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— Que la Lumière nous protège ! dit-elle avec ferveur. Si ce décret est promulgué, il sera impossible de convaincre al’Thor que son enlèvement n’était pas approuvé.

Ce serait déjà assez difficile sans cette proclamation, mais elle avait déjà vu des gens convaincus que ce qui se produisait sous leurs yeux n’existait pas.

— Et il sera dix fois plus sur ses gardes contre une nouvelle tentative. Au mieux, ce décret fera fuir certains de ses partisans, Alviarin.

Sans doute que beaucoup étaient déjà si profondément engagés avec lui qu’ils n’oseraient pas faire marche arrière. Certainement pas s’ils se voyaient menacés d’anathème !

— Autant mettre le feu à la Tour de ma propre main que signer ça !

Alviarin soupira d’impatience.

— Vous n’avez pas oublié votre catéchisme, non ? Répétez-le-moi, tel que je vous l’ai enseigné.

Les lèvres d’Elaida se pincèrent d’elles-mêmes. En l’absence d’Alviarin, l’un de ses plaisirs avait été d’échapper à l’obligation quotidienne de répéter cette odieuse litanie.

— Je ferai ce que vous m’ordonnez de faire, dit-elle enfin d’une voix monocorde.

Elle était le Siège d’Amyrlin !

— Je prononcerai les mots que vous me désignerez, et rien de plus.

Sa Prédiction prévoyait son triomphe, mais ô Lumière, faites qu’il survienne vite !

— Je signerai ce que vous me direz de signer, et rien d’autre. Je…

Elle s’étrangla sur la conclusion.

— J’obéirai à votre volonté.

— Vous avez besoin qu’on vous le rappelle constamment, on dirait, dit Alviarin avec un nouveau soupir. Je vous ai laissée seule trop longtemps, je suppose.

Elle tapota son parchemin d’un index péremptoire.

— Signez.

Elaida signa, traînant la plume sur le parchemin. Elle ne pouvait rien faire d’autre.

Alviarin attendit à peine qu’elle relève sa plume pour arracher le décret.

— Je le scellerai moi-même, dit-elle, se dirigeant vers la porte. Je n’aurais pas dû laisser le sceau de l’Amyrlin à votre disposition. Je reviendrai vous parler plus tard. Je vous ai laissée trop longtemps livrée à vous-même. Soyez là quand je reviendrai.

— Plus tard ? dit Elaida. Quand, Alviarin ? Alviarin ? Alviarin ?

La porte se referma sur la Gardienne, laissant Elaida fulminer toute seule. « Soyez là quand je reviendrai ! » Voilà qu’elle était assignée à résidence dans ses quartiers comme une novice dans les cellules de pénitence !

Un moment, elle tripota son coffret de correspondance, décoré de faucons dorés se battant dans un ciel bleu au milieu de nuages blancs, mais elle ne se résigna pas à l’ouvrir. Après la disparition d’Alviarin, elle avait recommencé à y conserver des lettres et des rapports importants, et non plus les miettes d’informations qu’Alviarin lui jetait. Mais depuis son retour, il aurait aussi bien pu être vide. Se levant, elle se mit à modifier la disposition des roses dans les vases blancs posés sur des consoles de marbre blanc aux quatre coins de la pièce. Des roses bleues, les plus rares.

Brusquement, elle réalisa qu’elle fixait une tige cassée en deux qu’elle tenait à la main. Une demi-douzaine d’autres jonchaient le sol. Elle émit un gémissement de contrariété. En brisant ces tiges, elle pensait à ses mains resserrées autour de la gorge d’Alviarin. Ce n’était pas la première fois qu’elle imaginait tuer cette femme. Mais Alviarin avait dû prendre des précautions. Des documents scellés, à n’ouvrir que si quelque chose de louche lui arrivait, avaient sans doute été confiés à des sœurs qu’Elaida n’irait jamais soupçonner de complicité avec elle. Cela avait été son seul vrai souci pendant l’absence d’Alviarin, à savoir que quelqu’un suspecte la mort de la Gardienne et produise des preuves qui feraient qu’Elaida serait dépouillée du châle. Mais tôt ou tard, d’une façon ou d’une autre, Alviarin était perdue, comme ces roses…

— J’ai frappé, mais vous n’avez pas répondu, Mère, alors je suis entrée, dit une voix bourrue derrière elle.

Elaida se retourna, prête à lacérer l’intruse, mais à la vue de la Sœur Rouge charpentée au visage carré qui se tenait juste devant la porte, tout le sang se retira de son visage.

— La Gardienne dit que vous voulez me parler, dit Silviana, irritée.

Même devant le Siège d’Amyrlin, elle ne fit aucun effort pour dissimuler son écœurement. Silviana pensait que les pénitences privées étaient une affectation ridicule. Les pénitences devaient être publiques, seules les punitions pouvaient être faites en privé.

— Elle m’a dit aussi de vous rappeler quelque chose, mais elle est partie avant de me dire quoi, termina-t-elle avec un reniflement dédaigneux.

Silviana considérait comme une perte de temps tout ce qui l’éloignait de ses novices et de ses Acceptées.

— Je crois que je sais ce que c’est, dit Elaida d’un ton morne.

Quand Silviana partit enfin – au bout d’une demi-heure, d’après le carillon de la pendule de Cemaile, qui parut une éternité –, la seule chose qui retint Elaida de convoquer l’Assemblée en session plénière pour dépouiller Alviarin de l’étole de Gardienne, fut la certitude que sa Prédiction se réaliserait, et que Seaine remonterait la piste de la trahison jusqu’à Alviarin. Elle était convaincue que, si Alviarin était destituée au cours de cette confrontation, elle le serait aussi sans aucun doute. C’est pourquoi Elaida do Avriny a’Roihan, Gardienne des Sceaux, Flamme de Tar Valon et Siège d’Amyrlin, sans conteste la femme la plus puissante du monde, à plat ventre sur son lit, sanglotait dans ses oreillers, le postérieur trop meurtri pour enfiler la robe jetée en tas à terre, certaine qu’au retour d’Alviarin, celle-ci l’obligerait à s’asseoir pendant toute leur entrevue. À travers ses larmes, elle pria pour que la chute d’Alviarin survienne bientôt.

— Je ne vous ai pas dit de… faire fouetter Elaida, dit la voix cristalline. Vous élèveriez-vous au-dessus de votre condition ?

Alviarin, à genoux jusque-là, se prosterna à plat ventre devant la femme qui semblait faite d’ombre et de lumière argentée. Saisissant l’ourlet de la robe de Mesaana, elle le couvrit de baisers. Le tissage de l’illusion – ce devait être ça, bien qu’elle ne vît pas le moindre fil de saidar, pas plus qu’elle ne sentait la capacité de canaliser dans la femme qui la dominait – ne tint pas complètement, avec les tiraillements qu’elle imprimait au bas de la jupe. Des éclairs couleur bronze et des volutes noires se voyaient à travers.

— Je vis pour servir et vous obéir, Grande Maîtresse, haleta Alviarin entre deux baisers. Je sais que je suis indigne parmi les indignes, et je prie uniquement que vous m’accordiez votre sourire.

Elle avait déjà été punie, pour « s’être élevée au-dessus de sa condition » – pas pour désobéissance, le Grand Seigneur de l’Ombre soit loué ! – et elle savait que, quels qu’aient été les hurlements d’Elaida lors de sa flagellation, ils étaient aussi intenses que les siens.

Au bout de quelques instants, Mesaana mit fin aux baisers en lui relevant le menton du bout de sa pantoufle.

— Le décret est parti.

Ce n’était pas une question, mais Alviarin répondit vivement.

— Oui, Grande Maîtresse. Des copies en ont été envoyées au Port-du-Nord et au Port-du-Sud avant même que je fasse signer Elaida. Les premiers courriers sont en route, et aucun marchand ne quittera la cité sans copies à distribuer.

Mesaana savait tout cela, évidemment. Alviarin avait relevé la tête, dans une posture inconfortable, et une crampe lui paralysa le cou. Elle ne bougea pas. Mesaana lui dirait quand elle pourrait le faire.

— Grande Maîtresse, Elaida est une cosse vide. En toute humilité, ne vaudrait-il pas mieux nous passer d’elle ?