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Reanne Corly et les dix autres survivantes du Cercle du Tricot de la Famille remuèrent avec gêne sous leurs regards scrutateurs, tamponnant la sueur de leurs visages avec des mouchoirs brodés, ajustant leurs larges chapeaux de paille multicolores, lissant leurs jupes de laine relevées d’un côté pour révéler des couches de jupons de couleurs aussi vives que les tenues du Peuple de la Mer. C’étaient en partie les regards des Aes Sedai qui les faisaient se dandiner d’un pied sur l’autre, la peur des Réprouvés et du gholam ajoutant à leur malaise, sans parler du reste. Les étroits décolletés plongeants de leurs robes auraient suffi. La plupart de ces femmes arboraient au moins quelques rides, mais elles avaient l’air de gamines surprises à voler des confitures. Toutes, sauf la corpulente Sumeko qui, les poings sur ses larges hanches, défiait les Aes Sedai du regard. Une brillante auréole de saidar entourait l’une d’elles, Kirstian, qui ne cessait de jeter des regards par-dessus son épaule. Avec son visage pâle, âgée d’une dizaine d’années de plus que Nynaeve, elle semblait décalée au milieu des autres. Ses joues pâlissaient un peu plus chaque fois que ses yeux noirs rencontraient ceux d’une Aes Sedai.

Nynaeve se hâta vers les dirigeantes de la Famille, rayonnante de volonté, et Reanne et ses compagnes sourirent, visiblement soulagées. En réalité, un sentiment un rien mitigé par les regards en coin dirigés sur Lan. Elles le considéraient comme le loup auquel il ressemblait. Mais c’était grâce à Nynaeve que Sumeko ne se liquéfiait pas comme chaque fois qu’une Aes Sedai regardait de leur côté. Elle avait juré d’enseigner le courage à ces femmes, bien qu’Aviendha ne comprît pas très bien pourquoi. Nynaeve était elle-même une Aes Sedai ; aucune Sagette n’aurait jamais appris à quiconque à tenir tête à d’autres Sagettes.

C’était valable pour toutes les Aes Sedai, sauf pour Nynaeve, envers qui même Sumeko manifestait une certaine servilité. Le Cercle du Tricot trouvait étrange que des femmes aussi jeunes qu’Elayne et Nynaeve donnent des ordres aux autres Aes Sedai et se fassent obéir. Aviendha elle-même trouvait cela bizarre ; comment la puissance innée dans le Pouvoir pouvait-elle peser plus lourd que le respect et l’honneur acquis au cours des ans ? Pourtant, les Aes Sedai plus âgées obéissaient, et pour les femmes de la Famille, cela suffisait. Ieine, presque aussi grande qu’Aviendha et dont la peau était presque aussi sombre que le Peuple de la Mer, soutenait le regard de Nynaeve avec un sourire obséquieux, tandis que Dimana, aux cheveux roux striés de blanc, baissait la tête et que la blonde Sibella pouffait nerveusement dans sa main. Malgré leurs robes à la mode d’Ebou Dar, seule la svelte Tamarla au teint olivâtre, était Altarane, et pas même originaire de la cité.

Elles s’écartèrent à l’approche de Nynaeve, révélant une femme à genoux, les poignets liés derrière le dos, un sac sur la tête, en haillons poussiéreux. Elle était la raison de leur malaise, autant que les froncements de sourcils de Merilille ou les Réprouvés. Plus, peut-être.

Tamarla arracha le sac, découvrant un fouillis de minces tresses perlées de sueur. Ispan Shefar voulut se lever, parvint à se mettre à croupetons avant de retomber lourdement à la renverse, battant des paupières et pouffant bêtement. La sueur coulant sur son visage et quelques bleus consécutifs à la capture, gâchaient ses traits sans âge. De l’avis d’Aviendha, on l’avait traitée avec trop de douceur étant donné ses crimes.

Les herbes que Nynaeve l’avait forcée à avaler continuaient à embrumer son esprit et à affaiblir ses genoux, mais Kirstian l’entourait d’un écran avec tout le Pouvoir dont elle disposait. Aucune chance que l’Émissaire de l’Ombre ne s’enfuie – même si elle n’avait pas été droguée, Kirstian était aussi puissante dans le Pouvoir que Reanne, plus puissante que la plupart des Aes Sedai qu’elle connaissait – pourtant, même Sumeko tripotait nerveusement sa robe, et détournait les yeux de la femme à genoux.

— Les sœurs devraient se charger d’elles maintenant, dit Reanne d’une voix si tremblante qu’elle aurait pu appartenir à la Sœur Noire. Nynaeve Sedai, nous ne devrions pas gard… euh… être en charge d’une Aes Sedai.

— C’est vrai, intervint vivement Sumeko. Les Aes Sedai devraient la prendre en main maintenant, ajouta-t-elle avec anxiété.

Sibella renchérit, et des murmures d’approbation parcoururent les rangs de la Famille. Elles croyaient dur comme fer qu’elles étaient très inférieures aux Aes Sedai, et elles auraient sans doute préféré garder des Trollocs qu’une sœur.

Les regards désapprobateurs de Merilille et des autres sœurs changèrent devant le visage d’Ispan Shefar. Sareitha Tomares, qui portait le châle frangé de brun depuis seulement quelques années, et n’avait pas encore acquis l’air d’éternelle jeunesse des autres, la foudroya avec un tel dégoût qu’il aurait pu l’écorcher vive à cinquante pas. Adeleas et Vandene, les mains crispées sur leurs jupes, s’efforçaient de contenir la haine qu’elles éprouvaient pour cette femme qui avait été leur sœur et qui les avait trahies. Mais les regards dont elles gratifiaient le Cercle du Tricot ne valaient guère mieux. Elles aussi, elles pensaient du fond du cœur que les femmes de la Famille leur étaient très inférieures. Il n’y avait pas que ça, mais la traîtresse avait fait partie de leur confrérie, et elles seules avaient des droits sur elle. Aviendha était d’accord. Une Vierge qui trahissait ses sœurs de la lance se devait de mourir lentement et dans la honte.

Nynaeve remit violemment le sac sur la tête d’Ispan Shefar.

— Vous vous en êtes parfaitement tirées jusqu’à présent, et vous allez continuer, dit-elle fermement à la Famille. Si elle semble revenir à elle, faites-lui boire de cette mixture. Elle sera aussi saoule qu’une chèvre abreuvée à la bière. Pincez-lui le nez si elle ne veut pas avaler. Même une Aes Sedai avale quand on lui pince le nez et qu’on lui chauffe les oreilles.

La mâchoire de Reanne s’affaissa et ses yeux se dilatèrent, comme ceux de la plupart de ses compagnes. Sumeko acquiesça lentement de la tête, les yeux presque aussi exorbités que ceux des autres. Quand les femmes de la Famille prononçaient les mots « Aes Sedai », on aurait cru qu’elles parlaient du Créateur. La seule idée de pincer le nez d’une Aes Sedai, même Émissaire de l’Ombre, les horrifiait.

Et, à en juger par la mine des Aes Sedai, l’idée leur plaisait encore moins. Fixant Nynaeve, Merilille ouvrit la bouche, quand Elayne arriva près d’elle. La Sœur Grise s’en prit plutôt à elle, esquissant au passage un froncement de sourcils désapprobateur adressé à Birgitte. Elle éleva la voix, preuve évidente de son agitation ; habituellement, Merilille était très discrète.