Je l’ai vu vous observer. Je crains qu’il ne vous réserve un sort plus… intéressant que celui d’un étranglé qui tambourine des talons.

Bertome réprima un soupir, et pas seulement à cause de la lourde allusion de cet imbécile. Beaucoup tentaient de le manipuler grâce à la mort de Colavaere. C’était sa cousine préférée, une ambitieuse au-delà de toute raison. Saighan avait des droits certains sur le Trône du Soleil. Mais qui n’auraient pas résisté en face de Riatin ou Damodred et encore moins des deux, sans la bénédiction formelle de la Tour Blanche ou du Dragon Réincarné ? Pourtant, elle avait été sa cousine préférée. Que voulait Weiramon ? Certainement pas ce qu’il semblait à première vue. Même ce lourdaud n’était pas aussi bête.

Avant qu’il ait formulé une réponse, il vit un cavalier galoper au milieu des arbres, se dirigeant vers eux. Un Cairhienin, qui s’arrêta si brusquement devant eux que sa monture dut fléchir ses jambes postérieures pour freiner à temps. Bertome reconnut l’un de ses hommes d’armes, un garçon édenté, les deux joues barrées de cicatrices saillantes. Doile, se dit-il. Des domaines de Colchaîne.

— Mon Seigneur Bertome, dit-il, hors d’haleine avec un rapide salut. J’ai deux mille Tarabonais sur les talons. Ils ont des femmes avec eux ! Avec des éclairs sur leurs robes !

— Sur les talons, murmura Weiramon avec dérision. Nous verrons ce que mon éclaireur dira quand il reviendra. En tout cas, je ne vois pas ce…

Un tonnerre de sabots et de cris s’élevant brusquement devant eux l’interrompit, et des lanciers apparurent au galop, en un flot continu à travers les arbres. Ils fonçaient droit sur Bertome et les autres.

Weiramon éclata de rire.

— Tuez qui vous voulez, où vous voulez, Gedwyn, dit-il, dégainant son épée avec panache. Moi, j’ai mes méthodes, c’est tout !

Il fit demi-tour pour rejoindre ses hommes au galop, et, brandissant son épée au-dessus de sa tête, vociféra :

— Pour Saniago ! Pour Saniago et la gloire !

Sans surprise, il n’ajouta pas le cri de guerre de son pays pour ceux de sa Maison et son grand amour.

Éperonnant sa monture dans la même direction, Bertome éleva la voix lui aussi.

— Pour Saighan et Cairhien !

Inutile de brandir son épée pour le moment.

— Pour Saighan et Cairhien !

Qu’est-ce que voulait Weiramon tout à l’heure ?

Des coups de tonnerre retentirent, et Bertome leva les yeux vers le ciel, perplexe. Il n’y avait guère plus de nuages. Non, Doile ou Dalyn avait mentionné des femmes. Puis il oublia ce que cet imbécile de Tairen avait voulu dire quand des Tarabonais voilés d’acier dévalèrent vers lui des collines boisées, des éclairs pleuvant du ciel et embrasant la terre devant lui.

— Pour Saighan et Cairhien ! rugit-il.

Le vent se leva.

Des cavaliers s’affrontaient au milieu de la forêt touffue et des épaisses broussailles, où l’ombre dominait. Le jour semblait défaillir, les nuages s’amoncelaient dans le ciel, mais c’était difficile à dire à travers le toit des feuillages. Des rugissements tonitruants couvraient le cliquetis des épées, les cris des hommes, les hennissements des chevaux. Parfois, le sol tremblait et des hurlements s’élevaient parmi les ennemis.